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En matière de réduction de la mortalité maternelle en Afrique subsaha-rienne, un constat s’impose. Malgré les efforts politiques et sanitaires déployés à cet effet, on note une sous-utilisation des services de soins obstétricaux, voire l’absence de leur utilisation par certaines femmes pendant la grossesse et surtout à l’accouchement. Beaucoup de femmes accouchent encore en dehors des services de santé, notamment à domicile.

Le phénomène s’observe aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural, mais il reste plus observé dans les zones rurales. Or, il apparaît que l’accès aux soins obstétricaux de qualité (dans les centres de santé) contribue à réduire sensiblement les décès maternels. Dans la recherche d’explications à ce phénomène, du point de vue des soignants, une idée souvent émise consiste à présenter les facteurs culturels, voire l’ignorance supposée des femmes, comme l’une des causes majeures de telles pratiques. Les femmes accouchent encore à domicile parce qu’elles ne connaissent pas les bien-faits d’un accouchement dans un service de santé et parce qu’elles ignorent les risques liés à la grossesse et à l’accouchement. Cette idée est largement répandue chez les soignants et se traduit parfois par de vifs reproches faits aux femmes qui se rendent au centre de santé après avoir accouché à domicile, ou encore par l’utilisation de termes infantilisants pendant les consultations prénatales. Elle convoque aussi régulièrement des pratiques

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culturelles considérées comme non conformes à la logique biomédicale.

En effet, si les femmes n’accouchent pas dans les centres de santé ou ne les fréquentent pas régulièrement, c’est aussi parce que les représentations populaires liées à cette phase du cycle de vie de la femme et les pratiques qui lui sont rattachées ne favorisent pas le recours aux services de santé, où ces pratiques ne sont pas admises. Les facteurs culturels sont ainsi convoqués abusivement par les soignants et même par des chercheurs pour tenter de justifier les comportements des femmes vis-à-vis des ser-vices de santé. Cette attitude n’est pas exclusive au domaine de la santé.

Qu’il s’agisse du domaine de l’éducation, du développement, du foncier, du politique, les facteurs culturels (l’attachement aux valeurs tradition-nelles, aux vertus communautaires) restent les premiers éléments incri-minés dans l’explication des échecs, des résistances, en somme, des comportements des populations africaines. Ainsi assiste-t-on à une culturalisation des faits sociaux. Une telle approche conduit à des réflexions fondées sur des préjugés et à occulter les réalités dans lesquelles évoluent les populations.

La culturalisation de l’accouchement à domicile a pour conséquence majeure de figer les comportements des femmes, vues comme ignorantes ou refusant de s’adapter aux changements, à la modernité. Sont passés sous silence les contextes dans lesquels intervient la gestion de la grossesse et de l’accouchement. De l’Afrique en Amérique latine, en passant par l’Asie, plusieurs facteurs expliquent le fait que les femmes accouchent encore en dehors des services de santé. Les aspects liés à la culture appa-raissent, certes, parmi ceux-ci, mais ils ne sont pas les plus dominants ni les plus explicatifs. Si, dans certains contextes, comme en Europe, par exemple, ces accouchements sont des choix délibérés de femmes, en Afrique subsaharienne, ils sont le produit de conditions socioéconomiques, matérielles et structurelles défaillantes, de politiques de santé peu cohérentes. Dans sa critique du culturalisme pratique, D. Fassin (2001) a montré comment la sur-considération des facteurs culturels conduit à une lecture mitigée de la réalité sociale. En partant de l’interprétation du comportement des paysannes de l’Équateur vis-à-vis des centres de santé, il démontre que la faible utilisation des maternités par les paysannes indiennes résulte bien plus de problèmes sociaux et matériels que de problèmes culturels ou d’un quelconque rejet de la modernité. Les pay-sannes indiennes sont réticentes vis-à-vis des maternités, pas seulement

à cause des difficultés qu’elles ont pour y accéder du fait de leur enclave-ment et de leur pauvreté, mais surtout à cause de leur expérience du mauvais accueil, du mauvais traitement et de certaines pratiques dans ces lieux. Il ne faut donc pas voir dans leur comportement l’effet d’un quel-conque obstacle culturel, mais celui d’obstacles matériels et sociaux renforcés par l’image véhiculée par les services de santé et les soignants.

