• Aucun résultat trouvé

LES DISCOURS ET L’APPROCHE STRUCTURALE

II. 2 1) Symptôme et discours

!

Comme nous le soulignions plus haut , nous retrouvons à la base de cette théorie du 167

lien social le renoncement pulsionnel freudien. C’est-à-dire que la structure du lien social comporte en elle-même un point de renoncement à la jouissance. Pour faire lien social, il faut renoncer à une jouissance. En contrepartie, le lien social propose de récupérer une autre jouissance, qui est, elle, admise, tolérée, voire prescrite. Autrement dit, il y a un gouvernement de la jouissance qui est au cœur de la question politique. Selon les époques, le renoncement à la jouissance interdite et la récupération de la jouissance permise, prennent des formes différentes. C’est donc bien ici à partir de la structure que nous approchons la question de l’époque. La structure du lien social produit des effets de gouvernement : de telle structure de discours, se dégage un type particulier de gouvernement de la jouissance. À ce niveau, le sujet est gouverné, ce en quoi il est donc bien sujet — c’est-à-dire assujetti à ce gouvernement.

!

« Un discours, n’importe quel discours, est un ordre de distribution de la jouissance, un ordre qui définit les jouissances acceptables, capables de voisiner, conviviales ». 168 Le discours du maître S1 S S2 a Le discours hystérique S1 S S2 a Le discours universitaire a S2 S S1 Le discours analytique S a S1 S2 Cf. supra., p. 49 167

SOLER. C., La politique du symptôme, art. cit., p. 71

Si un discours définit les « jouissances acceptables », c’est bien aussi et d’abord de définir un point où la jouissance est interdite. Ce point de jouissance interdite est au fondement de toute « formation humaine » — ce que Lacan tire directement de Freud — et se retrouve donc au fondement des quatre discours avec ce que Lacan appelle la barrière de la jouissance (//). Tout discours, en tant qu’il participe de ce qui régit le lien social, impose donc un renoncement pulsionnel, pose un frein à la jouissance, c’est-à-dire travaille pour le principe de plaisir :

!

« Toute formation humaine a pour essence et non pour accident, de réfréner la jouissance. {…} Le principe de plaisir, c’est le frein à la jouissance ». 169

!

Mais l’humain n’est pas simplement gouverné, il résiste aussi à ce gouvernement. Et c’est au niveau de cette résistance que se situe la clinique en tant qu’elle est une clinique qui relève d’une certaine politique — la politique du symptôme . Comme nous l’avons souligné, le 170

gouvernement tout autant que la résistance à ce gouvernement — le symptôme — est structural, car lié à la structure que l’humain reçoit du langage.

!

Le symptôme est la marque de ce qui du parlêtre résiste au gouvernement disions- nous. En effet, si à travers la conflictualité discursive qui lui est propre, une culture tend à produire l’être social qui lui est conforme, cette production bute sur le réel porté par le symptôme, et c’est bien ce réel que vise la clinique :

!

« Tout indique, tout doit même vous indiquer que vous ne lui demandez pas {à l’analysant} du tout simplement de “daseiner”, d’être là, comme moi je le suis maintenant, mais plutôt et tout à l’opposé de mettre à l’épreuve cette liberté de la fiction de dire n’importe quoi qui, en retour, va s’avérer être impossible, c’est-à- dire que ce que vous lui demandez, c’est tout à fait de quitter cette position que je viens de qualifier de Dasein et qui est plus simplement celle dont il se contente ; il s’en contente justement de s’en plaindre, à savoir de ne pas être conforme à l’être social, à savoir qu’il y ait quelque chose qui se mette en travers. Et justement, de

LACAN, J., Allocution sur les psychoses de l’enfant (1968), Autres écrits, op. cit., p. 364

169

« Le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre politique ».

170

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVIII : D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 123 LACAN. J., Lituraterre, Autres Écrits, op. cit., p. 18

ce que quelque chose se mette en travers, c’est ça qu’il aperçoit comme symptôme, comme tel symptomatique du réel. » 171

!

