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Le syndicat chr étien entre 1940-1945

valeur d’échange

CHAPITRE 3 – INTRODUCTION AUX ORGANISATIONS SYNDICALESORGANISATIONS SYNDICALES

B) Les relations sociales

5.3. LE SYNDICAT CHRÉTIEN

5.3.2. Le syndicat chr étien entre 1940-1945

En 1939, la CSC est toujours une organisation à nette dominance flamande, avec de

forts liens avec le mouvement culturel flamand. Toutefois, elle doit désormais tenir compte de sa composante minoritaire francophone.

Le mouvement nationaliste flamand ainsi que l’imminence de l’invasion des nazis et de son Arbeitsorde fait craindre à la CSC de disparaître ou de se voir reléguée au rang d’organisation mineure. Un manifeste est donc élaboré et présenté au congrès de 1940. Ce

manifeste, qui devait émaner de patrons et d’ouvriers catholiques à titre personnel, posait le problème économique et social et réclamait l’instauration d’un régime corporatif, damant ainsi le pion à l’Arbeitsordre. Il s’agit d’”un essai honnête pour servir et sauver nos

96 CSC, Catéchisme syndical, manuel du militant, 1962 (3ème édition revue)

97 ACV, [DE BRUYNE E.], Verslag over de waardigheid van den arbeider als persoon, XIIIe Congres, Brussel, 21-23 juli 1938, p.8 cité par Persoone, M., “"L'ACV/CSC s'oppose à l'extrême droite : une exploration idéologique et un instrument pour la formation syndicale”, Cahiers de la FOPES, n° 1, Juin 1996

travailleurs de Flandre”98.

Les partisans du manifeste ont leur champion - August Cool, secrétaire général et néerlandophone - et leur opposant - Henri Pauwels, seul francophone ayant jamais été président de la CSC.

Neuville avance la thèse que l’attitude par rapport au manifeste ne découle pas,

comme on l’entend traditionnellement, d’une opposition marquée par le clivage linguistique - néerlandophones contre francophones - mais bien d’une tension idéologique dont il appert qu’elle oppose les néerlandophones et les francophones.

À l’origine de la CSC, toujours essentiellement flamande en 1940, se trouve l’idéologie corporatiste qui est caractérisée par le rejet du libéralisme politique, un antisocialisme profond ainsi qu’une volonté d’État fort, autoritaire, conciliateur de classes sociales. Ces caractéristiques sont la voie royale des régimes fascistes. Les écrits du Père Arendt99 - intervenant régulier pour la formation des jocistes100 - l’affirment : “l’expérience fasciste nous

fournira assurément des leçons précieuses. Nous devons toutefois attendre la fin de la crise économique mondiale pour apprécier sainement les résultats des méthodes italiennes.

La réforme syndicale en Allemagne nous permettra aussi des comparaisons intéressantes, d’autant plus qu’il s’agit d’un grand pays industriel.

En tous cas, les progrès considérables du mouvement “fasciste” dans presque tous les pays de quelque importance et de la propagande intense qui est menée par ses dirigeants en faveur de la réorganisation corporative de l’État et des industries ne peut pas manquer d’aider à la diffusion des idées que nous défendons. Peut-être le Fascisme aidera-t-il à purifier le syndicalisme du venin marxiste?”101.

Sans surprise, le corporatisme-fascisme est très en vogue chez les employés de la LBC-CNE. “En opposition au capitalisme et au communisme considérés comme alliés (position typique d’ailleurs, renvoyant souvent à l’idéologie fasciste), le fascisme ne fut pas attaqué dans les écrits de la L.B.C. On jugeait uniquement les excès violents des nazis allemands, non leurs théories”102.

98 August Cool, secrétaire général de la CSC, Rapport du Bureau de la CSC, 13 novembre 1940, p.4 cité par Neuville, J., La CSC en l’an 40, Bruxelles, Editions Vie Ouvrière, 1988, p.32

99 August Cool cite ces écrits au Congrès de la CSC de 1932.

100 La JOC est la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, organisation de jeunesse du Mouvement Ouvrier Chrétien.