Des études réalisées au Burkina Faso ont également montré que les accouchements à domicile sont bien plus une contrainte qu’une préférence des femmes. Dans l’étude que nous avons menée dans la zone urbaine et périurbaine de Ouagadougou, il est apparu que les accouchements à domicile ne sont pas le seul fait des populations ni un problème purement culturel lié aux représentations populaires de l’accouchement (Zongo, 2004). Ils sont la résultante d’une combinaison de facteurs. Les plus importants sont la rapidité et la facilité du travail, l’enclavement des domiciles et des villages, le manque de transport pour rejoindre les centres de santé, le manque de moyens financiers. Il y a, aussi et surtout, le mau-vais traitement de la part des soignants. Dans la zone périurbaine, outre les facteurs précités, c’est l’interprétation d’une ancienne politique de santé qui entretenait les accouchements à domicile. En effet, au lendemain de la conférence d’Alma Ata, des accoucheuses villageoises avaient été for-mées dans les zones rurales pour suivre les grossesses et effectuer les accouchements dans les postes de santé primaires. Ces postes de santé constituaient la base de la pyramide sanitaire qui caractérisait le système de santé burkinabè à cette époque. Ils étaient donc la première étape du recours aux soins. À la faveur des nouvelles orientations sanitaires, les postes de santé primaires ne font plus partie de la pyramide sanitaire. Le premier échelon du premier niveau de la pyramide est constitué par les centres de santé et de promotion sociale. Cependant, des accoucheuses villageoises ont continué d’être formées pour exercer dorénavant à domi-cile, avec la caution des soignants de l’aire de santé. Cette situation, malgré la réorganisation du système de santé, a donc été perçue par les popula-tions comme une continuité de la stratégie des postes de santé primaires.

Ainsi, pour les accouchements, au lieu de recourir à la maternité du centre de santé, les femmes se réfèrent aux accoucheuses, favorisant ainsi la persistance des accouchements à domicile.

En somme, ce n’est pas parce que les femmes ignorent les risques liés à la grossesse et à l’accouchement ni les avantages d’un accouchement

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dans un centre de santé qu’elles accouchent à domicile. Au contraire, elles sont bien renseignées sur ces risques et reconnaissent même les compé-tences des soignants par rapport à l’assistance non qualifiée à domicile.

Mais c’est surtout en raison des contraintes économiques, sociales, maté-rielles et des dysfonctionnements des services de santé que la pratique persiste. Il y a aussi l’effet des incohérences des politiques de santé, par exemple, le statut et le rôle des accoucheuses villageoises dans le système de santé. La compréhension du comportement des femmes ne doit donc pas occulter cet ensemble de facteurs. Plutôt que de convoquer réguliè-rement l’ignorance des femmes pour expliquer leur faible utilisation des centres de santé pour l’accouchement, on devrait réfléchir à la manière de rendre ces centres accessibles aux populations, géographiquement, financièrement et surtout qualitativement.

Pour aller plus loin

Fassin, D. (2001). Culturalisme pratique de la santé publique. Critique du sens commun. In Dozon, J. P., Fassin, D. (dir.), Critique de la santé publique. Une approche anthropologique. Paris, Balland : 181-208.

Fassin, D. et Defossez, A. C. (1992). Une liaison dangereuse. Sciences sociales et santé publique dans les programmes de réduction de la mortalité maternelle en équateur.

Cahier des sciences humaines « Anthropologie et santé publique », n° 1, vol. 28, Paris, ORSTOM : 23-35.

Somé, T.D., SomBié, I. et MéDa, N. (2011). Women’s perceptions of homebirths in two rural medical districts in Burkina Faso : a qualitative perspective. Reproductive Health, 8 : 3.

En Afrique, les femmes peuls