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CHAPITRE TROISIÈME : LE SOCIAL-HISTORIQUE

III. 1) CASTORIADIS ET LACAN.

!

Malgré les nombreuses différences entre Castoriadis et Lacan, il y a comme une rencontre ratée entre ces deux grands penseurs du XXe siècle. Après avoir suivi les Séminaires

de Lacan de 1964 à 1968, et avoir reçu, en 1966, un volume dédicacé par Lacan des Écrits , 416

Castoriadis se sépare définitivement de Lacan, se rapprochant du Quatrième Groupe fondé par Piera Aulagnier, François Perrier et Jean-Paul Valabrega, après leurs démissions de

L’École Freudienne de Paris fondée par Lacan . Castoriadis marquera son désaccord avec 417

l’enseignement de Lacan dans un article intitulé « Épilégomènes à une théorie de l’âme que

l’on a pu présenter comme science » paru dans la revue L’inconscient — revue qui 418

deviendra Topique après la fondation du Quatrième Groupe.

Dans cet article, qui est le premier texte connu de Castoriadis concernant la psychanalyse, l’auteur reproche à Lacan sa parenté avec le structuralisme de Lévi-Strauss (sans directement nommer ce dernier) et le projet que serait celui de Lacan de réduire la psychanalyse au modèle de la science. Pour Castoriadis, la psychanalyse ne saurait en aucun cas se conformer au modèle de la science, c’est-à-dire devenir scientifique. Ceci principalement du fait que la psychanalyse est avant tout une pratique que l’auteur définit comme une « activité pratico-poétique » . Ce versant poétique de l’analyse, Castoriadis 419

l’oppose à la science en ceci que la pratique de l’analyse, de passer par la parole de l’analysant, convoque une dimension de création, « un moment de création dans le processus psychique » . Ce qui conduit à une irréductibilité fondamentale de l’humain et qui interdit, 420

de fait, toute possibilité de prédictibilité de l’avenir par la psychanalyse — prédictibilité qui est une visée constitutive de la démarche scientifique. De plus, tout ce qui se dit de la psychanalyse ne prend sa valeur que du transfert, c’est-à-dire n’est observable que depuis une Une dédicace qui ne manque pas d’ironie et qui marque déjà une certaine rivalité, non sans respect,

416

entre les deux hommes. En effet, Lacan écrira pour Castoriadis : « À Cornelius Castoriadis, aussi scintillant que ses noms, pour qu’il fasse jouer sur mes charbons ses lumières ».

DOSSE. F., Castoriadis. Une vie, op. cit., p. 152

Pour une histoire de la fondation de ce quatrième groupe et les raisons de la scission avec l’EFP

417

voir :

ROUDINESCO. E., Histoire de la psychanalyse en France, Paris, Fayard, Collection « La pochothèque », 1994, pp. 1192-1214

CASTORIADIS. C., Épilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science,

418 art. cit., pp. 47-87 Ibid., p. 58 419 Ibid., p. 69 420

situation analytique donnée, ce qui s’oppose à toute observation scientifique qui réduirait l’analysant à une somme de variables symboliques.

!

« Considérer l’individu comme simple combinatoire d’éléments substituables et permutables, c’est éliminer l’objet réel de l’analyse au nom d’une rêverie pseudo- théorique. Elle ne peut de toute façon pas le faire lorsqu’elle est en fonction : cet individu, ce patient, est un ceci irréductible. » 421

!

On peut saisir ici la confusion qui est à la source de cette critique. Lacan n’a jamais réduit l’analysant au sujet, S. Le sujet n’est pas la personne. Castoriadis opère lui-même la réduction qu’il prête à Lacan. Castoriadis reproche à ce dernier de réduire le sujet au « discours de l’autre », ce qui revient selon lui à ôter toute singularité dans la technique psychanalytique. Or, d’une part, Lacan n’a jamais dit que le sujet était le discours de l’autre, mais que

l’inconscient est le discours de l’Autre, et d’autre part, Lacan n’a pas souscrit au

réductionnisme structuraliste qui consisterait à réduire l’être parlant au simple effet de la combinatoire signifiante. Colette Soler résume bien ce qu’il en est à ce propos :

!

