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2 2 2) Jouissance du symptôme et plus-de-jouir : division et castration.

LES DISCOURS ET L’APPROCHE STRUCTURALE

II. 2 2 2) Jouissance du symptôme et plus-de-jouir : division et castration.

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Nous avons en effet souligné plus haut que le symptôme constitue une jouissance substitutive singulière en tant qu’il est la façon dont chacun jouit de l’inconscient. Nous avons opposé cette jouissance singulière du symptôme à la jouissance proposée par les discours — les « aises du discours » selon l’expression de Colette Soler . Cette jouissance proposée, 207

voire imposée par les discours, c’est celle du plus-de-jouir. Et le seul discours qui produise effectivement ce plus de jouir (a en place de production), c’est le discours du Maître. Or, ce qui y produit le plus-de-jouir, c’est le savoir en tant qu’il est à la place de l’autre, que Lacan assimile également à la place de la jouissance. Ce qui conduit Lacan à énoncer que le savoir est moyen de jouissance. Dès lors, le sujet jouit de son rapport au savoir. Un rapport défini d’une part par les discours, d’autre part, par le symptôme. Autrement dit, il y a d’un côté la façon dont chacun jouit de l’inconscient — en tant que savoir —, et de l’autre, les moyens de jouissance ordonnés par les discours. La jouissance singulière du symptôme contre la jouissance prescrite socialement par les discours. Ces aises du discours offrent donc également un substitut à la jouissance interdite — c’est-à-dire à l’interdit porté sur la jouissance phallique (« le sujet ne peut se transformer en phallus » ) — sous la forme du 208

plus-de-jouir, c’est-à-dire du quadrillage de la jouissance pulsionnelle. Ainsi, au lieu de la jouissance interdite il y a deux substituts qui vont s’inter-dire :

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• Premièrement celui offert ou plutôt prescrit par les discours : le plus-de-jouir.

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« Il y a bien d’autres raffinements dans la façon de substituer à cette jouissance, dont l’appareil, qui est celui du social, et qui aboutit au complexe d’Œdipe, fait

SOLER. C., « L’interprétation du hors discours », art. cit.

207

BRUNO. P., La passe, PUM, Toulouse, 2003, p. 227

que, d’être la seule qui donnerait le bonheur, justement à cause de cela, elle est exclue. C’est là proprement la signification du complexe d’Œdipe. {…} En suppléance de l’interdit de la jouissance phallique, est apporté quelque chose dont nous avons défini l’origine d’une tout autre chose que de la jouissance phallique, celle qui est située, et, si l’on peut dire, quadrillée, de la fonction du plus-de-jouir. »209

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Ces « raffinements » dont parle Lacan ne sont autres que ce qui constitue les « rapports du discours à la jouissance » . Il y a donc une suppléance de jouissance instaurée par les 210

discours en réaction à « l’interdit porté sur la jouissance phallique » . Cette suppléance se 211

constitue de l’ouverture des moyens de jouissance — en tant que savoir — par les discours :

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« Les moyens de la jouissance sont ouverts au principe de ceci, qu’il ait renoncé à la jouissance close, et étrangère, à la mère. » 212

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Finalement, le plus-de-jouir est « ce quelque chose qui résulte enfin de ce que la jouissance,

c’est un commandement ; c’est un commandement impossible à satisfaire, nous en somme réduits à ce plus » . Le diagnostic de Lacan est sans appel, nous y sommes réduits. En effet, 213

cette jouissance substitutive des discours, le plus-de-jouir donc, n’est absolument pas à la hauteur de ce dont il a fallu renoncer, ce qui renforce le malaise. Le plus-de-jouir ne saurait faire office de rapport sexuel. Et ceci car le seul discours qui le produit — le discours du maître — met le sujet face à l’impuissance de se le voir restitué (S // a). Ce qui signe également cette impuissance au niveau de la structure du sujet.

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LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVII : Lʼenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 85

209

Ibidem.

