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valeur d’échange

CHAPITRE 3 – INTRODUCTION AUX ORGANISATIONS SYNDICALESORGANISATIONS SYNDICALES

B) Les relations sociales

5.1.2. L ’entre deux guerres

A) L ’économie11

À la sortie de la première guerre, l’économie belge est dévastée et les industries sont

10 Id., p.20

démantelées. Hormis les charbonnages qui ont été préservés, l’industrie est à reconstruire.

Durant les années 20, les charbonnages vont s’étendre en Flandre (en Campine) et la métallurgie qui n’était plus assez concurrentielle fera l’objet de lourdes rénovations. La région d’Anvers prendra un essor industriel grâce à la construction automobile, l’installation du secteur chimique mais aussi grâce au port qui voit s’acheminer les matières premières en provenance du Congo. La bourgeoisie francophone qui investissait sur l’ensemble du territoire national voit apparaître le Vlaams Economisch Verbond, créé par la bourgeoisie flamande qui ambitionne de promouvoir les intérêts économiques flamands.

Entre 1920 et 1930, la Belgique est une petite économie ouverte, spécialisée dans l’exportation de produits semi-finis et important des produits finis. Soit l’exact inverse

d’un pays économiquement dominant.

La crise de 29 s’exporte vers la Belgique qui voit chuter ses exportations. Elles

entraînent dans leur chute le secteur de la métallurgie et celui de l’automobile. Le secteur verrier et textile sont également en grande difficulté. Seul le charbonnage résiste. Mais dans les bassins industriels, c’est la misère sociale: le nombre de chômeurs explose. Sur 1800.000 travailleurs dans le commerce et l’industrie, seuls 3.291 étaient au chômage complet en 1929. Ils sont 173.368 en 193412 et quasiment autant en chômage partiel.

En 1935, le gouvernement tripartite (catholique, socialiste et libéral) contribuera à faire baisser le chômage par la dévaluation du franc belge, la diminution des impôts, une

politique keynésienne via la relance des grands travaux et une facilitation d’accès au crédit.13

B) Les relations sociales

“Jamais la Belgique n’a été aussi belge que durant le conflit et dans les années qui ont suivi”14.

L’issue de la première guerre mondiale est une opportunité pour les trois parties en présence. Le gouvernement, soucieux que les travailleurs reconstruisent le pays, souhaite mettre en place des mécanismes institutionnels de pacification du conflit capital/travail. En

12 Id., p.146

13 Id., pp.146-147

14 Id., p.139

1918, Léon Delacroix (Premier ministre du gouvernement d’union nationale), plaidant pour la généralisation des commissions paritaires déclare : “nous sommes arrivés à une heure où, dans tous les domaines, les efforts du travail et du capital doivent se réunir comme une nécessité spéciale créée par la guerre”.

Le gouvernement remet sur le métier l’institutionnalisation des relations sociales en mettant en place des commissions paritaires ainsi que des comités officiels de conciliation et d’arbitrage. Ces commissions contribuent à structurer le patronat15 et met en place les structures où les élites des différents groupes se rencontrent.

Le gouvernement assortit ces organes de sanctions16:

 Si les employeurs font un lock-out sans avoir tenté la conciliation, les travailleurs seront considérés comme chômeurs involontaires et toucheront des allocations de chômage

 Si la tentative échoue par la faute des travailleurs, l’organisation syndicale qui les représente sera exclue pendant un an du bénéfice de l’article 15 à moins qu’elle n’établisse que la grève s’est faite sans son accord et sans son appui.

Cette dernière disposition est un message clair aux organisations syndicales: elles ne seront reconnues que si elles parviennent à maîtriser leurs troupes.

Dans les faits, les comités de conciliation et d’arbitrage n’ont aucune influence sur les conflits. Par contre, les commissions paritaires, elles, se multiplient et seront un meilleur vecteur d’institutionnalisation.

En 1919, les prix de 22 produits de base ont augmenté de 250% par rapport à 1914. Le

taux de chômage est tellement important que les allocations de chômage sont désormais

complétées par l’État, ce qui explique la croissance fulgurante des organisations

syndicales17. La commission syndicale du Parti Ouvrier Belge (ancêtre de la FGTB) lance un appel à la classe ouvrière posant trois revendications: la journée des huit heures, un salaire minimum et la reconnaissance des syndicats. Les grèves sont nombreuses et longues,

15 Id. 1998, p.154

16 Arrêté royal du 5 mai 1926, articles 15 et 16. Voir également dans le Rapport de la Commission de l’Industrie, de Travail et de la Prévoyance Sociale, chargée de l’examen du budget du Ministère de

l’Industrie, du Travail et de la Prévoyance Sociale pour l’exercice 1927, Documents du Sénat belge, séance du 31 mai 1927, articles 15 et 16