« Par hypothèse, la linguistique et l’anthropologie structurale, qui prennent pour objet les lois de composition des structures qui les occupent, n’impliquent le sujet que comme sujet réduit au pur sujet de la combinatoire. L’hypothèse analytique est autre. Le fait que Lacan ait souligné fortement que la psychanalyse ne connaît pas d’autre sujet que celui de la science, et qu’il fasse de “ce mode spécial du sujet”, ce qu’il appelle “la marque à ne pas manquer du structuralisme”, ne doit pas nous tromper sur ce point. La psychanalyse ne connaît pas d’autre sujet que ce sujet, mais sans incarnation, qui n’est qu’ “ombilic” à la pure combinatoire de la mathématique du signifiant, ombilic que la logique même ne parvient pas à éliminer, mais ce sujet n’est pas l’objet de la psychanalyse. Celui qu’elle accueille et qu’elle traite, c’est celui qui souffre, et pas de n’importe quoi, d’une souffrance liée à la vérité, la vérité qui engage l’objet de son fantasme, et même un peu plus : le vivant marqué par le langage. Lacan a trouvé un mot pour le désigner : “psychanalysant”. Sans lui pas de

Ibid., p. 60

psychanalyse, alors que l’étude des mythes se passe fort bien du “mythant”, comme Lacan l’appelle par analogie avec analysant {…} ». 422

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Castoriadis oppose à ce qu’il croit être un déterminisme symbolique sans faille,

l’irréductibilité qu’il y a en tout individu, « résidu que laisse toute explication de ce type » . 423

Et il récuse la possibilité d’inclure dans une structure ce point d’irréductibilité au symbolique, ce résidu qui échappe au savoir. Ce que Lacan fera pourtant avec l’invention de l’objet a, notamment dans le statut que ce dernier prendra dans les Séminaires XVI et XVII avec l’invention des discours — moment où Castoriadis cesse d’assister aux Séminaires. Nous avons également déjà insisté sur les catégories d’impossible et d’impuissance en tant qu’elles indexent les limites de la structure en son sein même.

!

On peut donc reconnaître chez Castoriadis un refus de céder sur le réel du sujet qu’il situe dans ce qu’il appelle « l’irréductibilité » de « l’individu singulier » dans ce que celui-ci emporte de création. Ainsi, il reconnaît une part de création dans le rapport de l’humain au symbolique, et notamment au niveau du symptôme qu’il refuse de réduire uniquement à des chaînes causales externes — qu’il ne nie pas pour autant. Castoriadis insiste donc, d’une 424

part sur la responsabilité du sujet dans son rapport au langage, d’autre part sur ce que ce rapport emporte d’insondable.

!

« On ne peut sortir l’homme de ce qui l’a fait tel qu’il est, ni de ce que, tel qu’il est, il fait. Mais on ne peut non plus l’y réduire. Effet qui dépasse ses causes, causes qui n’épuisent pas ses effets, voilà ce que la psychanalyse est obligée de retrouver constamment dans son activité comme dans sa théorie. » 425

!

Reste la critique de départ sur le fait que Lacan chercherait à réduire la psychanalyse à la science, là où Castoriadis voit une pratique poétique dans la cure. Nous ne rentrerons pas dans le débat de savoir si Lacan a fait de la psychanalyse une science — la réponse étant bien sûr

SOLER. C., Lacan, L’inconscient réinventé, op. cit., p. 5-6

422

CASTORIADIS. C., Épilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science,

423 art. cit., p. 64 Ibid., p. 56 424 Ibid., p. 63 425

que non . Ceci nous semble être largement traité par Sidi Askofaré dans son ouvrage D’un 426

discours l’Autre, la science à l’épreuve de la psychanalyse. Nous rappellerons seulement les

deux formules — qui ne sont pas des citations mais qui condensent deux positions de Lacan — qui servent de point de départ à ce livre :

!

• « le sujet de la psychanalyse, c’est le sujet de la science » ; • « La psychanalyse n’est pas une science, c’est une pratique. » 427

!