101 Père Arendt, L’action syndicale, 1933, p.134-135 cité par Neuville, J., op.cit., 1988, p.36

102 Vanhooren, Peter, Condordia. De geschiedenis van de landelijke bedienden centrale, p.168, cité par Neuville, J., op.cit., 1988, p.36

Pauwels s’oppose vigoureusement à ce que la CSC embrasse l’idéal corporatiste. La raison principale de son opposition est la survie du syndicat chrétien103. Il constate que l’introduction des régimes corporatistes en Italie et en Allemagne ont fait disparaître les syndicats chrétiens. Il cite Bernard Otte en 1933, président de la Confédération allemande des syndicats chrétiens qui écrivait que “la révolution récente a créé un état de choses qui permet aux syndicats chrétiens de suivre la nouvelle voie. Il n’y a plus de place pour le parallélisme dans le mouvement syndical. Dans le nouvel État, il n’y a plus de tendance syndicale liée au parti socialiste, plus de mouvement syndical aux agissements anti-chrétiens et politiques. Par conséquent - reconnaissons-le sincèrement - les motifs qui nécessitèrent la fondation des syndicats chrétiens de même que les conditions qui justifièrent leur maintien ont disparu”104.

Il note encore que “les associations de travailleurs admises dans les régimes totalitaires ou autoritaires n’ont rien qui autorise à les considérer comme étant des syndicats. Organismes constitutifs de la corporation, elles sont frappées des mêmes conditions de subordination et de sujétion.

Les associations ouvrières voient imposer de telles restrictions à leur action qu’elles ne possèdent aucune des qualités permettant de les assimiler à des syndicats. Elles dépendent de l’autorité publique; aussi peut-on affirmer que, dans les régimes totalitaires et autoritaires, les travailleurs, privés de leurs libertés politiques et syndicales, ne sont plus en situation d’agir pour améliorer leur sort”105. Dans un régime corporatiste, les permanents et militants syndicaux seraient transformés en fonctionnaires du nouveau régime106.

La ligne politique de Pauwels est caractéristique de “l’obsession catholique sociale”.

Il défend un “régime juridique offrant aux travailleurs et aux employeurs la garantie que leurs revendications légitimes et raisonnables seront accueillies et triompheront”107.

Mais “le régime juridique dont il rêve ou bien est inefficace vis-à-vis des problèmes fondamentaux ou bien mène simplement dans les voies du corporatisme”108. La base idéologique chrétienne contient l’essence du corporatisme. Aussi, les lignes idéologiques

en présence au début de la seconde guerre mondiale opposent les partisans du corporatisme

maintenant aux partisans du corporatisme bientôt que sont les tenants de la ligne social-103 Pauwels, Henri, “Nécessité des syndicats chrétiens (6 septembre 1940)” - voir annexe 11 dans Neuville, J.,

op.cit., 1988, pp.256-260

104 cité par Neuville, J., op.cit., 1988, p.41

105 Ibid.

106 Neuville, J., op.cit., 1988, p.42

107 Pauwels, Henri, “Lettre du 15 octobre à Rutten”, 1940, cité par Neuville, J., op.cit., 1988, p.258

108 Neuville, J., op.cit., 1988, p.44

démocrate.

L’adhésion des toutes les centrales de la CSC à l’UTMI se fait le 22 novembre 1940.

Cette adhésion ne peut s’expliquer sur base du clivage linguistique - même si la CSC est largement dominée par les flamands. Nombre de wallons se sont également ralliés à l’idée d’un syndicat unique, ce qui démontre la prévalence de l’idéologie corporatiste sur les clivages ainsi que le caractère fédéral du fonctionnement du syndicat chrétien. La direction de la LBC-CNE, persuadée de représenter et de former une classe à part, fut un des plus fervents supports à l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels.

Moins d’un an après, en juillet 1941, la CSC met fin - comme organisation - à la coopération avec l’occupant. Il devenait de plus en plus indéniable que l’immixtion allemande était un peu trop forte au sein de l’UTMI. Les dirigeants de CSC, qui avaient accepté de collaborer à condition que leurs interlocuteurs soient les autorités belges, se sentent floués. De plus, l’UTMI, dont le financement était assuré par les organisations constitutives, exige désormais la perception d’une cotisation directe auprès des membres des organisations. Les dirigeants de la CSC sentent leur pouvoir s’éteindre, arrêtent la

collaboration et entreprendront de réconcilier les différentes tendances en interne afin de préparer l’après-guerre109.