- En ligne (dernière consultation: 17 juillet 2016): http://www.senate.be/lexdocs/S0674/S06741629.pdf

particulièrement dans les charbonnages du Hainaut. Patrons et syndicats n’arrivent pas à s’entendre. Les travailleurs acceptent la conciliation mais le camp patronal bloque, refusant un dialogue d’organisation patronale à organisation syndicale. Ils préféreraient s’entretenir directement avec leurs ouvriers, sans passer par le syndicat. Les organisations syndicales demandent l’arbitrage du gouvernement, mais celui-ci est encore dépourvu d’instruments légaux pour imposer le dialogue. Au sommet de la crise, le gouvernement propose une rencontre (trois représentants des patrons et trois représentants des travailleurs) où l’idée d’une commission paritaire est évoquée. Le lendemain, trois industriels font savoir qu’ils sont favorables à l’idée d’entamer une discussion sur la réduction du temps de travail si celle-ci permettait une reprise du travail. Au niveau régional où les grèves étaient fortes (région du Centre et Charleroi), patrons et syndicats entament les discussions.

Le niveau de centralisation des organisations patronales et syndicats est toutefois déjà tel que des discussions régionales ne pouvaient qu’engendrer des discussions nationales. 15 jours après la discussion entre patrons et syndicats du Centre, le Premier ministre installe une commission nationale d’études pour la réduction de la durée du travail dans les usines métallurgiques. 15 jours après, une nouvelle commission nationale d’étude pour le même sujet est installée dans le secteur des mines. Il s’agit des premières commissions paritaires

nationales.

Après cela, les parties, syndicats ou employeurs, adresseront des demandes au gouvernement pour établir ces commissions paritaires. Le gouvernement fera le

recensement des organisations patronales du secteur et déterminera la représentativité des organisations syndicales qui commenceront à se disputer le nombre de mandats en commission paritaire.

Suite à l’établissement de commissions paritaires, de nouveaux problèmes surgissent. Il n’est en effet pas possible, pour les organisations syndicales, de vérifier les dires des employeurs lorsque ceux-ci refusent des avancées en raison de mauvaises situations économiques. De plus, les patrons se questionnent sur la véritable capacité des syndicats

à contrôler les travailleurs et à faire respecter les accords signés par leur délégation

(particulièrement lorsque ces représentants acceptent de baisser les salaires en raison de “mauvaises conditions économiques” du secteur). Enfin, les syndicats se questionnent sur le même point: comment arriveront-ils à faire accepter l’idée d’une conciliation avant de mettre en œuvre une grève?

Ce dernier questionnement trouve sa réponse lors de l’été 1932, où les mineurs

refusent les baisses de salaires négociées par les syndicats et lancent une grève quasi insurrectionnelle18. La Centrale des mineurs n'arrive pas à exercer un contrôle sur les affiliés. Ceux-ci reprendront finalement le travail en septembre, mais le conflit laisse des traces profondes et une partie de la classe ouvrière se rallie à la gauche radicale.

Toutefois, essentiellement sous l’impulsion du gouvernement, les commissions paritaires se multiplient. Alors que le syndicat socialiste, au début des années 20, émet encore des réserves, notamment relatives aux aspects de collaboration de classe que revêtent ces commissions paritaires, la CSC, dès 1925, est tout à fait favorable aux commissions paritaires organisées par le pouvoir public et en demande la généralisation dans tous les secteurs. Elle demande même que ces organes soient capables de légiférer. Dans un rapport de l’époque pointe déjà sa vision très globale (tant pour des raisons idéologiques que structurelles - voir

infra) : “sans commission paritaire, certaines catégories d’ouvriers auraient sans doute une

situation plus avantageuse mais combien d’autres, défavorisées par le milieu et par les circonstances, en seraient toujours à attendre ce qu’elles ont obtenu il y a longtemps”19. Cette position reflète également la tendance au compromis, à la modération et à la responsabilité, caractéristiques de la CSC qui cherche à protéger presque malgré eux les plus pauvres, les plus faibles et les plus malheureux.

En 1933, les socialistes - qui n’étaient pas au gouvernement - présentent un plan de

travail avec lequel la CSC est d’accord sur plusieurs points. Ce plan aux effluves

corporatistes est élaboré par Henri De Man, alors tête pensante du parti ouvrier belge et

directeur du Bureau d’études sociales. Il propose de s’attaquer au chômage qui cause la sous-consommation et donc la crise en ralliant toutes les couches sociales touchées par la crise et en proposant une alliance avec les “classes moyennes prolétarisées”20. Il s’agit d’unir les victimes du capital financier: le prolétariat, mais aussi “des classes moyennes en révolte contre l’hypercapitalisme de la haute banque”21. Autrement dit, il propose une transformation sociale d’ensemble sans pour autant toucher aux structures de l’économie, à la propriété privée ou à l’économie de marché22. Le Plan suggère l’instauration d’un régime d’économie mixte dirigée, la nationalisation du crédit, une réforme de l’État et du régime parlementaire

18 Huberty, C., « La Grève de 1932 », Carhop, 2007. Disponible en ligne : https://www.carhop.be/images/Gr %C3%A8ve_g%C3%A9n%C3%A9rale_1932_C.HUBERTY_2007.pdf. Dernière consultation : 30 septembre 2017.