C’est ainsi que nous pouvons condenser ce qu’énonce ici Lacan en reprenant les mots de Colette Soler : « Le symptôme vient du réel et se met au travers pour que les choses ne tournent pas rond » . Le symptôme est porteur d’une « fixation de jouissance singulière » 172

qui fait obstacle à ce que le gouvernement de la jouissance soit total et que l’être social soit effectivement produit. Autrement dit, le symptôme est la marque de la résistance du sujet à son inclusion dans l’Autre. Il revient à Pierre Bruno d’avoir exprimé clairement ce point qui le conduit à envisager le symptôme comme la marque de la division du sujet . Ce sur quoi 173

Lacan insiste lorsqu’il construit sa théorie des discours en faisant supporter le S du discours hystérique par le symptôme . Mais il suffit de penser aux symptômes classiques de la 174

névrose pour se convaincre que le symptôme fait boiter ce qui sans cela marcherait au pas — ce autour de quoi s’ordonne donc ce qu’il en est du discours hystérique. On peut également penser à « l’insoumission » en tant que telle, qui bien souvent pose problème dans tous types d’institutions. « Pose problème », c’est-à-dire, pour le clinicien, « fait symptôme ».

!

Il y a donc gouvernement du sujet, mais un gouvernement qui bute sur le réel du sujet porté par le symptôme. Le symptôme est ce qui résiste à l’emprise de la civilisation sur la jouissance — même si cette résistance n’est pas sans un appui pris sur les coordonnées de la culture en place. Ce en quoi les symptômes prennent des formes différentes selon les époques ou les cultures :

!

« En tant qu’il subsume les liens fondés sur le langage, le discours doit être, en effet, envisagé comme un des principes de détermination du symptôme. D’une part pas de symptôme sans discours — et plus précisément pas de symptôme sans discours du Maître —, mais aussi, d’autre part, le symptôme est relatif au

LACAN. J., La troisième, op. cit.

171

SOLER. C., La politique du symptôme, art. cit., p. 71

172

BRUNO. P., Lacan passeur de Marx, Érès, Toulouse, 2009, p. 45

173

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVII : Lʼenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 48

discours — sous-entendu : les formes du symptôme sont déterminées par les types de discours et les figures du Maître qui y saturent la fonction de semblant. » 175

!

Jean-Loup Lenoir qui a également étudié la question propose une expression qui convient bien à ce double statut du symptôme par rapport au discours. Le symptôme s’appuie contre 176

le discours. Il s’agit de « faire avec » et d’ « objecter à ». Ceci rejoint la question de l’enveloppe formelle du symptôme et de son noyau de jouissance. Dans ce qu’il emporte de jouissance singulière (Réel), le symptôme objecte au discours, mais dans la forme qu’il prend (Symbolique-Imaginaire) il est déterminé par « les types de discours et les figures du Maître qui y saturent la fonction de semblant ». Nous aurons à revenir sur cette distinction qu’énonce ici Sidi Askofaré. En effet, il ne nous faut pas confondre d’un côté les types de discours — structure — et de l’autre les figures du maître qui y font fonction de semblant — ce qui convoque une dimension plus historique.

!

Pour la psychanalyse, on ne peut donc pas séparer la question du lien social de celle du symptôme. L’aliénation au langage va de pair avec une séparation . Autrement dit, pas de 177

sujet sans symptôme. C’est là une position éthique de la psychanalyse qui oriente sa clinique. Pas de sujet sans symptôme donc, et pas de lien social sans sujet. On peut même aller plus loin et soutenir que le symptôme est ce qui permet au sujet de supporter son aliénation à l’Autre — car il lui assure une jouissance singulière qui le sépare de l’Autre. Le symptôme constitue ainsi le « mode singulier de faire tenir ensemble ce qui ne tient pas ensemble » , 178

c’est-à-dire, comme l’énonce Lacan, « la division sans remède de la jouissance et du semblant » . Autrement dit, le symptôme sert au sujet à « résoudre l’inadéquation entre la 179