Si nous avons levé le malentendu, avec Colette Soler, qui fait que Castoriadis croit voir dans ce sujet de la science, une réduction de l’humain à de la pure combinatoire signifiante, nous voyons avec cette deuxième formule que Lacan et Castoriadis se rejoignent sur l’impossibilité d’assimiler la pratique psychanalytique à la science. Lacan développera d’ailleurs plus tard une conception poétique de l’interprétation en tant que « le poème est lui-même un nœud du réel et du sens » . Castoriadis conclut que l’irréductibilité de l’humain pose des problèmes à 428

la théorie psychanalytique, comme elle pose des problèmes à toute théorie qui s’y frotte. Mais la psychanalyse prend une position particulière face à cette limite de la théorie, et c’est cette position qui définit sa spécificité et son insolubilité dans la science. En terme lacanien, c’est bien la position de la psychanalyse à l'endroit du réel qui la démarque de la science, c’est-à- dire son éthique.

!

« Dans sa théorisation, la psychanalyse rencontre donc des problèmes en un sens éternels, qu’elle renouvelle radicalement, mais qu’elle ne résout pas. Ce qui interdit toute confusion avec la théorisation de la science n’est pas qu’elle ne les résolve pas ; mais qu’elle n’instaure pas des procédures objectives pour ce faire, et que du reste on ne voit pas en quoi de telles procédures pourraient consister. » 429

!

« La psychanalyse, je l’ai dit, je l’ai répété tout récemment, n’est pas une science. »

426

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXIV : L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, inédit, Leçon du 11 janvier 1977

ASKOFARÉ. S., D’un discours l’Autre. La science à l’épreuve de la psychanalyse, op. cit., p. 14

427

SOLER. C., Les affects lacaniens, op. cit., p. 168

428

CASTORIADIS. C., Épilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science,

429

Outre ces points de rencontre ratés entre Castoraidis et Lacan, il nous faut souligner le chemin différent vers lequel s’orientera Castoraidis, qui, sur le fond, ne s’oppose pas vraiment à l’idée de la chaîne signifiante. Ce qu’il refuse, c’est d’une part, à ce qu’on y réduise l’humain et qu’on réduise l’expérience humaine à des signifiants arbitraires et vides, d’autre part à ce qu’on essaie de calculer l’humain plutôt que de le penser . En effet, pour l’auteur, 430

l’objet de la psychanalyse n’est autre que « les significations matérialisées dans la vie de l’individu », c’est-à-dire des significations incarnées qu’il définit comme des « représentations portées par des intentions et solidaires d’affects » . Ces intentions ne 431

sauraient être isolables, observables et descriptibles sans une perte qui nierait l’irréductibilité de « l’individu ». Ceci pour deux raisons : tout d’abord parce que ces intentions sont largement inconscientes, mais surtout parce qu’elles sont « essentiellement suspendues sur le vide de ce qui est à venir » . Les intentions sont portées par « l’ensemble de la vie de 432

l’individu considéré, y compris ce qui sera son avenir » . Ces intentions, liées aux affects, 433

sont ce qui constitue les représentations qui définissent les significations incarnées propres à un individu. Ces significations incarnées propres à l’individu, Castoriadis refuse de les réduire à la « causation symbolique ». Il reconnaît au sein de la chaîne signifiante, ou plutôt en amont de cette chaîne, une création fondamentale. Ainsi, il parlera de « création symbolique » 434

plutôt que de déterminisme symbolique à propos du symptôme.

!

« L’individu n’est pas seulement un premier enchaînement de représentations — ou mieux, une première “représentation totale” — il est aussi et surtout, de ce point de vue, surgissement ininterrompu de représentations et mode unique de ce flux représentatif, façon particulière de représenter, d’exister dans et par la représentation, de se fixer sur telle représentation ou tel terme d’une représentation, de passer de l’une à l’autre, de tel type de terme représentatif à tel autre et ainsi de suite. » 435

Ibid., p. 79

430

CASTORIADIS. C., Épilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science,

431 art. cit., p. 65 Ibid., p. 66 432 Ibidem. 433 Ibid., p. 67 434 Ibid., p. 66 435

Ici Castoriadis parle de représentation, mais c’est bien de Vorstellungen-Repräsentanz qu’il s’agit, ce qu’il précise plus loin . 436

Ce n’est pas l’enseignement de Lacan qui ira à l’encontre de l’idée que chaque sujet a un rapport singulier au signifiant et que certains signifiants prennent des fonctions de nœud 437

pour le sujet. Ce qui peut plutôt surprendre, c’est l’idée que le sujet « existerait dans et par la représentation ». Ceci diffère radicalement de la thèse lacanienne que le sujet manque à être. Mais si cette opposition entre les deux psychanalystes en est bien une, elle ne se pose pas en ces termes.