19 CSC, Rapport moral et financier au Vième congrès de la CSC, juillet 1925.

20 De Man, H., “Discours au congrès de Noël du POB”, in Valois, G., Chantiers coopératifs, 21 mars 1934

21 Id.

afin de mettre en place “une véritable démocratie économique et sociale”23.

Ce plan remplace le principe de lutte des classes par un front commun “de toutes les couches sociales productrices contre le puissances d’argent parasitaires”24 qui servirait à mettre en place un État fort qui mettrait sous tutelle les secteurs de l’économie.

Toutefois, pour exister sur la scène publique, l’organisation syndicale chrétienne sait qu’elle doit se distancier des socialistes. Dans le but d’empêcher une collaboration systématique entre la Commission syndicale du POB et la CSC, le gouvernement - catholique - distillera au compte-goutte des victoires que la CSC pourra revendiquer25.

1936. Grève de 500.000 travailleurs couplée à une montée de l’extrême droite (Rex

a 21 sièges du côté francophone, les nationalistes flamands ont 8 sièges) et des communistes (6 sièges). La grève ancre les deux syndicats dans le paysage belge et leur confère un statut d’organisations désormais incontournables26. Grâce à la fronde sociale, les organisations syndicales vont devenir des acteurs de concertation27 passant d’acteur économique à acteur politique. L’ampleur de la grève ainsi que son caractère national n’a été rendu possible que

suite à un accord entre la Commission syndicale socialiste (essentiellement présente en Wallonie) et la CSC, largement dominante en Flandre. Cet accord entre les syndicats témoigne du fait qu’il est désormais impossible pour le syndicat socialiste de parvenir à une grève générale nationale sans “reconnaître” la CSC qui est désormais légitimée par ses affiliés, le gouvernement et… la Commission syndicale du POB.

Le gouvernement (Van Zeeland II) convoque une réunion entre délégués des organisations syndicales et représentants du Comité central industriel dans le but d’enrayer cette dynamique de mécontentement. L’accord conclu porte sur le salaire minimum à 32 francs/jours, une semaine de congé, le principe de réduction de temps de travail, la reconnaissance des syndicats dans l’entreprise mais aussi l’organisation d’une assurance obligatoire maladie-invalidité. La communication commune des parties stipule toutefois que l’accord engage les personnes présentes autour de la table et non les organisations. Cette dernière précision indique qu’en 1936, les syndicats nationaux estiment ne pas avoir

encore suffisamment de contrôle sur la base des travailleurs pour qu’ils acceptent de

23 De Man, H., art.cit., in Valois, G., op.cit., 21 mars 1934

24 Id.

25 Mampuys, J., op.cit., 1994, p.208

26 Hemmerijckx,, R., Le mouvement syndical unifié et la naissance du renardisme, Courrier Hebdomadaire, No.1119-1120, 1986, p.5

27 Ibid.

leur déléguer un pouvoir.

Ce sont les commissions paritaires, alors que nombre d’imprécisions autour de leurs compétences règne encore, qui ont en charge de régler les modalités d’application en matière de congés payés. Aussi, dans nombre de secteurs professionnels, des demandes sont adressées au ministre pour créer des commissions paritaires. Le ministre s’exécute avec empressement.

En 1937, la Belgique compte 43 nouvelles commissions paritaires, 40 commissions paritaires en cours de création et 70 commissions paritaires actives et fonctionnelles (y compris une pour les banques). Les commissions paritaires deviendront des institutions incontournables. Cette accélération dans l’institutionnalisation inscrit les syndicats dans

le paysage économique et politique belge mais leur donne également une légitimité vis-à-vis de leur base, de laquelle ils peuvent dès lors espérer davantage de discipline.

L’arrivée de la guerre arrêtera les travaux de la conférence nationale du travail portant sur le contrôle des prix et la maîtrise des salaires réunie à l’initiative du Premier ministre Pierlot. Mais l’issue de la première conférence est que tous les acteurs (syndicats, patrons et État) vont “chercher ensemble, dans une atmosphère de collaboration loyale et d’estime réciproque, les solutions économique les plus adéquates et socialement les plus équitables aux problèmes qui se posent à leur attention (…) (et) à étendre leur examen à toute question d’intérêt commun susceptible d’être utilement débattue par eux”28. Joseph Bondas, alors Secrétaire général de la CGTB (socialiste) dira que “la lutte entre patronat et classe ouvrière diminue et est remplacée par de la collaboration. Le mouvement syndical ne veut pas de la lutte pour la lutte, mais la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et de vie de ses membres”29.

Cette conférence nationale est un nouveau jalon dans la régulation des relations collectives car elle adopte un cadre national contraignant, auquel toutes les commissions paritaires devront se conformer.