210

Voir l’article de Pierre Bruno et Fabienne Guillen :

211

BRUNO. P. & GUILLEN. F., « Phallus et fonction phallique chez Lacan », In : Psychanalyse, n° 11, 2008/1, pp. 87-101

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVII : Lʼenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 89

212

LACAN. J., Jacques Lacan à l’école Belge de Psychanalyse, art. cit., p. 20

213

Ce passage indique également que le mode de jouissance des discours relève du commandement surmoïque. C’est en ce point que se situe le « gouvernement de la jouissance » à prendre comme génitif subjectif. Il y a un impératif de jouissance inscrit dans les discours, mais inscrit comme impossible. Et c’est de cette impossibilité que résulte le substitut du plus-de-jouir, à quoi nous sommes dès lors « réduits ».

Ceci nous met sur la voie d’une différence fondamentale soulignée par Pierre Bruno . Il 214

s’agit de la différence entre division du sujet et castration. Bien sûr, l’une et l’autre sont tout à fait liées. Mais la castration, qui se rencontre sous la forme de l’impuissance dans les discours, est de l’ordre du manque — c’est-à-dire de la possibilité que ça ne manque pas. Alors que la division du sujet est de l’ordre de la perte — de l’objet perdu.

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« Cette différence est synonyme de celle entre manque (qui ouvre la possibilité que ça ne manque pas) et perte (qui indique un irréversible) et surtout entre négativation phallique (-𝜑) d’une part et le sujet barré (S) d’autre part. Ce dernier implique la production d’un objet, dit objet a, dont il n’y a pas de représentation (ce qui, du coup, le situe radicalement hors de la représentation langagière). » 215

!

Ainsi, les discours, de fonctionner sur le mode de l’impuissance, c’est-à-dire de la castration, sont déjà une forme de tentative de récupération de jouissance. Une tentative vaine de faire que ça ne manque pas. Seulement ceci rate, et Lacan écrit ce ratage dans la structure des discours elle-même en y inscrivant l’impossible et l’impuissance. Pour ce qui est de la division du sujet, comme nous le disions, elle ne relève pas du manque, mais de la perte. Autrement dit, en tant que telle, la division du sujet n’est pas relative au discours, mais au langage — et le langage ne se limite pas aux discours. Les discours sont des formations langagières instituées qui opèrent sur la jouissance de celui qui s’y inscrit — et tout sujet ne s’y inscrit pas. On peut certes lire l’objet a dans les discours. Mais l’objet a y a le statut de plus-de-jouir, c’est-à-dire le statut de la jouissance qui manque et qui est cherchée à être récupérée. C’est donc la castration qui préside au statut de l’objet a dans les discours, et non la division du sujet en tant que telle. Et c’est bien pour cela que Lacan « dissocie, pour ainsi dire, la structure du langage et l’institution du discours du maître » . Le discours du maître 216

correspond au discours de la politique, c’est-à-dire le discours qui, à l’inverse des sociétés dont le support est mythique, « commence avec la prédominance du sujet en tant justement qu’il tend à ne se supporter que de ce mythe ultra-réduit, d’être identique à son propre

BRUNO. P., Lacan passeur de Marx, op. cit., p. 57

214

BRUNO. P., Lacan passeur de Marx, op. cit., pp. 57-58

215

ASKOFARÉ. S., D’un discours l’Autre. La science à l’épreuve de la psychanalyse, op. cit., p. 289

signifiant » . Il ne résume donc pas l’articulation du sujet au langage. Il est une forme 217

discursive particulière qui rend compte de l’articulation du sujet au savoir dans une civilisation qui est marquée par l’avènement de la politique.

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On peut donc lire l’analogie de la structure du sujet divisé et du discours du maître, mais à la condition d’en repérer les limites qui sont :

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1. Que le discours du maître est déjà de l’ordre d’une forme discursive culturellement instituée — certes fondamentale pour notre culture.

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2. Qu’il fonctionne sous le régime de la castration.