ASKOFARÉ. S., Les formes contemporaines du symptôme, In : Pas tant, n°34, 1993 p. 3-4

175

LENOIR. J-L., Incidences subjectives de la structure du lien social contemporain. Approche

176

théorico-clinique du nouveau malaise dans la civilisation, Thèse de Doctorat de Psychologie, sous la direction de Sidi Askofaré, op. cit., p. 277

« Le symptôme émerge, inauguralement, pour manifester l’irréductibilité de cette chose portée à

177

l’existence. Je ne veux pas être joui par l’Autre veut dire Je ne veux pas être réduit à n’être que ce que je suis dans la parole de l’Autre ».

BRUNO. P., Lacan passeur de Marx, op. cit., p. 227

CHATENAY. G., symptôme nous tient, Éditions Cécile Defaut, 2011, p. 10

178

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVIII : D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 151

singularité de sa jouissance et son aliénation à l’Autre » . La jouissance singulière du 180

symptôme préserve le sujet d’une mortification totale par son aliénation à l’Autre. Ce qui permet en retour au sujet inscrit dans un discours, de ne pas s’y dissoudre, s’y réduire, et donc de s’y inscrire sans craindre que sa singularité soit écrasée par le social . Le symptôme 181

protège le sujet de devenir « l’être social » que l’Autre voudrait qu’il soit, ce qui reviendrait à se réduire à être l’objet du désir de l’Autre — et conduirait à l’angoisse d’être joui par l’Autre.

!

« Le symptôme, dans son émergence originaire, est la marque ineffaçable de cette division {du sujet}. Il est ce qui objecte à une pseudo-jouissance qui annulerait la division. » 182

!

En d’autres termes, si le sujet s’en remet au langage pour tenter de retrouver une jouissance perdue, « une pseudo-jouissance » — car ce ne sera jamais ça — le symptôme, dans ce qu’il comporte de jouissance singulière, est la marque que le langage interdit une certaine jouissance. Ainsi, le symptôme est l’insistance de la division du sujet. Une insistance que les discours ne peuvent pas effacer. Mais c’est bien cette division du sujet, marquée — et en quelque sorte assurée — par le symptôme, qui va être ce qui va tenir en échec la production d’un être social conforme par et pour les discours. Le symptôme, s’il tient en échec la

production d’un être social pour le sujet — et donc fait obstacle par là au gouvernement —, il n’est pas moins ce qui constitue le retour de jouissance qui permet au sujet de s’inscrire dans un discours sans se réduire à l’articulation signifiante. Ceci se retrouve directement dans la

structure des discours qui comporte en elle-même un point d’impossible — autre nom du réel. Autrement dit, le lien social bute sur ce qu’il y a de plus réel pour le sujet : son symptôme.

!

Mais, comme nous le disions, le symptôme n’est pas seulement noyau de jouissance, il est aussi forme signifiante — enveloppe formelle. Selon la subjectivation propre à une

PALACIO. L-F., Symptôme et lien social, Thèse de Doctorat de Psychologie, sous la direction de

180

Marie-Jean Sauret, Toulouse 2, 2007, p. 323

Je dois cette remarque à Marie-Jean Sauret qui insiste beaucoup sur ce point lors de ces différentes

181

interventions sur le lien social : il s’agit pour le sujet de s’inscrire dans le lien social sans y dissoudre sa singularité, et sans faire éclater le lien social au nom de cette même singularité. Quoi sinon le symptôme permet cette articulation impossible en tant qu’il fait tenir ce qui ne tient pas ensemble ?

BRUNO. P., Lacan passeur de Marx, op. cit., p. 45

certaine époque — qui est ici fonction de la conflictualité discursive qui lui est spécifique —, les symptômes prendront des formes différentes . C’est donc ici la question de la façon dont 183

les symptômes s’articulent aux discours qui est en question. Ceci nous mène au dernier point important qu’il nous reste à souligner, qui est la question du statut du symptôme dans les discours, et notamment dans le discours hystérique. Nous avons déjà évoqué ce que Lacan énonce à propos de ce qui tient la position d’agent (la dominante) dans le discours hystérique :

!

