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La dialectique des syst èmes d’influence

CHAPITRE 1 – L'ANALYSE DES ORGANISATIONS SELON MINTZBERGSELON MINTZBERG

E) Les mécanismes de coordination relatifs aux départements

1.3.2. La dialectique des syst èmes d’influence

Les systèmes d’influence sont les mécanismes de contrôle mis en place par la coalition dominante pour garantir que les autres parties de l’organisation poursuivent effectivement les buts déterminés par la coalition dominante. Il s’agit pour la coalition

dominante d’asseoir son pouvoir, défini comme “la capacité à modifier le comportement des autres acteurs”.62

Ces systèmes d’influence ont une dialectique propre. Le système d’influence

consiste à imposer principalement un mécanisme de coordination (aux opérateurs ou entre les départements); celui qui avantage la coalition dominante et qui localise le pouvoir en son sein (l’institué).63 L’imposition d’un mécanisme suscite parfois des contestations qui augurent de “jeux politiques” au sein de l’organisation (l’instituant). Cette contestation est parfois intégrée, institutionnalisée, créant un nouvel institué (institutionnalisation).

A) L ’institué

Chaque système d’influence développe une préférence pour un mécanisme de coordination en particulier, qui aboutit à localiser le pouvoir dans une partie de l’organisation.

Avec le système de contrôle personnel, “le pouvoir est localisé dans le sommet stratégique; le mécanisme de coordination dominant [relatif au travail des opérateurs] est la supervision directe”.64 Le contrôle personnel est typique des petites structures. Peu de pouvoir est délégué formellement à la ligne hiérarchique et peu de pouvoir est exercé informellement par d’autres acteurs. Les propriétaires de l’organisation - s’ils existent - développent plutôt une attitude passive, de même que les analystes - s’ils existent. Les opérateurs ne sont pas en mesure d’exercer du pouvoir et les syndicats, lorsqu’ils existent, n’ont généralement pas d’impact sur les décisions.

Avec le système de contrôle bureaucratique, le mécanisme de coordination prédominant relatif au travail des opérateurs est la standardisation des procédés ou des résultats qui localisent le pouvoir au niveau du sommet stratégique, dans le haut de la ligne hiérarchique et chez les analystes de la technostructure. C’est dans ce système que le pouvoir des associations d’employés sera le plus grand. Les organisations ayant développé ce système

62 Mintzberg, H., op.cit., 2003, p.40 ; Nizet et Pichault (2001, p.59) indiquent qu’ils utilisent “pouvoir” et “influence” de façon interchangeable.

63 L’institué, l’instituant et l’institutionnalisation sont les trois “temps de l’analyse institutionnelle”. Lourau, René, Analyse institutionnelle et pédagogie, Paris, l'Épi, 1971; Tilman, Francis, L’analyse

institutionnelle, Le Grain, Atelier de pédagogie sociale, 2007. En ligne (dernière consultation : 17 juillet 2016):

http://www.meta-educ.be/textes/a.i..pdf

sont souvent des organisations âgées, les conditions de travail sont souvent peu satisfaisantes en raison du type de travail taylorien et la forte division verticale du travail permet de visibiliser les différences hiérarchiques de telle façon qu’il est possible de développer des actions de défense des intérêts spécifiques des travailleurs.

Avec le système de contrôle idéologique, le mécanisme de coordination prédominante relatif au travail des opérateurs est la standardisation des valeurs. La localisation du pouvoir diffère en fonction des auteurs. Mintzberg estime que ce mécanisme de coordination va de pair avec une décentralisation du pouvoir. Nizet et Pichault, au contraire, estiment que ce mécanisme de coordination centralise le pouvoir au niveau du sommet stratégique et des analystes des valeurs, puisqu’il s’agit de faire adhérer les membres de l’organisation aux buts de la coalition dominante. L’analyse ultérieure tend à donner raison à Nizet et Pichault.

Le pouvoir peut dans certains cas être localisé chez les opérateurs, lorsqu’ils sont hautement qualifiés. Le système d’influence est alors qualifié de système de compétences

spécialisées. Ce système est engendré par la domination de la standardisation des

qualifications ou par l’ajustement mutuel.

