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Premi ères décennies du syndicat socialiste

valeur d’échange

CHAPITRE 3 – INTRODUCTION AUX ORGANISATIONS SYNDICALESORGANISATIONS SYNDICALES

B) Les relations sociales

5.2. LE SYNDICAT SOCIALISTE

5.2.1. Premi ères décennies du syndicat socialiste

Le syndicat socialiste est fortement lié, historiquement, au parti socialiste et à son ancêtre, le Parti Ouvrier Belge (POB) fondé par des sociétés ouvrières et mutualistes en 1885. En 1890, il y aurait eu 36.000 syndiqués au sein du POB, dont 26.000 étaient mineurs37. Au

37 Chlepner, B.-S., Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Bruxelles: Institut de Sociologie, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1972, p.115

programme du POB se trouvent tant des revendications politiques - comme le suffrage universel - que des revendications plus économiques.

Idéologiquement, “le POB n’a jamais été révolutionnaire, il adopte dès 1885-1889 la

stratégie méthodique de l’encadrement de la classe ouvrière par la multiplication des services attractifs, et réclame le suffrage universel pour pouvoir introduire par le biais du système parlementaire une législation favorable à la classe ouvrière. Si l’objet est la transformation de la société, il sera atteint par le développement de services publics grâce au contrôle exercé sur la gestion communale (le socialisme communal de Louis Bertrand, 1894) et par le développement des coopératives ouvrières au plan économique. “Concurrencer le capitalisme sur son propre terrain” (E. Anseele): c’est l’option que les Belges proposent au Congrès de Paris de la IIe Internationale en 1901, à la grande indignation du courant marxiste”38.

Structurellement, le POB est créé à partir de, et est appelé à rassembler en son sein, toutes les composantes - disparates - de la classe ouvrière belge de l’époque. Dès l’origine, une tension très forte existait : d’un côté, la nécessité d’unifier et de dépasser des particularismes professionnels; de l’autre, la volonté de maintenir son autonomie locale.

Financièrement, le syndicalisme souffre d’une faiblesse de moyens. La première

cause est la faiblesse des salaires de l'époque. Et deuxièmement, le syndicat n'est pas le premier vecteur utilisé par le POB pour faire entrer le socialisme dans les couches populaires. Le POB lui préfère les coopératives, très populaires en raison de leur capacité à diminuer le coût de la vie. Les ressources restantes des travailleurs sont absorbées par les mutuelles39, ce qui ne laisse quasi rien pour les syndicats. Le POB a essayé de jouer un rôle centralisateur

en créant une caisse centrale alimentée par des cotisations facultatives des syndicats affiliés

mais la “phobie des actions incontrôlées, jointe aux réticences des fédérations syndicales à alimenter une caisse qu’elles ne contrôlent pas directement mettent fin à l’expérience de la caisse centrale en 1891”40.

En 1896, sortant d’années de crise qui augurent de nouvelles victoires à condition d’avoir les organisations pour aller au combat, le POB s’interroge sur la dynamisation du syndicalisme ouvrier. Deux options existent: l’option mutualiste d’inspiration britannique et

38 Leboutte, R., et al., op.cit., 1998, p.88-89

39 Mahoux, J.-P., “Aux origines de la Commission syndicale 1885-1898” in Messiaen, J.-J., Peiren, L. (dir.),

Un siècle de solidarité. Histoire du syndicat socialiste, 1997

l’option centralisatrice d’inspiration germanique. Cette dernière augure un syndicalisme plus combatif, mais plus compliqué à mettre en œuvre pratiquement en raison des velléités autonomistes et centrifuges. C’est pourtant celle-là qui est choisie.

En 1898 est créée la Commission syndicale dans le but de favoriser la concentration syndicale en affirmant son rôle confédéral. Si la Commission est clairement

socialiste41, l’aspect confédéral est destiné à apaiser plusieurs fédérations de métiers, dont certaines refusaient de rejoindre la Commission syndicale en raison de son inféodation structurelle au POB. Dans un mouvement progressif d’indépendance par rapport au POB, notamment sous l’impulsion des syndicats “indépendants”42, la Commission syndicale prendra le nom de Commission syndicale du POB et des syndicats indépendants - et parmi eux, des syndicats anarchistes - que les socialistes préféraient avoir avec eux que contre eux. Parmi les syndicats indépendants, il y a également des syndicats de métiers, qui englobent la quasi totalité de la profession, indépendamment des clivages philosophiques, et qui cherchent à se prémunir contre la concurrence des travailleurs peu qualifiés. Ces syndicats de métiers cherchaient avant tout à conserver leurs membres, croyants ou non43.

