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valeur d’échange

A) La structure idéologique

À reprendre la métaphore de Marx et Engels, la société serait un édifice où une superstructure repose sur les fondations d’une infrastructure. Dans ce cas, l’idéologie est partie intégrante de la superstructure. Mais “elle se glisse (…) dans toutes les parties de l’édifice social, elle est comme le ciment qui assure la cohésion de l’édifice. Elle assure la cohésion des individus dans leurs rôles, leurs fonctions et leurs rapports sociaux”.36

L’idéologie est “l’ensemble des représentations que les membres d’une société se font de cette société et de la place qu’ils y tiennent”.37 Elle est présente dans tous les actes et gestes des individus - leurs jugements politiques, leurs comportements familiaux, la bonne

33 Au niveau syndical, Kurt Vandaele (2005) montre que le déterminisme économique ne suffit pas à lui seul à expliquer l’évolution du taux d’affiliation dans les syndicats. Il faut également tenir compte des institutions, du contexte politique. Voir : Vandaele, K., “Half a Century of Trade Union Membership. The Cyclical Macro-Determinants of Post-War Union Growth in Belgium, World Political Science Review, vol.1, No.2, 2005, pp.53-72

34 Politzer, G., op.cit., pp.167-179

35 Harnecker, M., op.cit., 1974, pp.78-84

36 Harnecker, M., op.cit., 1974, p.85

conscience, la résignation, la révolte,… - si bien qu’elle est “indissociable de leur “expérience vécue””.38 L’idéologie a une influence déformante, agit comme un prisme, un cadre d’analyse mental au travers duquel les individus perçoivent les situations et leurs environnements.

L’idéologie sert une fonction d’adaptation à la réalité. Elle permet aux individus de

s’adapter à leurs tâches et à leurs conditions d’existence. “L’idéologie religieuse, qui parle du sens de la souffrance et de la mort, procure aux exploités des représentations qui leur permettent de mieux supporter leurs conditions d’existence”.39

La fonction de l’idéologie dominante est de définir “ce qui existe, ce qui est juste et ce qui est possible”.40 Il en découle que les coutumes, les habitudes de travail et les routines sont également le reflet d’une idéologie.

L’idéologie s’exerce tant sur les exploités que sur les exploiteurs. Elle s’exerce “sur la conscience des exploités pour leur faire accepter comme “naturelle” leur condition d’exploités; (mais elle) s’exerce aussi sur la conscience des membres de la classe dominante pour leur permettre d’exercer comme “naturelles” leur exploitation et leur domination”.41

Chaque classe a sa représentation de la réalité, son prisme idéologique. La classe dominante essaie par ailleurs d’imposer son idéologie aux classes qu’elle domine, de façon à créer une hégémonie. “L’idéologie bourgeoise consacre beaucoup d’efforts à nier, à

masquer, voire défigurer la contradiction”42. Tant qu’elle y parvient, la bourgeoisie - actuelle classe dominante - est à même de reproduire les rapports de production qui lui sont favorables. C’est pourquoi il lui importe de faire apparaître les rapports de production existants comme étant “naturels”, “normaux”. Bref, d’imposer son hégémonie. À l’inverse, la partie consciente de la classe dominée mène la lutte des idées pour regagner les consciences de l’ensemble de la classe.43

“Un système hégémonique est, pour Gramsci, une société capitaliste dans laquelle les capitalistes exploitent avec le consentement des exploités”44. Dans le cadre d’un système hégémonique, le consentement doit être fabriqué par les classes dominantes afin d’asseoir sa

38 Harnecker, M., op.cit., 1974, p.86

39 Ibid., p.87

40 Clegg, S. et Dunkerley, D., op.cit., 1980, p.536

41 Harnecker, M., op.cit., 1974, p.88

42 Ollman, B., op.cit., 2005, p.31

domination sur les classes exploitées45. “Toute domination d’une minorité ne peut se maintenir que s’il lui est possible d’entraîner idéologiquement dans son sillage les classes qui ne sont pas directement et immédiatement révolutionnaires, d’obtenir d’elles le soutien de son pouvoir ou, tout le moins, la neutralité dans sa lutte pour le pouvoir ».46

Les “valeurs morales” évoquées par Mintzberg seraient donc, pour les marxistes, les normes idéologiques véhiculées par la classe dominante au niveau de la société en vue de maintenir sa domination sur les parties dominées de la population.

L’hégémonie est d’autant plus forte que les normes qu’elle véhicule ne sont pas questionnées.47 Dans une société capitaliste, les normes inquestionnées sont “en premier

lieu, celles de la propriété privée et du marché … qui déterminent largement les conditions de vie des gens et l’utilisation des ressources”48.

Toutefois, lorsque les classes dans la société ont chacune développé la conscience de leurs intérêts propres (la conscience de classe), l’hégémonie échoue. Gramsci49 analyse que la classe dominante a dès lors recours à de la coercition directe, notamment par le biais de la police et de l’armée, sous les ordres de l’État.50

L'idéologie – qui se recoupe grandement avec la culture évoquée par Chibber51 – joue dès lors un rôle fondamental dans la formation de classe et, par extension, dans l'action collective dont elle devient un ressort indispensable. C'est la raison pour son contenu et sa diffusion pourraient faire l'objet d'intenses conflits.

45 Plusieurs auteurs ont écrit au sujet de la fabrique du consentement: Lippman, W., Public Opinion, New York, McMillan, 1922; Bernays, E.L., Propaganda, Comment manipuler l'opinion en démocratie, Zones, 2007 (edition originale: 1928); Bernays, E.L., Cutler, H.W., The Engineering of Consent, University of Oklahoma Press, 1955.

46 Lukaçs, G., op.cit., 1960, p.346-347

47 Westergaard, J., Resler, H., Class in a Capitalist Society: A Study of Contemporary Britain, New York:

Basic Books, 1975, pp.141-277; Pahl, R.E., Winkler, J.T., “The Economic Elite: Theory and Practice”, in Stanworth, P., Giddens, A. (Eds), Elites and Power in British Society, Cambridge University Press, pp.102-122; Parry, G., Morris, P., “When is Decision not a Decision?”, in Crewe, I. (Ed), British Political Sociology

Yearbook: Elites in Western Democracy, vol.1, Londres: Croom Helm, pp.317-336; Clegg, S., Power, Rule and Domination: A Critical and Empirical Understanding of Power in Sociological Theory and Everyday Life, Londres: Routledge & Kegan Paul, 1975

cités par Clegg, S., Dunkerley, D., op.cit, 1980, p.495; Clegg, S., Courpasson, D., Phillips, N., Power and

Organizations, Londres: SAGE Publications, 2006, p.209

48 Westergaard, J., Resler, H., op.cit., 1975, p.143

49 Gramsci, A., Textes, Paris : Éditions sociales, 1983 – En ligne (dernière consultation: 17 juillet 2016): http://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/textes/gramsci_textes.pdf

50 Wright, E.O., art.cit., 2000. voir aussi Lénine, L’État et la Révolution (1917) dans œuvre s choisies. Tome 1, Bruxelles: Éditions Aden, 2007)