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SENS, SIGNIFICATION ET SIGNIFICATION IMAGINAIRE SOCIALE.

CHAPITRE TROISIÈME : LE SOCIAL-HISTORIQUE

III. 2) SENS, SIGNIFICATION ET SIGNIFICATION IMAGINAIRE SOCIALE.

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La question devant laquelle nous met l’œuvre de Cornelius Castoriadis est celle de savoir s’il existe des significations qui ne tiennent pas en tant que telles aux discours. Voilà qui nous oblige à dégager ce qu’il en est de la question du sens et de la signification dans le cadre des discours, ceci afin de proposer par la suite des éléments de réponses. En effet, nous pouvons considérer que chaque discours est porteur de signification, ou plutôt qu’il y a une signification discursive qui est « signification des dits dans lesquels baignent les sujets qui habitent ce discours » . Mais les apports de Castoriadis tendent à montrer que la 456

signification discursive n’épuise pas ce qu’il en est de la réalité à laquelle renvoie une époque ou une culture. Il y a bien une signification discursive qui est cette signification que prend tout énoncé produit dans le cadre d’un discours. Cette signification est une signification qui tient au discours lui-même et à ce qui y ex-siste de dire derrière le dit qui s’entend. Autrement dit, cette signification n’est pas en tant que telle imaginaire, elle est plutôt ce qui touche à ce qu’on pourrait appeler la signification de la structure, c’est-à-dire signification « d’un ordre qui s’opère dans le réel » et qui ne s’entend pas. La signification implique un rapport au 457

réel et c’est ce rapport que le discours écrit. Ceci a été développé par Lacan dans le Séminaire XII où il approche déjà la question de la structuration du réel qui débouchera plus tard sur la question des discours.

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«Le rapport du signifiant au sujet en tant qu’il intéresse la fonction de la signification, passe par un référent. Le référent ça veut dire le réel, et le réel n’est pas simplement une masse brute et opaque, le réel est apparemment structuré. Nous ne savons d’ailleurs absolument pas en quoi, tant que nous n’avons pas le signifiant. Je ne veux pas dire pour autant que de ne pas le savoir, nous n’avons pas de relations à cette structure. » 458

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Avec la théorie des discours, la signification se conçoit dans une référence à l’objet a, lui-même inscrit dans une structure qui ordonne le réel par le signifiant : les discours. Ainsi,

ASKOFARÉ. S., D’un discours l’Autre. La science à l’épreuve de la psychanalyse, op. cit., p. 260

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SOLER. C., Incidence politique du psychanalyste, art. cit.

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LACAN. J., Le Séminaire, Livre XII : Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (1964-1965),

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nous pouvons situer la signification au croisement du réel et du symbolique. La question du sens devient alors double. Lacan repère tout d’abord le sens dans le croisement entre le symbolique et l’imaginaire. Autrement dit, le sens, contrairement à la signification, n’est pas dans un rapport nécessaire à « un ordre qui s’opère dans le réel », à un discours. Lacan développera beaucoup cette question dans le Séminaire R.S.I, en insistant sur ceci que le réel ex-siste au sens. Le sens y est décrit comme la réponse imaginaire à l’ouverture, la béance, le trou que laisse l’équivoque fondamentale du registre symbolique . L’effet de sens est ainsi à 459

situer à la jonction du symbolique et de l’imaginaire. Mais Lacan différencie cet effet de sens de « l’effet de sens exigible du discours analytique » , qui lui, n’est pas imaginaire ou 460

symbolique, mais réel. Cet effet du symbolique dans le réel, cet effet de sens réel, c’est

l’interprétation — ce en quoi l’interprétation passe par les mêmes voies que le symptôme . 461

Ainsi, tout comme Lacan l’énonçait déjà deux ans plus tôt, dans le cadre de la théorie des discours, le sens qui intéresse le psychanalyste dans sa pratique, c’est le sens « qui se produit de la traduction d’un discours en un autre » . Ce qui veut dire, nous l’avons vu, surgissement 462

du discours analytique. Et Lacan de conclure que « l’interprétation est du sens et va contre la signification » . 463

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Il nous faut donc différencier :

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le sens qui opère du croisement du symbolique et de l’imaginaire, c’est-à-dire de la réponse (bouchon imaginaire) à l’équivoque du symbolique,

