LES DISCOURS ET L’APPROCHE STRUCTURALE
II. 3 2) Discours capitaliste et initiation.
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Si le discours capitaliste était une initiation, il en serait une bien particulière. Ce serait alors une initiation qui se soutiendrait d’un « savoir portant sur la façon de consommer » . 372
Seulement, l’initiation, à suivre Lacan, est l’élèvement — qu’il ne saurait y avoir — au mystère, au secret de l’Autre : « le savoir du sexuel » . Seulement à ce niveau, l’Autre ne 373
répond pas. C’est dans la « Préface à L’Éveil du printemps » que l’on retrouve cette phrase de Lacan qui en dit long : « Que le voile levé ne montre rien, voilà le principe de l’initiation » . 374
En effet, le texte exprime cette non-réponse de l’Autre quant à ce qui serait un savoir du sexuel d’une façon particulièrement claire, et, il faut le dire, non sans talent :
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« J’ai parcouru le Dictionnaire Meyer de A à Z. Des mots – rien que des mots, des mots ! Pas la moindre explication claire. Ô cette pudeur ! À quoi bon un vocabulaire qui, sur les questions les plus pressantes de la vie, ne répond pas ? » 375
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L’initiation ne serait autre chose que l’initiation, par l’Autre, au rapport sexuel. Seulement ceci ne saurait avoir lieu, tout ce qui est découvert est « que le secret de l’Autre est un manque, et que cela le réduit à sa propre castration » . Il n’y a rien derrière le voile qu’était 376
censée lever l’initiation sinon un semblant. Ainsi, l’initiation ne fait que montrer que derrière le voile, il y a le phallus, ce secret vide de l’Autre au principe de la comédie des sexes. Un secret donc, dont le lever de rideau ne révèle rien sinon ceci que le phallus « ne peut jouer son rôle que voilé » . 377
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LENOIR. J-L., Incidences subjectives de la structure du lien social contemporain. Approche
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théorico-clinique du nouveau malaise dans la civilisation, Thèse de Doctorat de Psychologie, sous la direction de Sidi Askofaré, op. cit., p. 377
LACAN. J., Radiophonie, Autres écrits, op. cit., p. 413
373
LACAN. J., Préface à l’éveil du printemps, Autres écrits, op. cit., p. 562
374
WEDEKIND. F., L’éveil du Printemps, Paris, Gallimard, 1974, p. 24
375
BERNARD. D., « Le savoir de l’adolescence », In : Mensuel de l’EPFCL, n°37, p. 72
376
LACAN. J., La signification du phallus, Écrits II, op. cit., p. 170
L’initiation ne conduit donc pas au savoir qui permettrait d’écrire le rapport sexuel — dans le dictionnaire à l’occasion — mais à l’absence de cette écriture elle-même, et par là, au semblant qui en occupe ce qui en serait le lieu. L’initiation est donc une escroquerie. Une escroquerie qui n’en a pas moins fait ses preuves car elle ritualise la castration, et par là « le règne du phallus » au cœur du rapport entre les sexes. Ce qui a ses effets comiques, certes, 378
mais aussi organisateurs. Organisateur en ceci que l’initiation, tout comme le mythe, donne une « forme épique à ce qui s’opère de la structure » : 379
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« L’impasse sexuelle sécrète les fictions qui rationalisent l’impossible dont elle provient. » 380
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Ce qui s’opère ainsi de la structure en tant que s’y inscrit l’impasse sexuelle, c’est la relation du sujet au « savoir de la castration » . Un savoir qui n’est pas initiatique, un savoir qui 381
s’impose plutôt au sujet, qui le marque mais ne s’acquière pas . Les rites d’initiation sont 382
ainsi des habillements historiques d’un fait structural pour le sujet : il n’y a pas de rapport sexuel et seul le semblant phallique répond de la castration. Ce qui rejoint cette indication de Lacan qu’ « il y a des normes sociales faute de norme sexuelle » . Autrement dit, là où 383
l’initiation devrait conduire à la norme sexuelle — le rapport sexuel — et ses promesses de jouissance, elle conduit à des normes sociales : la castration et le phallus. C’est bien en ceci que Lacan est fondé à énoncer que la réalité de l’initiation, c’est qu’ « il n’y a pas d’initiation » . 384
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On voit donc que l’initiation répond de la névrose sociale décrite par Freud. Elle montre un sujet qui cherche à travers son rapport au savoir ce qui lui manque et que l’Autre
BERNARD. D., Le savoir de l’adolescence, art. cit., p. 72
378
LACAN. J., Télévision, Autres écrits, op. cit., p. 532
379
Ibidem.
