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MANQUEMENTS A LA GRILLE D'ANALYSE DE MINTZBERGMINTZBERG

CHAPITRE 1 – L'ANALYSE DES ORGANISATIONS SELON MINTZBERGSELON MINTZBERG

E) Les mécanismes de coordination relatifs aux départements

1.5. MANQUEMENTS A LA GRILLE D'ANALYSE DE MINTZBERGMINTZBERG

Plusieurs manquements de Mintzberg ont déjà été soulignés et corrigés : premièrement, les « buts de l'organisation » n'existent pas mais sont en réalité déterminés par une coalition dominante ; deuxièmement, la notion de glissements de systèmes de buts a été complétée par Minkoff ; et troisièmement, les facteurs contextuels ont été complétés par les chercheurs de l’Aston Program.

Ci-dessous sont abordés les manquements relatifs à l'absence de définition de la structure d'une organisation et le faible poids accordé à l'historicité des organisations. Des outils, empruntés au courant de l'institutionnalisme historique, vont permettre de rendre compte de certaines évolutions.

Un dernier manquement important, relatif au rôle de l'idéologie, sera abordé dans le chapitre suivant.

1.5.1. L'histoire de l'organisation : l''approche sédimentée de la

structure des organisations de Braudel et Offe

En faisant reposer l'évolution des trajectoires des organisations sur l'interaction entre les jeux d'acteurs, les éléments de structures et les facteurs de contingence, Mintzberg adopte en réalité une vision mécaniste du changement. Dans un autre domaine, celui de la recherche scientifique en Histoire, l'historien Fernand Braudel critiquait cette conception mécaniste qui consistait à présenter toute histoire ou récit sous forme d'un enchaînement d'événements. L'adoption de cette lecture superficielle induit “que l’Histoire se déroule sur un fil, comme un fil qui serait très étroit, et que les événements se succèdent les uns les autres, se commandent les uns les autres. (…) C’est une philosophie de l’Histoire de croire que les événements qui font du bruit conduisent le monde. (…) On a l’impression que tout change à partir de là et que tout ce qui va surgir ne sera que la conséquence. (…) C’est la lecture par les sommets. Ou plutôt par les faux sommets… les sommets apparents”77. Ce temps court, ou temps

77ORTF, “Fernand Braudel et les différents temps de l’histoire”, INA France, Diffusion le 30 octobre 1972, Extrait: 1’40 à 2’10. Disponible en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=yG_lpK_uWFw. Dernière

événementiel, est le temps “à la mesure des individus, de la vie quotidienne, de nos illusions, de nos prises rapides de conscience - le temps par excellence du chroniqueur, du journaliste”78.

Braudel ne rejette pas le temps court car ce temps court existe. Mais il développe une conception de l'histoire en « couches » qui se superposent. En 1923, Braudel informe son directeur, Lucien Febvre, de la volonté d’avoir pour sujet de thèse “la politique diplomatique méditerranéenne de Philippe II”. Febvre lui suggère, plutôt que de prendre pour sujet Philippe II et la Méditerranée, de s’orienter davantage sur la Méditerranée au temps de Philippe II. Ce faisant, il déplace l'attention du jeune chercheur d'un temps relativement court – le règne de Philippe II – vers un objet qui semble immuable dans ce temps court – la Méditerranée.

Au cours de ces recherches, Braudel proposera une nouvelle conception de l'Histoire, accentuant davantage le « temps long » qui met l’accent sur les structures - humaines, sociales, géographiques, mentales - qui dominent le temps. “Par structure, les observateurs du social entendent une organisation, une cohérence, des rapports assez fixes entre réalités et masses sociales. Pour nous, historiens, une structure est sans doute assemblage, architecture, mais plus encore une réalité que le temps use mal et véhicule très longuement. Certaines structures, à vivre longtemps, deviennent des éléments stables d'une infinité de générations : elles encombrent l'histoire, en gênent, donc en commandent l'écoulement. D'autres sont plus promptes à s'effriter. Mais toutes sont à la fois soutiens et obstacles”79. Elles mettent en exergue “la difficulté de briser certains cadres géographiques, certaines réalités biologiques, certaines limites de la productivité, voire telles ou telles contraintes spirituelles”80.

Chaque structure a son propre temps et son propre espace. Dans le domaine du

management et de l'étude des organisations, Pettigrew81 a pointé les différents niveaux d’analyse dans son analyse longitudinale de l’entreprise ICI. Schein82, lorsqu’il abordait de la difficulté de faire évoluer la culture d’une organisation, traitait la question des cadres mentaux qui emprisonnent mais structurent aussi les organisations. Par ce fait, il accordait une temporalité propre à la culture d'une entreprise. Plusieurs chercheurs comme Gunderson et

consultation: 24 septembre 2017

78Braudel, F., « Histoire et Sciences Sociales : La Longue Durée », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 13e année, No.4, 1958. p.728

79Ibid., p.731

80Ibid.

p.32-Holling83, associés au courant des systèmes dynamiques complexes84, ont également recours à une conceptualisation du temps et de l'espace sur différents niveaux.

Offe et Keane traduisent cela de façon encore plus explicite: “toute société humaine opère au travers d’un ensemble institutionnalisé de règles. Une partie de ces règles déterminent le processus par lequel la société se reproduit matériellement, et ainsi transcende la durée de vie de ses membres individuels. Plus spécifiquement, ces règles institutionnalisées de la reproduction matérielle régulent trois éléments; notamment, le contrôle effectif sur la main d’œuvre, sur les moyens matériels et les ressources de production et sur le produit en tant que tel. De nombreux mécanismes de contrôle, ou modes de production, qui régulent ces trois éléments de la reproduction matérielle, peuvent être distingués au cours de l’histoire. Chaque mode a ses propres besoins économiques, politiques et culturels desquels il dépend pour sécuriser sa continuité en tant que mode de production sociétal”85.