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le sens qui opère de l’effet du symbolique dans le réel et qui se fonde du surgissement du discours analytique dans la ronde des discours : c’est l’interprétation,

LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXII : R.S.I, op. cit., Leçon du 10/12/1974

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Ibid., Leçon du 11/02/1975

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En effet, si le sens est la consistance imaginaire supposée au symbolique (fondamentalement

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équivoque), la pratique analytique opère, comme y insiste Lacan, à réduire le sens par l’équivoque, c'est-à-dire par une pratique symbolique (Leçon du 10/12/1974). En ceci, la pratique analytique, c'est- à-dire l’interprétation, a une parenté de structure avec le symptôme car tout comme lui, elle répond de ce qui est l’effet du symbolique dans le réel (idem.). Ce en quoi on peut tenter de répondre à la question que pose Lacan à l’ouverture de la leçon du 14/01/1975 : « Qu’est-ce qu’implique que la psychanalyse opère ? ». Ceci implique que la psychanalyse s’oriente de sa politique : la politique du symptôme, et ceci dans la pratique même du psychanalyste.

LACAN. J., « L’étourdit », op. cit., p. 480

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Ibidem.

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La signification qui est ce qui répond de la mise en ordre symbolique du réel et qui est en tant que telle liée à la structure d’un discours.

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Ce que Cornelius Castoriadis met en place avec les significations imaginaires sociales est une façon alternative et différente de penser la question. L’opposition entre sens et signification n’est pas vraiment creusée chez lui. Nous verrons comment il opère une distinction non pas entre signification et sens, mais entre signification imaginaire sociale et sens. Ce qui intéresse Castoriadis, ce n’est pas la signification discursive en tant que telle ni sa différence d’avec le sens. Son concept de signification imaginaire sociale tente par d’autres voies de rendre compte de l’implication dans la réalité et dans le lien du sujet à son époque de significations instituées socialement.

Autrement dit, pour Castoriadis, il y a des significations qui ne tiennent pas du discours en tant que tel. Ces significations, c’est là leur spécificité, se passeraient du sujet singulier pour se former. Ou de moins, elles ne sont pas dépendantes, en tant que telles, du sujet. Ce sont des significations instituées par le collectif anonyme qui préexistent au sujet. Ces significations relèvent de ce que Castoriadis nomme l’imaginaire institué. Autrement dit, Castoriadis ne rejoint pas tout à fait Lacan sur ce point. Pour lui, il y a des significations pré- existantes qui orientent le sujet, alors que Lacan pointe l’efficacité signifiante en elle même, c’est-à-dire en sa structure même. C’est pourtant en s’appuyant sur le quatrième séminaire de Lacan que Castoriadis s’explique :

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« Le symbolisme ne peut être ni neutre ni totalement adéquat, d’abord parce qu’il ne peut pas prendre des signes n’importe où, ni n’importe quels signes. Cela est évident pour l’individu qui rencontre toujours devant lui un langage déjà constitué , et qui, s’il charge d’un sens « privé » et particulier tel mot, telle 464

expression, ne le fait pas dans une liberté illimitée mais doit s’emparer de quelque chose qui « se trouve là. » 465

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« Il y a une efficacité du signifiant qui échappe à toute explication psychogénétique, car cet ordre

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signifiant, symbolique, le sujet ne l’introduit pas, mais le rencontre. »

LACAN. J., Séminaire 1956-1957, compte rendu par J-B Pontalis, Bulletin de psychologie, vol X, n°7, avril 1957, p. 428

CASTORIADIS. C., L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 180

Plutôt que d’insister sur la face structurale et signifiante de l’efficacité symbolique, ou sur la signification discursive, Castoriadis pointe ce qui est selon lui délaissé par la vague structuraliste : la face imaginaire de tout signifiant, son ancrage dans une langue et un champ particulier de significations imaginaires instituées.