La tâche de la Commission syndicale est triple. Elle doit servir d’organe de documentation aux syndicats à tendance socialiste, implanter des syndicats socialistes là où il n’y en a pas encore et enfin développer des fédérations nationales d’industrie rassemblant différents syndicats locaux. Au départ, cette première structure confédérale est légère, composée de quelques permanents seulement et de puissantes centrales professionnelles44. En 1921, la Centrale des Métallurgistes de Belgique compte 163.000 membres et dispose de 38 secrétaires permanents et de 58 employés45. Ces permanents de centrale veillent à l’encadrement du grand nombre de nouveaux affiliés qui rejoignent la CMB, mais en tempèrent également les ardeurs révolutionnaires46.

La légèreté de la structure nationale de la Commission syndicale s’explique par la faiblesse et l’irrégularité des cotisations en provenance des organisations membres. De

41 La Commission Syndicale du POB ne dispose pas de charte propre mais s’appuie sur la Charte de Quaregnon, texte doctrinal adopté par le mouvement socialiste belge en 1894. Ce texte met la lutte des classes au coeur du régime capitaliste et est internationaliste en ce qu’il propose la mise en place d’une société sans classes afin de réaliser l’émancipation des travailleurs et de l’humanité toute en entière.

42 Spitaels, G., Le mouvement syndical en Belgique, Bruxelles: Editions de l’Institut de Sociologie de l’Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 1967, p.14

43 Chlepner, B.-S., op.cit., 1972 p.115

44 Faniel, J., art.cit., 2010, pp.101. Voir aussi Chlepner, B-S., op.cit, 1972, p.115-116

45 Nauwelaerts, M., “De socialistische syndikale beweging na de eerste wereldoorlog (1919-1921)”, Revue

belge d’histoire contemporaine, vol. 4, No.3-4, 1973, p.351

46 Ibid.

plus, comme les cotisations payées ne le sont souvent que partiellement, la Commission est

sous perfusion financière du Parti Ouvrier47.

Les directions de la Commission syndicale et du POB analysent que la faiblesse du

mouvement syndical tient dans “l’esprit de clocher des chefs locaux”48, ce à quoi elles vont tenter de remédier en initiant une seconde tentative de centralisation financière au

niveau national.

En 1907, Georges Maes propose la création d’un fonds de réserve - alimenté par des dons - devant octroyer les sommes nécessaires au déclenchement de mouvements. Les syndicalistes anversois proposent plutôt une caisse de résistance - avec cotisation obligatoire de tous les membres - qui serait mise à profit en cas de conflit prolongé. Les deux “caisses” n’étant pas jugées antagonistes, le congrès de 1908 vote, en principe, la mise en place des deux. En 1913, le congrès syndical vote la dissolution de la caisse de résistance, qui

n’était, en pratique, pas assez alimentée. “L’esprit de clocher des chefs locaux” n’a pas été

vaincu.

Par contre, cette initiative de caisse commune a permis le regroupement de syndicats locaux en fédérations régionales ou nationales, dotées de caisses de résistances à leur niveau. Au niveau financier, une centralisation a donc bien lieu, mais sur base des secteurs

d’activité. Elle a pour effet de ramener dans le giron de la Commission syndicale, via les

fédérations, un certain nombre de syndicats en quête de rejoindre une organisation plus puissante: entre 1914 et 1919, la Commission Syndicale passe de 129.000 affiliés à 576.000. Dans les deux années suivantes, alors que sévit le chômage, la Commission syndicale

continue de croître: elle augmente encore de plus 100.000 affiliés qui sont, en 1921, au

nombre de 689.00049.

Entre 1922 et 1930, le nombre d’affiliés se réduit, notamment en raison de tensions internes au mouvement ouvrier. Des cellules communistes - la révolution russe a eu lieu en

1917 - tentent de noyauter le syndicat et lancent des grèves sauvages. Suite à ces agissements, le Congrès de la Commission Syndicale décida en août 1924 que “la fonction de dirigeant, de quelque grade que ce soit, d’un syndicat moderne, affilié à la Commission syndicale est

incompatible avec la qualité de membre du Parti Communiste”50.

47 Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.116

48 cité par Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.116

49 Faniel, J., art.cit., 2010, p.101

Idéologiquement, d’autres tendances s’affichent et coexistent. Ainsi, la même année apparaissait la revendication de contrôle ouvrier: “la réalisation intégrale du

contrôle ouvrier apparaît en un sens comme le but même auquel nous tendons: affranchir les travailleurs, tous les travailleurs de toute tutelle et de tout parasitisme, confier à leur collectivité entière la direction totale de la production”51. En 1926, De Man, tête pensante du socialisme belge, publie Au-delà du Marxisme qui évoque déjà, en le maquillant sous les appellations socialistes, l’Ordre Nouveau et le corporatisme. En interne, les dirigeants syndicaux font preuve de peu de lucidité par rapport aux causes et aux solutions à apporter à la crise52. Par contre, il se trouve des dirigeants syndicaux pour conspuer le corporatisme affiché à l’extérieur à l’organisation par l’Ordre du Travail flamand53. Hormis le fait qu’elle n’est pas appliquée à l’intérieur de l’organisation, l’analyse est excellente des dangers du corporatisme. Lorsque Leemans (VNV) annonce “non pas une socialisation des moyens de production, mais la socialisation du cœur et de l’esprit, par une camaraderie réelle”, Rens analyse que “nos capitalistes flamands peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles. Le socialisme de l’Ordre du Travail flamand n’expropriera pas leurs moyens de production et, en ce qui concerne la socialisation des cœurs et de l’esprit, cela ne coûte rien et sera, au surplus, très difficile à contrôler”.

