• Aucun résultat trouvé

Evolution du mot « procrastination » à travers l’histoire

Comportement dilatoire du consommateur

3. La procrastination : un champ de recherche émergent

3.1. Evolution du mot « procrastination » à travers l’histoire

Issu étymologiquement du mot latin procrastinatio qui signifie littéralement « en avant de demain », l’histoire montre que la procrastination comporte à la fois, un sens sage et une signification déviante.

Les orateurs de la Rome antique (Cicéron) utilisaient le mot procrastination dans un sens tactique et plein de sagesse (Ferarri et al, 1995). La procrastination permettait de peser sur l’interlocuteur et de maintenir une pression afin de tirer avantage d’une position supérieure.

On retrouve trace du mot procrastination quelques siècles plus tard, à la faveur de la Révolution industrielle, cette fois dans un sens amoral et négatif (Milgram, 1991).

Dans les œuvres littéraires françaises, la procrastination est, soit opposée au besoin d’achèvement, motivation qui sera développée par les psychologues contemporains (Lay, 1988a), soit présentée comme une tendance perturbant l’épanouissement de l’être humain.

« Chênedollé écouta trop le démon de la procrastination comme on l’a appelé; il n’invoqua pas assez la muse de l’achèvement », Ste Beuve, Chateaubriand et son

groupe littéraire, Paris, 1861, t. II, p200.

« Les difficultés que ma santé, mon indécision, ma « procrastination », comme disait Saint-Loup, mettaient à réaliser n’importe quoi, m’avaient fait remettre de jour en jour, de mois en mois, d’année en année, l’éclaircissement de certains soupçons comme l’accomplissement de certains désirs. », Proust, La recherche du temps perdu, t. III, p513 (La Pléiade).

Si William Shakespeare n’emploie pas le mot procrastination, il décrit certainement l’archétype du procrastinateur dans le personnage d’Hamlet.

« Je ne sais pas pourquoi j’en suis encore à me dire: Ceci est à faire; puisque j’ai un motif, volonté, force et moyen de le faire. » Shakespeare (1601), Hamlet, Acte IV, Scène IV5.

Hamlet est mystérieusement incapable de faire ce qu’il veut, ce qu’il doit faire, alors qu’il sait qu’il en a les capacités (Sabini et Silver, 1982).

La procrastination est donc un concept ancien et connu mais jamais étudié en psychologie ou en marketing, jusqu’à une époque récente.

Les définitions de la procrastination retenues aujourd’hui par les dictionnaires sont soient factuelles et imprécises (Dictionnaires français), soient moralisantes (Dictionnaires anglo-saxons). Effectivement, le mot procrastination est plus souvent utilisé en français en tant qu’expression littéraire, alors que l’utilisation du mot en anglais réfère plutôt à une pratique déviante.

Dictionnaires français Dictionnaires anglo-saxons

Littré : Remise au lendemain, Ajournement.

Le Robert : Tendance à remettre au lendemain

des décisions à prendre ou leur exécution, à ajourner, à temporiser

Websters : "Action to put off intentionally and usually habitually for a reason to be held reprehensible, the doing of something that need to be done.", c'est-à-dire ,

Action de remettre à plus tard quelque chose qui doit être fait, de manière intentionnelle et habituelle pour une raison considérée comme répréhensible.

Les définitions des dictionnaires français sont imprécises car elles n’explicitent pas l’objet de ce qui est remis au lendemain : s’agit-il de l’action, du désir, du commandement, de l’intention? Cependant les définitions anglo-saxonnes sont réductrices car elles ne considèrent pas la procrastination comme une excellente décision tactique.

Cette variété des situations et définitions explique pourquoi les psychologues éprouvent des difficultés à définir le concept de procrastination (Ferrari et al, 1995). De nombreux chercheurs ont proposé des définitions temporelles, moralisantes, irrationnelles et émotionnelles. Toutes restent subjectives.

Milgram (1991) a proposé une définition multidimensionnelle qui tente de réunir toutes ces orientations du construit : « la procrastination est une succession inefficace de démarrages et d’arrêts, conduisant à une performance inférieure à l’objectif initial, concernant des tâches vues comme importantes, et se traduisant par un malaise plus ou moins grave ». Quatre dimensions sont donc retenues : temporelle, comportementale, situationnelle et émotionnelle.

Bien que cette définition complète caractérise la procrastination comme un construit multidimensionnel, nous avons besoin d’une définition plus factuelle du phénomène. De l’avis même de Milgram (1991), la procrastination peut exister sans qu’il y ait malaise. C’est pourquoi nous privilégions les définitions en rapport avec le construit intention qui sont plus faciles à opérationnaliser. Ces approches ont été retenues par Ferrari (1991a,b,c, 1993, 1994) et Lay (1986,1995).

Pour Schouwenburg & Lay (1995) la procrastination est le report à plus tard d’une action nécessaire à la réalisation d’une intention. Ce report se traduit par un allongement des séquences temporelles entre les intentions et les comportements correspondants ("corresponding goal-directed behavior") (Lay, 1995). Le procrastinateur prend plus de temps que nécessaire (Lay, 1986).

Ferrari (1993) s’appuie également sur l’intention pour définir la procrastination. « La procrastination est la tendance chronique à reporter ou retarder le début ou l’achèvement d’une activité projeté (intended task) »6.

Cependant, comme nous l’enseigne l’utilisation du mot procrastination à travers les siècles, la procrastination peut être considérée comme sage et déviante.

La procrastination est un phénomène qu’on peut interpréter de multiples manières, soit comme marque de sagesse, de même que chez les Romains (Cicéron, cité par Ferrari et al, 1995), soit comme révélation d’une incapacité entre deux alternatives aussi attrayantes l’une que l’autre (l’âne de Buridan, ayant aussi soif que faim, ne savait pas choisir entre l’eau et l’avoine), soit comme un inexplicable blocage psychologique face à un acte difficile à réaliser, tel Hamlet reportant toujours à plus tard l’exécution de la demande de son père.

Pour distinguer ces deux comportements, une distinction est faite entre procrastination fonctionnelle et procrastination dysfonctionnelle (Ferrari et al, 1995).

3.2. Procrastination fonctionnelle et Procrastination dysfonctionnelle