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De même, il ne saurait se suffire de l’affirmation de Lacan que le fantasme est « index d’une signification absolue » — ce qui, nous l’avons vu, mènera Lacan à concevoir plus 466

tard la réalité comme du fantasme. Il y a en fait deux plans à distinguer ici. Deux plans sur lesquels Castoriadis refuse de réduire la signification : le plan du discours et le plan du fantasme . Nous verrons que quel que soit le plan que nous prenons pour approcher la 467

signification : qu’elle soit indexée par le fantasme ou qu’elle soit ce qui tient de la relation structurale particulière de S1 et S2 dans chaque discours , l’approche de Castoriadis tend à 468

proposer l’idée d’un type de signification qui ne se réduise ni au fantasme ni au discours. Ce type de signification qu’il appelle donc les significations imaginaires sociales ne tiennent pas en tant que tel de l’opération d’un sujet et ne dépendent pas non plus d’un sujet ou même de plusieurs sujets. Elles renvoient au collectif humain, au champ socio-historique en tant que tel, c’est-à-dire à une dimension qui lui est propre et qui précède logiquement tel sujet singulier.

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L’opposition entre Castoriadis et Lacan sur ce point n’est pas tant celle de considérer que l’Autre précède le sujet. Là-dessus, pas d’opposition particulière. La différence se situe bien dans ceci que Castoriadis considère qu’il y a des significations relativement indépendantes du sujet, c’est-à-dire non réductible à ce qui est indexé par le fantasme et irréductibles aux discours. Pour Castoriadis, un sujet a surtout affaire avec ces significations imaginaires sociales lorsqu’il vient au monde. Là où Lacan voit un sujet qui baigne dans le signifiant, Castoriadis voit surtout un sujet qui baigne dans des significations instituées. Ces significations sont véhiculées vers l’enfant par la langue, et de façon primordiale, par la langue parlée par ceux qui accueillent l’enfant dans le monde.

LACAN. J., Subversion du sujet et dialectique du désir, (1960) op. cit., p.302

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De ce que nous avons dit plus haut, on comprend qu’il y a ici un enjeu pour la question de la

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réalité. Cf. supra., pp. 116-117

ASKOFARÉ. S., D’un discours l’Autre. La science à l’épreuve de la psychanalyse, op. cit.,

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« La mère et le père ne sont pas seulement le “premier groupe” ; la mère et le père sont bien évidemment la société en personne et l’histoire en personne penchés sur le berceau du nouveau-né — ne serait-ce que parce qu’ils parlent, et cela n’est pas “groupal”, c’est social. {…} dans et par la langue s’expriment, se disent, se réalisent, se transfèrent les significations de la société. » 469

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Ces significations ne tiennent pas en tant que telles au rapport du sujet à l’Autre, mais à ce qui serait un champ social sui generis. En effet, les significations sociales parviennent à l’enfant déjà formées, c’est-à-dire sous forme de significations instituées. C’est ainsi que Castoriadis dote le social d’un imaginaire qui lui est propre. Un imaginaire et non un inconscient, la différence est de taille et ne permet pas de confondre la position de Jung et de Castoriadis . 470

C’est ainsi que Castoriadis définit le social-historique :

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« Imaginaire social, à savoir position, dans et par l’institution, de formes et de significations que la psyché comme telle est dans l’impossibilité absolue de faire être. » 471

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Nous nous éloignons donc ici de la tentative de Lacan de penser le sujet dans son articulation au lien social. Comme nous le soulignions, Lacan cherche à penser le rapport du sujet à l’Autre dans un souci principalement clinique. Castoriadis ne nie pas cette importance, bien au contraire puisqu’il voit dans cette question un enjeu certes clinique, mais aussi fondamentalement politique. Ce qu’il développera à travers l’opposition entre hétéronomie et autonomie. Mais il considère que si l’on veut s’intéresser au lien du sujet à l’Autre, on doit également en passer par l’étude du contenu de l’Autre, de ce qui y est véhiculé en terme de significations déjà instituées. Ces significations correspondent aux mutations de l’Autre dans son contenu et son historicité. Si Castoriadis insiste sur ce point, c’est qu’il considère que ce sont ces significations imaginaires sociales qui fabriquent la façon qu’ont de se penser, de penser ou de « faire », ceux qui habitent un certain champ socio-historique. Voilà qui nous

CASTORIADIS. C., Les carrefours du labyrinthe - 4, Paris, Seuil, Points, 1996, p. 159

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Castoriadis exprime explicitement ce point.

470

CASTORIADIS. C., L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 528 Ibid., p. 455

met donc sur le chemin de ce que nous pouvons appeler la subjectivité d’une époque. Présentons donc la pensée de Castoriadis dans les limites de ce qui nous intéresse.

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