La grève générale de 1936, la reconnaissance de la CSC comme un acteur incontournable ainsi que le progressif crédit politique qui est accordée au syndicat socialiste provoque en 1937 un pas vers la distanciation officielle par rapport au POB. En 1937, la Commission syndicale fait place à la Confédération Générale du travail de Belgique

(CGTB) qui se dote d’une Déclaration de principe propre, pourra décider d’un apport

financier lors des conflits et décider de l’extension du conflit à d’autres secteurs d’activités54. Jusqu’alors, la Commission syndicale au sein du POB ne pouvait se le permettre. Pour la

première fois dans l’histoire du syndicat, la structure fédérale, nationale, dispose d’un pouvoir autre que symbolique par rapport aux centrales55. La CGTB pourra désormais « à

51 De Brouckere, L., “Le contrôle ouvrier”, Les Cahiers de la Commission Syndicale, Bruxelles, 1924

52 Nauwelaerts, M., art.cit., 1973, pp. 362-366.

53 Rens, J., “L’Ordre du Travail flamand”, Le Mouvement syndical belge, No.12, 22 décembre 1936, pp.241-245

En ligne (dernière consultation: 17 juillet 2016) :

ftp://digital.amsab.be/pubs_serials/Le_Mouvement_Syndical_Belge_1918-1940/mouvsybe_1936/mouvsybe_1936_nr12.pdf

54 Spitaels, G., op.cit., 1967, p.15

55 Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.265

n’importe quel moment, après avoir entendu le comité central des organisations intéressées, décider, de sa propre autorité, qu’il y a lieu de cesser la lutte et de reprendre le travail »56. En outre, elle “a le droit de décréter des mouvements, y compris la grève générale, notamment pour des revendications d’ordre général intéressant l’ensemble des travailleurs”57.

De plus, la centralisation des structures progresse d’un pas avec la création de

centrales d’industries, potentiellement moins corporatistes (au sens technique). Le

nombre d’organisations affiliées à la Commission syndicale est passé de 31 en 1920 à 24 en 193758.

En 1939, Paul Finet alors secrétaire national de la CGTB réaffirme l’idéologie socialiste de son syndicat et l’oppose à la ligne plus réformiste du syndicat chrétien. Il écrit : ”il y a dans le mouvement syndical belge deux tendances à peu près équivalentes, mais qui se manifestent le plus souvent à l’état latent et qui jusqu’ici n’ont pas trouvé une expression claire et nette. La première de ces tendances s’inspire du syndicalisme révolutionnaire proudhonien. L’autre, au contraire, s’inspire du trade-unionisme anglais ou suédois, et il semble qu’il ait tendance à se contenter de l’amélioration du standing de vie de la classe ouvrière, sans mettre en question l’existence du capitalisme”59.

Toutefois, l’idéal révolutionnaire proudhonien - de tendance anarchiste - n’empêchera ni la croyance dans le parlementarisme bourgeois, ni les purges régulières vis-à-vis des éléments rouges les plus radicaux. Émile Vandervelde confiait à Chlepner vers 1924 que “contrairement à ce qu’on croit, ce ne sont pas toujours les hommes politiques qui, dans notre Parti, se prononcent en faveur de la participation au pouvoir. Ce sont surtout les

syndicalistes qui nous y engagent. Ils savent par l’expérience combien la présence au gouvernement d’hommes favorables à leurs tendances, facilite leur tâche dans la lutte quotidienne”60. En témoigne l’attitude des dirigeants syndicaux lorsque le Congrès du Parti Ouvrier refuse la participation au gouvernement Pierlot: la CGTB désapprouve publiquement la décision qui “ne tient guère compte de l’opinion de la grande majorité des syndicalistes”. Elle regrettait même “que le mouvement syndical, qui fournit au Parti le plus grand nombre de ses membres et le plus clair de ses ressources, n’y dispose pas d’une influence correspondante”61. Le parlementarisme bourgeois est déjà solidement ancré dans les

56 article 36 des statuts de la CGTB, cité par Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.265

57 article 39 des statuts de la CGTB, cité par Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.265

58 Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.265

59 Mahoux, J.-P., op.cit., 1997, p.19

60 Chlepner, B.-S., op.cit., 1972, p.261 (note de bas de page)

esprits syndicaux socialistes. Sous couvert de préservation de l’unité au sein de la structure, la direction syndicale prend souvent position contre les tendances les plus radicales du mouvement, qui présentaient “un danger plus grand que le rexisme ou le nationalisme flamand”62.

Les buts officiels de lutte des classes ne coïncident pas vraiment avec les buts opérants.