Au sein de l'ensemble large de « société humaine » se trouvent des organisations. Pour Offe86, la structure d'une organisation serait dès lors un ensemble de règles de sélection sédimentées (historiquement déposées et superposées). La répétition de ces règles crée une séquence normale d’événements, une conduite “habituelle” qui est un sédiment d’apprentissages passés87 satisfaisants. Cette satisfaction partielle découle de l'impossibilité pour le cerveau humain d'appréhender toute la réalité objective. Comme les acteurs ne sont capables que d’en appréhender une partie (bounded rationality)88, la structure de l'organisation vise à fournir une réponse aux problèmes actuels sur base des réponses fournies par le passé avec une certaine satisfaction. La structure des organisations reflète dès lors les choix des acteurs sur base d’une appréhension fragmentaire de la réalité objective.

83Gunderson, L.H., Holling, C.S., Panarchy: understanding transformations in human and natural systems, Washington D.C.: Island Press, 2002

84Checkland, Peter, “The relevance of soft systems thinking”, Human Resource Development International, vol.3, No.3, 2000, pp. 377–383 ; Folke, Carl, “Conservation, Driving Forces, and Institutions”,

Ecological Applications, Vol.6, No.2., 1996, pp. 370-372 ; Folke, Carl, “Resilience: The emergence of a perspective for social–ecological systems analyses”, Global Environmental Change, vol.16, 2006, pp.253–267 ;

Walker, B., Holling, C. S., Carpenter, S. R., et Kinzig, A., “Resilience, adaptability and transformability in social–ecological systems”, Ecology and Society, vol.9, No.2, 2004 [article en ligne] ; Holling, C.S., “Understanding the Complexity of Ecological, Economical and Social Systems”, Ecosystems, vol.4, 2001, pp.390–405 ; Holling, C. S., “From complex regions to complex worlds”, Ecology and Society, vol.9, No.1, 2004. [article en ligne]

; Walker, B, Salt, S., Resilience Thinking : Sustaining Ecosystems and People in a Changing World, Londres: Island Press, 2006

85 Offe, C., Keane, J., Contradictions on the Welfare State, London, Hutchinson Ltd., 1984, pp.131-132

86 Offe, C., “Political authority and class structure - an analysis of capitalist societies”, International Journal

of Sociology, vol.2, No.1, 1972, pp.73-108

87 Bauman, Z., Thinking sociologically, Oxford: Blackwell, 1990, p.110

88 Simon, H.A., “A Behavioral Model of Rational Choice”, Quarterly Journal of Economics 69(1), 1955, pp.99-118

Évidemment, une réponse satisfaisante pour un acteur ne l’est pas obligatoirement pour un autre acteur de l’organisation. C’est pourquoi les règles reflètent les réponses passées estimées “satisfaisantes” par la coalition dominante, c’est-à-dire les réponses qui permettent à la coalition dominante de poursuivre ses buts.

De ce fait, la structure d’une organisation est un ensemble de règles de sélection

sédimentées (historiquement déposées et superposées) permettant à la coalition dominante de poursuivre ses buts dans un contexte donné.

Par extension, cette définition de la structure intègre une partie du poids de l'histoire dans l'analyse de l'organisation.

1.5.2.L'étude dynamique des trajectoires de l’institutionnalisme

historique

L’institutionnalisme historique cherche à comprendre comment “des formes organisationnelles particulières se montrent incroyablement résilientes et résistantes face à des ruptures historiques majeures (…) c’est-à-dire des chocs exogènes dont on attendrait a

priori qu’ils brisent les modèles antérieurs et donnent naissance à des innovations

institutionnelles”89.

La conception d'une structure d'organisation comme ensemble de règles de sélection sédimentées est un premier élément de réponse, puisque le poids des décisions antérieures donne à l'organisation et ses acteurs une certaine inertie. Cette conception se recoupe d'ailleurs partiellement avec une définition des institutions qui fait consensus malgré un champ d'étude large aux limites floues90 : ’’une institution est un système de règles, de croyances, de normes et d’organisations qui, ensemble, génèrent une régularité du comportement (social)91”. Les règles - formelles, informelles, matérielles, cognitives,

89Thelen, K., “Comment les institutions évoluent : perspectives de l’analyse comparative historique”, in

Association recherche et régulation, L’année de la régulation. Economie, institutions, pouvoirs, No.7, Presses de Sciences Po, 2003, pp.13-43 (p.15)

90Djelic, M-L., “Institutional perspectives: working towards coherence or irreconcilable diversity“, in Morgan, G., Campbell, J., Crouch, C. Pedersen, O.K. et Whitley, R., The Oxford Handbook of Comparative Institutional

Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2010, pp.13-40. Disponible sur:

http://www.academia.edu/1330793/Institutional_Perspectives_Working_towards_Coherence_or_Irreconcilable_ Diversity

organisationnelles, culturelles - fourniraient une stabilité et un sens92. Les institutions évoluent au cours du temps, principalement par le biais de changements progressifs aux effets transformatifs”93.

Le courant de l'institutionnalisme historique a fait émerger des concepts et des outils qui permettent de mieux appréhender les trajectoires des organisations.