Synth èse

Mécanismes de coordination

Localisation du

pouvoir Système d’influence Buts prédominants

(1) Supervision directe Sommet stratégique Contrôle personnel Centralisation, survie Standardisation des procédés (2) / résultats (3) Analystes alliés au sommet stratégique, associations d’employés (éventuellement propriétaires) Contrôle bureaucratique Centralisation, croissance, efficience, contrôle de l’environnement Standardisation des

normes (4) Analystes alliés Contrôle idéologique Mission Standardisation des

qualifications (5) Opérateurs qualifiés

Compétences spécialisées Excellence professionnelle Ajustement mutuel (6) Opérateurs qualifiés Compétences spécialisées Excellence professionnelle Table 1: Mécanisme de coordination, location du pouvoir, système d’influence et buts prédominants (inspiré de Nizet et Pichault, 2000, p.64)

B) L ’instituant

Le maintien des systèmes d’influence de l’institué peut s’expliquer par le loyalisme des acteurs de l’organisation par rapport à la coalition dominante mais également par un manque de ressources internes de ces acteurs dominés, les rendant incapables de contestation.65

Toutefois, aucun système n’est immuable. Un changement dans l’environnement, un accident, une personne absente sont autant d’opportunités à saisir pour les acteurs dominés pour entamer une contestation du système existant, contestation que plusieurs auteurs qualifient de “jeux politiques”.66 Cette contestation a pour but de changer le système d’influence dominant et la coalition dominante en vue de changer les buts poursuivis par l’organisation.

Lors de cette période de contestation, les parties de l’organisation entrent dans “un exercice du pouvoir particulièrement intense”.67

Mintzberg estime que certaines organisations - bon nombre d’agences gouvernementales et un certain nombre de services publics68 - sont caractérisées par un “système d’influence politique” qui serait un état de siège permanent, où aucune partie de l’organisation ne parviendrait à imposer son système d’influence. Ces organisations seraient donc en conflit permanent. Nizet et Pichault considèrent quant à eux que le conflit est une phase entre deux états plus stables. L’analyse pratique permettra peut-être d’y voir plus clair.

C) L ’institutionnalisation

Le conflit provoqué ou exploité par les acteurs dominés peut aboutir de deux façons. Soit ils perdent le rapport de force et la situation revient à sa forme antérieure (l’institué). Cette fronde aura probablement un coût pour ceux qui ont mené la fronde. Soit les acteurs dominés créent un rapport de force suffisant pour obliger la coalition dominante à modifier son système d’influence.

Par exemple, dans le cas d’une départementalisation par output, les conflits entre départements peuvent être temporairement résolus par la mise sur pied d’un département d’intégration. La coalition dominante peut également choisir d’accentuation davantage la

65 Voir Hirschman, A.O., Exit, Voice, and Loyalty. Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Cambridge: Harvard University Press, 1970

66 Mintzberg, H., Le management, Paris: Éditions d’Organisations, 1999, pp. 344-347 ; Mintzberg, H., op.cit., 2003, pp.268-300

67 Nizet, J, Pichault, F., op.cit, 2001, p.62

mobilisation idéologique, espérant ainsi calmer les contestations.

Le tableau ci-dessous envisage les réponses pouvant être apportées par la coalition dominante faisant face à une contestation.

Forme de

départementalisation

Différenciation

entre unités Conflits dominants

Mécanismes de gestion des conflits

Par input Verticale forte

Sommet stratégique vs. Ligne hiérarchique Technostructure vs. Ligne hiérarchique

Court-circuit de la hiérarchie (par exemple par l’utilisation de canaux de communication accessibles à tous)

Aplatissement de la structure

Par output Horizontale forte Entre départements

Département d’intégration Groupes de projet

Structure matricielle Mobilisation idéologique

Table 2: Formes de départementalisation et mécanismes de gestion de conflit (inspiré de Nizet et Pichault, 2000, p.66)