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valeur d’échange

Hypothèse 2: la concertation entre le travail et le capital naît du conflit d'intérêts entre le travail et le capital. Si elle peut sembler triviale, cette hypothèse est fondamentale car elle

B) La base id éologique

Comme toujours, l’infrastructure servira de socle à la superstructure dont le but sera de maintenir en place les rapports de production. Il s’agit de former des experts, de forger une mentalité soutenue par des institutions.

L’Economic Cooperation Administration installe ses experts dans toutes les capitales d’Europe. Ils ont pour mission de faire pression sur les gouvernements européens pour aller dans le sens des États-Unis.11 Pendant que les États-Unis placent leurs hommes, les entreprises de plusieurs pays d’Europe envoient des émissaires en “missions de

productivité” aux États-Unis afin d’y découvrir l’ingénierie technique et sociale qui permet

d’augmenter la productivité des entreprises.12 Les émissaires décrivent dans leurs rapports “l’esprit de productivité” américain et la “nouvelle conception des facteurs humains dans l’industrie”13 qui va préfigurer de l’importation en Europe des modèles d’organisation “scientifique” du travail et la gestion “rationnelle” des entreprises.

Idéologiquement, il s’agira d’assurer “un climat de confiance” qui contribuera à

maintenir “la coopération entre chefs d'entreprises et travailleurs14”, typique de la social-démocratie. Concrètement, les augmentations de gains de productivité devront se refléter

dans le salaire. Cette recommandation repose en réalité sur l’analyse que les américains font

9 Cottenier, J., Houben, H., art.cit., 2008

10 Id. ; Houben, H., La crise de trente ans, Bruxelles, Éditions Aden, 2011 ; Savage, R., Economie belge

1953-2000 : ruptures et mutations, Chapitre 2, Louvain-La-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2004,

pp.30-31

11 Milward A., op.cit., 1990, p. 128

12 Boltanski L.. “America, America…Le Plan Marshall et l'importation du "management”, Actes de la

recherche en sciences sociales, vol. 38, mai 1981, pp. 19-41.

13 Les problèmes de gestion des entreprises. Opinions américaines, opinions européennes, publié par l'OECE, Paris, octobre 1954, p. 13

de la crise de 1929. Ils sont persuadés que la crise a pour origine une sous-consommation. Pendant les années 20 aux États-Unis, les salaires n’ont pas été impactés par les gains de productivité. Il s’agit pour eux de ne plus reproduire la même erreur.

Grâce à ces méthodes et cet esprit, la productivité industrielle européenne connaît une croissance rapide et la répartition des revenus se maintient en équilibre15 au cours des années 60. Il y a une croissance parallèle entre la production, la productivité et les salaires.16

15 Cottenier, J., Houben, H., art.cit., 2008

16 Houben, H., op.cit., 2011, p.198

6.2. CONTEXTE BELGE

En synthèse :

Économiquement, la période de 1945 à 1973 se divise en deux parties. Entre 1945 et 1960, la

Belgique ne connaît pas de grande croissance économique, exception faite pour l’immédiat après-guerre en raison de la préservation de l’industrie belge par la doctrine Galopin. Le chômage en Flandre est important et l’industrie wallonne est vieillissante. Les capitaux étrangers préparés par le plan Marshall seront attirés en Belgique par la signature par les syndicats et le patronat d’une déclaration commune sur la productivité. Cette arrivée de capitaux est dirigée principalement vers la Flandre qui est dotée d’une nouvelle industrie. En Wallonie, les industries entament leurs fermetures. La première déclaration de productivité restaurera le taux de profit des entreprises. Elle sera suivie d’une nouvelle déclaration en 1959 à la demande des syndicats qui inscrivent plus clairement encore que l’augmentation de la productivité ne pouvait se répercuter négativement sur l’emploi.

À partir des années 60, la croissance économique est au rendez-vous. Patrons et syndicats se répartissent en bonne entente les gains de productivité, conformément aux accords de programmation biennaux qui ont pour effet de stabiliser l’environnement économique et le mode de production capitaliste. Les syndicats “se battent offensivement”. Accompagné par l’État, l’essentiel des investissements étrangers se dirige vers la Flandre qui sort du marasme économique par une modernisation de son industrie. La Wallonie bénéficie du vent économique favorable mais ne connaît pas de renouvellement structurel de son industrie. Il n’y a pas à proprement parler de désindustrialisation. Par contre, l’emploi tertiaire augmente (secteurs publics et services), notamment sur base de la féminisation de l’emploi, et diminue les gains de productivité.

Après dix ans, l’essor économique s’essouffle et le taux de profit amorce une chute à la fin des années 60.

Politiquement, les trois décennies sont riches en clivages consociatifs. Le Pacte social-démocrate

d’après-guerre rapproche les possédants et les possédés mais la question royale divise le pays linguistiquement et régionalement: la Flandre voulait le retour du roi alors que la Wallonie y était opposée. Bruxelles, avec ses 48%, était indécise. La guerre scolaire ressoude les catholiques francophones et flamands en propulsant à l’avant-plan le clivage philosophique. Le clivage linguistique reprendra le dessus lors de la grève de l’hiver 60-61 - même si les grévistes catholiques wallons fluctuent en fonction des régions. Ce clivage linguistique s’ancre toutefois avant tout dans des disparités économiques de plus en plus fortes. La grève de 60 trouvera son issue politique dans la constitution du Mouvement Populaire Wallon tiré par André Renard.

Idéologiquement, la période est au rapprochement entre l’État, les syndicats et le patronat. Le

climat d’après-guerre et la peur du communisme permettent la mise en place de la sécurité sociale qui garantit aux travailleurs un minimum d’existence et aux patrons un renouvellement de la main d’œuvre . L’institutionnalisation des relations collectives de travail d’avant-guerre est poursuivie et aboutit à consacrer le niveau interprofessionnel des syndicats par le biais des accords interprofessionnels. Cette architecture néo-corporatiste ne remet pas en question les rapports de production.

6.2.1. Économie et politique