380
LACAN. J., « En conclusion », In : Lettres de l’École Freudienne de Paris, n° 9, décembre 1972, p. 513
381
BERNARD. D., Le savoir de l’adolescence, art. cit., p. 77-78
382
LACAN. J., « Déclaration à France Culture à propos du 28e Congrès international de 383
psychanalyse », juillet 1973, In : Le Coq-héron, 1974, n° 46/47.
LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXIII : Le sinthome (1975-1976), Paris, Seuil, 2005, p. 30
pourrait lui fournir. Mais elle conduit à ceci que l’Autre manque aussi et que ce manque est le même que celui dont pâtit le sujet : castration.
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Il convient donc de revenir sur les deux questions qui s’imposent :
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• Qu’en est-il donc de l’initiation aujourd’hui, maintenant que la névrose sociale ne tient plus le haut de l’affiche, avec, comme nous le disions, un discours capitaliste qui nous montre un sujet scindé du savoir sur fond de forclusion de la castration ?
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• Quel statut donner à ce savoir sur la jouissance incarné par le S2 dans le discours
capitaliste ?
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C’est ici que nous pouvons distinguer le discours capitaliste de l’initiation. En effet, là où l’initiation montrait un sujet en quête d’un savoir qui pourrait lui assurer la jouissance par une norme sexuelle qui règlerait une bonne fois pour toutes le rapport entre les sexes, le tout sur fond de castration, le discours capitaliste montre un sujet qui se voit restituer un objet qui devrait lui assurer la jouissance, sur fond de forclusion de la castration. L’initiation amène le
sujet vers un savoir qui le concerne et avec lequel il entretient déjà un rapport — le savoir de
la castration ne s’acquière pas. Or, le discours capitaliste amène l’objet au sujet où ce n’est pas le sujet, mais l’objet qui est en lien avec le savoir. Un savoir qui ne concerne pas le sujet (sinon comme objet), un savoir techno-scientifique sans la moindre trace d’énonciation car parfaitement scindé du sujet. En somme, l’initiation a été remplacée par la sexologie et autres savoirs techno-scientifiques sur la jouissance. Ce qui permet de faire résonner différemment les mots que Lacan prononce en clôture de la séance du 20 novembre 1973 du Séminaire Les
non-dupes errent :
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« De nos jours, il n’y a plus trace, absolument nulle part, d’initiation. » 385
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Le discours capitaliste, opérant à partir d’une forclusion de la castration, invalide dans sa structure le recours à la fonction phallique, c’est-à-dire ne fonctionne pas sur le registre de la
signification phallique — au contraire des quatre autres discours. En effet, dans les quatre
LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXI : Les non-dupes errent, inédit, Leçon du 20 novembre 1973
discours, le plus-de-jouir est articulé à la signification phallique. Autrement dit, il est articulé à la castration et au manque. Cette dimension de signification phallique octroyée au plus-de- jouir dans les quatre discours n’est pas présente dans le discours capitaliste. L’objet est consommable, jetable, remplaçable.
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Le discours capitaliste ne se confond donc aucunement avec l’initiation. Il n’y a pas cette dialectique entre le sujet, le phallus, le savoir et la jouissance — comme dans le discours du maître, « qui du phallus fait signifiant indice 1 (S1) » . 386
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Cette mise au rancart du phallus — qui a donc pour conséquence la mise au rancart du sexe, à entendre comme impasse sexuelle — est bien le point dont le capitalisme prend son départ dans sa forme discursive . 387
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LACAN. J., Le Séminaire, Livre XXII : R.S.I, op. cit., Leçon du 11 mars 1975
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LACAN. J., Télévision, Autres écrits, op. cit., p. 532