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Castoriadis ne soutient pas non plus que le sujet trouve son être dans le signifiant, ce que vient signaler pour lui ce qu’il appelle le « mode unique » du flux représentatif, et la « façon particulière de représenter ». Pour comprendre le fond de la pensée de Castoriadis, il faut saisir qu’en amont du symbolique, il y a pour lui la création — ce qu’il fera supporter par le registre imaginaire.

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« C’est dans la représentation qu’on trouve le moment de création dans le processus psychique (je parle évidemment de création ex nihilo), d’abord dans son surgissement même, et tout autant dans son déploiement et ses produits. C’est ici qu’apparaît avec éclat l’irréductible à toute combinatoire, à toute formalisation. » 438

!

C’est ce qui amène Castoriadis à soutenir qu’un sens ne peut pas se réduire, se dissoudre dans les déterminations d’un système. Quand bien même ces déterminations existent, il reste un résidu non déterminé. Ainsi, toute signification est « signification vivante » . 439

!

On voit donc que Castoriadis insiste sur la question de la signification, ceci car pour lui, le monde est signification, et l’humain se construit dans un monde de signification.

Ibid., p. 69

436

« Vorstellungen-Repräsentanz, vous devez bien le sentir, est strictement équivalent à la notion et au

437

terme de signifiant. »

LACAN. J., Le Séminaire, Livre VI : Le désir et son interprétation, op. cit., p. 66

CASTORIADIS. C., Épilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science,

438

art. cit., p. 69 Ibid., p. 47

Mais il est impossible de saisir pleinement la genèse d’une signification en ceci qu’il y a à son départ une « indétermination relative » , c’est-à-dire une création imaginaire . L’être ne se 440 441

trouve donc pas dans le signifiant, ni même dans la signification. Il se trouverait plutôt dans ce moment insaisissable et insondable de création . C’est ainsi que pour Castoriadis, si 442

l’objet de la psychanalyse correspond bien aux significations matérialisées dans la vie de l’individu et à leurs origines, la psychanalyse se confronte bien à un irreprésentable en leurs fonds. Et c’est sa position face à cet irreprésentable qui la détermine en théorie et en pratique. Finalement, la psychanalyse est cette pratique poétique qui vise à restituer au sujet cette capacité de création. Ce que Castoriadis appelle l’autonomie : « aider le patient à trouver, inventer, créer pour lui-même un sens à sa vie » . Ce qui en passe par une mise à raison de 443

l’imaginaire (dans sa composante non pas créatrice, mais agressive et aliénante), et la transformation des relations entre l’intention inconsciente et l’intention consciente.

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Mais Castoriadis repère ici une limite. La psychanalyse n’agit que sur un champ précis : celui du champ psychanalytique, c’est-à-dire de la cure. Si la psychanalyse peut mettre en partie en lumière les « conditions de possibilité » de cette mise à raison et de cette transformation, elle ne le peut qu’en partie seulement.

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« En partie seulement, parce qu’elles ont une double existence, une racine au- delà du champ psychanalytique, dans le champ socio-historique. La psychanalyse ne peut pas rendre compte de l’interdit de l’inceste, elle doit le présupposer comme institué socialement. Elle peut décrire l’instauration chez l’individu d’un principe de réalité, mais cette réalité, dans sa nature générale et dans son contenu chaque fois spécifique, elle ne peut pas et n’a pas à en rendre compte, elle est

CASTORIADIS. C., L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 209

440

Castoriadis récuse la conception d’un imaginaire uniquement spéculaire. Ce que Lacan dépassera

441

aussi, ceci sera tout à fait sensible lorsqu’il s’intéressera à la question des nœuds borroméens.