« Au niveau du discours hystérique, il est clair que cette dominante, nous la voyons apparaître sous la forme du symptôme. C’est autour du symptôme que se situe et s’ordonne ce qu’il en est du discours de l’hystérique. » 184

!

Comment en effet comprendre qu’un discours puisse être dominé par le symptôme alors même que nous venons de soutenir que le symptôme est ce qui résiste au gouvernement de la jouissance mise en place par les discours ? La réponse à cette question est donc tout à fait liée à ce que nous avons dit précédemment à propos de l’enveloppe formelle du symptôme et son noyau de jouissance. En effet, c’est bien la jouissance du symptôme — en tant que satisfaction substitutive — qui est a-sociale, c’est-à-dire constituée de la jouissance qui vient

à la place de celle à laquelle il faut renoncer pour s’humaniser. C’est en ceci que le symptôme

objecte aux discours : le symptôme est « la façon dont chacun jouit de l’inconscient » et 185

non pas la façon dont les discours proposent de jouir du savoir. En revanche, l’enveloppe formelle du symptôme, comme nous le soulevions, prend appui sur les discours. C’est le symptôme en tant que représentant du malaise — forme — qui s’articule aux discours :

!

« Les symptômes, au sens commun du terme, sont les représentants du malaise, c’est-à-dire de la vérité de jouissance qui objecte aux aises, et à laquelle il donne forme et figure. Ils sont donc toujours relatifs à ce que j’appelle les offres du discours qu’ils dénoncent de leur “ce n’est pas ça” muet. » 186

Ceci est une donnée importante concernant le débat sur l’apparition de nouvelles formes de

183

symptômes.

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVII : Lʼenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 48

184

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXII : R.S.I (1974-1975), inédit, Leçon du 18 février 1975

185

SOLER. C., « L’interprétation du hors discours », In : Hétérité, Revue de l’Internationale des

186

Les symptômes ont donc cette double fonction de porter en leur « noyau » la jouissance singulière du sujet qui fait retour à la place de celle qui se trouve à jamais perdue par l’effet de la morsure du langage sur le corps, mais ils ont aussi la fonction de représenter cette jouissance — c’est le versant symbolique de l’enveloppe formelle. Et cette représentation prend appui sur la particularité de l’époque dans laquelle elle prend forme. Ainsi, c’est bien le symptôme sur son versant symbolique — et non de jouissance réelle — qui apparaît dans les discours sous la forme du S, et de façon dominante dans le discours hystérique. C’est toute la force du discours hystérique, mais aussi toute son impuissance, que de porter le « ce n’est pas

ça » du symptôme au poste d’agent. Force car ceci fait la singularité de ce discours et son

invitation à toujours autre chose — ce qui peut être risqué selon les contextes politiques —, mais impuissance car le discours ne saurait rendre compte du réel en jeu dans ce symptôme — qui tend à se faire tout symbolique pour faire semblant. C’est de porter la division et sa

marque dans le champ du symbolique que le symptôme peut fonctionner dans un discours.

Mais c’est bien sur le noyau de jouissance réel que se fonde l’enveloppe formelle du symptôme, en s’appuyant sur les discours, c’est-à-dire sur le point où le discours est marqué d’un ingouvernable, d’un impossible. Ce n’est qu’à ce qu’il ex-siste ce noyau de jouissance asocial, qu’un sujet peut faire valoir la face signifiante de son symptôme comme représentant du malaise. Ainsi, le symptôme s’inscrit bien comme enveloppe formelle dans les discours, mais ceci du fait que chaque discours comporte un point d’impossible, marque discursive de la jouissance opaque, ingouvernable, irreprésentable, du symptôme.

!