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Ces deux points nous mènent à conclure que le sujet qui s’inscrit dans un discours est déjà et avant tout, du fait de devoir être déjà sujet au langage pour s’y inscrire, divisé. Aucune vision développementale ici. Il ne s’agit pas de quelconque stade, mais de temps logique. C’est d’être divisé, c’est-à-dire de recevoir sa structure de la structure du langage, que le sujet cherchera éventuellement par les discours à récupérer de la jouissance, c’est-à-dire à entrer dans la question du manque — de la castration. Les discours — et particulièrement le discours

du maître — sont la manifestation, au niveau du lien social, de la division du sujet en tant qu’elle se décline en castration. Ceci a une conséquence tout à fait décisive, et qui justifie que

Lacan place la psychose hors discours, qui est que les discours fonctionnent sous le régime de la signification phallique — produit de la métaphore paternelle . On voit donc que, comme 218

nous le soulignions au départ, le lien social constitue bien l’armature discursive à partir de laquelle une jouissance substitutive à celle à laquelle le sujet renonce pour naître au langage est proposée au sujet. Mais il y a un décalage entre les discours, qui invitent le sujet à fonctionner sous le régime phallique du manque (et de l’illusion de la possibilité que ça ne manque pas), et le sujet en tant que divisé, qui est divisé du fait d’une perte « irréversible » 219

— ce qui ne conduit pas nécessairement à la castration. Le plus-de-jouir est la jouissance que le discours propose — à la place de la jouissance perdue du fait de la division du sujet — à

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVII : Lʼenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 102

217

En effet, le psychotique même s’il est hors discours - ce qu’il faudrait préciser - n’en est pas moins

218

un sujet divisé.

BRUNO. P., Lacan passeur de Marx, op. cit., p. 57

celui qui, de cette perte, en aura fait du manque, ce qui est conditionné par la mise en place de la signification phallique. Mais cette jouissance proposée par les discours n’est en rien positivée car elle s’articule sur le mode de l’impuissance — castration (S // a). C’est en cela que nous sommes fondé à soutenir que le plus-de-jouir, s’il est bien cette jouissance qui est miroitée à la place de l’interdit porté sur la jouissance phallique — le plus-de-jouir étant ce qui reste de la jouissance phallique dans la mesure ou celle qui conviendrait n’a pas lieu — n’en est pas moins articulée à la signification phallique dans le cadre des quatre discours.

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« Le corps, d’incorporer le corps du symbolique, est déserté par la jouissance. C’est au discours de signifier cette perte de la jouissance : ce que Lacan appelle, dans un temps initial, la signification phallique. » !220

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• Enfin, à côté de cette jouissance du plus-de-jouir que propose les discours, il y a donc un autre substitut qui est la jouissance du symptôme. Cette jouissance portée par le symptôme constitue donc ce substitut qui ne se laisse pas gouverner par les discours, ceci en tant qu’il est la marque ineffaçable de la division du sujet.

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« Ce qui fait que toujours, pour tout sujet, le vers est dans le fruit : en certains segments de la vie, la jouissance phallique se gâte de l’irruption de la jouissance symptomatique. » 221

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Contrairement aux discours, le symptôme n’est pas nécessairement articulé à la signification phallique. Il ouvre même plutôt sur une jouissance qui pointe ce qui ne passe pas à la castration, c’est-à-dire qui ne se soumet pas entièrement à la fonction phallique . 222

Autrement dit, là où les discours entretiennent la névrose sociale, le symptôme, dans sa fonction, est trans-structural. Cette fonction n’est autre que de « permettre au sujet de

BRUNO. P., « L’avenir d’un malaise : Marx et Lacan », In : Quarto, n°46, décembre 1991, p. 4

220

MACARY-GARIPUY. P., « La toxicomanie comme tenant lieu de symptôme », Psychanalyse,

221

no18, 2/2010, p. 20

Pierre Bruno souligne que si nous devions placer le symptôme dans le tableau de la sexuation, c’est

222

sur la partie de droite qu’il faudrait le placer, celle où la fonction phallique se démontre tourner court - selon son expression.

BRUNO. P., Une psychanalyse : Du rébus au rebut, Érès, Collection « Point Hors Ligne », Toulouse, 2013, p. 191

s’assurer du radical de sa singularité » , et elle se « retrouve aussi bien dans la névrose, la 223

psychose ou la perversion » . Le savoir est donc un moyen de jouissance. Et il y a deux 224

façons pour le sujet de jouir du rapport au savoir qui le constitue : les discours et le symptôme.