L’ontologie développée par Castoriadis est une ontologie multiple. L’être y est considéré comme à

442

la fois « être-premier », « être-vivant », « être-psychique », « être-social-historique » et « être-sujet ». Ces êtres ne se recouvrent pas mais sont indissociables. Tous mettent en jeu un certain imaginaire. Mais ce n’est pas de la question de l’être que nous débattons ici. L’important pour nous étant que Castoriadis ne considère pas que l’être de l’humain se trouve dans le signifiant ou la signification. L’être est en son fond abîme insondable et création radicale. Pour plus d’informations, on pourra se reporter à l’article suivant :

POIRIER. N., « Cornelius Castoriadis. L'imaginaire radical », In : Revue du MAUSS, 1/ 2003, n° 21, p. 383-404

CASTORIADIS. C. « Psychanalyse et politique », In : Passant, n°34, avril/mai 2001.

pour elle une donnée définie ailleurs : la réalité, disait Freud, c’est la société . 444

{…} Elle montre comment l’individu peut accéder à la sublimation de la pulsion, mais non comment peut apparaître cette condition essentielle de la sublimation, un objet de conversion de la pulsion : dans les cas essentiels, cet objet n’est que comme objet social institué. » 445

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On pourrait commenter ce passage sur plusieurs points. Mais nous allons nous limiter à celui qui nous permettra de faire un pas de plus. Castoriadis souligne deux choses importantes dans sa pensée lorsqu’il dit que l’interdit de l’inceste est socialement institué. Tout d’abord il souligne que cet interdit n’est pas naturel. Il est une institution sociale, et dont les fonctions sont sociales. Ceci veut dire, pour Castoriadis, qu’il est une création de l’humain, tout comme le langage. Or, pour Castoriadis, la création est au cœur de l’histoire. L’histoire c’est le champ de la création social-historique. Nous y reviendrons. Ainsi, si Lacan est fondé à penser l’interdit de l’inceste comme « le trou structural du symbolique » , et à en déduire que 446

l’interdit de l’inceste est structural, et non historique, Castoriadis insiste sur un autre point. D’où vient cette structure ? Qu’est-ce qui l’institue ? Nous pouvons ici sentir l’un des enjeux de l’articulation de la structure et de l’histoire.

Mais l’indication de Castoriadis porte également sur un autre point. Si l’on veut bien reconnaître l’interdit de l’inceste comme structural (mettant de côté la question de sa création), Castoriadis pose la question de l’incarnation de cet interdit dans un champ social- historique particulier. Et ceci, comme le dit Castoriadis, n’est pas sans effets sur la réalité. Ceci est-il incompatible avec ce que nous avons vu que, pour Lacan, la réalité n’est constituée que du fantasme ? C’est ce qu’il nous faudra éclairer. 447

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Pour terminer sur l’opposition entre Castoriadis et Lacan qui se révèle dans cet article, on pourrait résumer la situation en disant que Castoriadis reproche à Lacan de chercher à éliminer le sens au profit de la structure, et de « scientifiser » la psychanalyse. Lacan réagira à

FREUD. S., Totem et tabou, G. W., IX, p. 92

444

CASTORIADIS. C., Épilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science,

445

art. cit., p. 82-83

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXII : R.S.I, op. cit., Leçon du 15 avril 1975

446

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXV : Le moment de conclure, op. cit., Leçon du 20 décembre

447

cet article lorsqu’il s’entretiendra, le 13 mai 1970 sur les marches du Panthéon avec quelques- uns. Lacan dénonce un malentendu de la part de Castoriadis qui croit que le discours analytique, tel que le propose Lacan, est « un complètement » du discours de la science, là où il est en fait conditionné par lui. Ce qui veut dire qu’il n’y aurait pas de psychanalyse sans l’avènement de la science moderne. Lacan se défend donc de vouloir verser dans la scientifisation de la psychanalyse et précise que « le discours de la science ne laisse aucune place à l’homme » , ce dont bien sûr il ne se réjouit pas. Même si c’est bien parce que le 448