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Afin de conclure sur cette partie qui examine l’analogie entre structure du sujet et structure du lien social, on peut résumer nos derniers déplacements en soulignant que les discours

respectent la structure du sujet divisé et instituent la castration dans le lien social. Mais pour

autant, la division du sujet reste dans un temps logique premier quant à la castration. Les discours ne sont donc pas ce qui président à la division du sujet. Ils sont plutôt ce qui

instituent la castration en tant qu’elle fait fonctionner le lien social, c’est-à-dire permet à un sujet de loger sa division dans le social sous le régime de la signification phallique.

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Après ces dernières propositions, nous pouvons voir paraître l’enjeu clinique de la question des discours. En effet, si l’on s’en tient à cette définition de Lacan que le sujet se définit « d’un rapport au savoir » , nous voyons qu’avec la question des discours, ce rapport 225

devient un rapport de jouissance. Un rapport marqué de l’impuissance et de l’impossibilité, donc un rapport qui ne fait en aucun cas rapport sexuel. Comment le sujet jouit-il du savoir ? Voilà la question qui définit la voie pour tenter de « situer le sujet » . Seulement ce rapport 226

reste ambigu comme le disait déjà Lacan en 1960 . En effet, la question pour la clinique est 227

à la fois :

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• Celle des discours : Comment le sujet y jouit-il du savoir, c’est-à-dire dans quel discours est-il fixé ?

• Celle du symptôme : Comment le sujet jouit-il de l’inconscient, c’est-à-dire quelle jouissance n’est-il pas prêt à céder, à conformer à l’organisation sociale ?

SAURET. M-J., « Vers une clinique de l’autisme », Séminaire de l’APJL : La découverte du savoir

223

psychanalytique à l’épreuve de l’autisme. La preuve par la clinique psychanalytique, inédit, Toulouse, Le 16 octobre 2010.

Ibidem.

224

LACAN. J., Subversion du sujet et dialectique du désir, (1960) op. cit., p.273

225

Ibidem.

226

Ibidem.

La différence entre les deux points précédents ne se situe donc pas dans le fait que le sujet jouit du savoir, puisque que ce soit avec les « aises des discours » ou avec le symptôme, c’est bien de jouir du savoir qu’il s’agit. La différence se situe bien sûr le mode de jouissance du savoir. Les discours et le symptôme constituent deux modes de jouissance du savoir. Deux modes dont nous avons vu qu’ils se confrontent, mais qu’ils s’articulent également.

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Ici se repère la particularité de l’approche du lien social de Lacan. Les autres théories, qu’elles soient psychologiques, sociologiques ou anthropologiques, s’intéressent au rapport du sujet au savoir uniquement sur le versant de la signification et du sens (qu’il soit comportemental, psychologique, sociologique, historique ou culturel), ce qui est important mais ne suffit pas si l’on veut prendre en compte le sujet que découvre la psychanalyse. Ainsi, de toute autre approche, la théorie du lien social de Lacan est la seule à poser la question de

la façon dont le sujet jouit du savoir — ce qui convoque la question des discours, et bien sûr du symptôme.

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« Que nous enseigne plus directement Lacan en élevant la politique à la structure d’un lien social fondamental voire du plus fondamental des liens sociaux ? Peut- être rien d’autre que ceci : la politique n’est pas un savoir, c’est-à-dire “ce quelque chose qui lie, dans une relation de raison, un signifiant S1 à un autre

signifiant S2”, mais un discours, soit un lieu qui assure la coexistence

synchronique de corps de parlants. Ce qui, d’emblée, met la jouissance dans le coup puisqu’ “il n’y a de discours, et pas seulement l’analytique, que de jouissance” . » 228 229

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LACAN. J., Le Séminaire, Livre XVII : Lʼenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 90

228

ASKOFARÉ. S. D’un discours l’Autre. La science à l’épreuve de la psychanalyse, op. cit., p. 289