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La croissance de la population en Afrique au sud du Sahara est la plus forte au monde (2,5 % par an), en particulier parce que le début de la transition démographique est récent et que les niveaux élevés de fécondité passés et actuels ont des effets à long terme (5,1 enfants par femme en 2005-2010).

Toutefois, les variations de la fécondité sont diverses, car les taux sont soit en baisse, en stagnation, ou plus rarement en hausse. Des différences importantes de niveaux de fécondité apparaissent entre milieux urbain et rural ainsi qu’entre les capitales de différentes régions. Mais à l’inverse, il peut exister une certaine homogénéité régionale. La fécondité est géné-ralement la plus basse dans la capitale et parmi les femmes les plus instruites. Par exemple, en 2006 au Kenya, l’ISF (indice synthétique de fécondité) était de 5,9 enfants par femme en milieu urbain (où vit 24 % de la population) comparé à 6,5 en milieu rural. Au Mali, 35 % de la population vit en milieu urbain, où la fécondité s’élève à 5,4 dans l’ensemble urbain et à 4,8 enfants par femme dans la capitale de Bamako seulement.

Cependant, en milieu rural, où vit la grande majorité de la population, l’ISF est de 7,2 enfants par femme. Par contraste, au Tchad et au Niger, où un très faible pourcentage de la population vit en ville (2 % et 18 % respectivement), les différences de fécondité entre les deux milieux de résidence sont faibles, seulement d’environ un enfant par femme.

Les déclins les plus rapides de la fécondité ont eu lieu en Afrique australe, à tous les âges et dans les générations successives (Afrique du Sud, Zimbabwe, Botswana, passant de 6 à 2,5 enfants par femme entre 1960-1965 et 2005-2010), au Ghana et au Kenya (de 7-8 enfants par femme à 4-5 entre 1960-1965 et 2005-2010), à Maurice, au Cap-Vert et à La Réunion (de 6-7 enfants par femme à 2 entre 1960-1965 et 2005-2010). Par contraste, dans plusieurs pays d’Afrique centrale et de l’Ouest, la transition de la fécondité est à peine commencée. Les nombres d’enfants par femme sont les plus élevés au Mali, en Guinée, au Tchad (6,8 à 7 enfants par femme) et le maximum est observé au Niger (7,6 enfants par femme en moyenne).

Ainsi, l’affirmation selon laquelle « les femmes africaines font beaucoup d’enfants » mérite d’être nuancée. Outre la présentation précédente de chiffres, qui montre une diversité de situations, nous exposerons trois dimensions liées à la régulation de la fécondité sur ce continent, soit la demande en matière de contraception, le recours à l’avortement et les pratiques matrimoniales et sexuelles.

Des recherches ont montré que les femmes utilisaient la contraception pour arrêter et espacer les naissances en fonction du nombre d’enfants déjà nés et de l’âge du plus jeune enfant. La volonté de retarder les nais-sances est de plus en plus associée à l’utilisation de la contraception. Par conséquent, le report de la fécondité devrait avoir des implications impor-tantes sur les niveaux de fécondité et sur la croissance de la population en Afrique.

Cependant, l’analyse des résultats d’enquêtes quantitatives rend compte des cas où les femmes ont des besoins non satisfaits de contra-ception, puisqu’elles déclarent vouloir retarder leur prochaine naissance ou arrêter d’avoir des enfants, mais elles n’utilisent pas de moyen de contraception moderne. En Afrique de l’Est et australe, l’utilisation des contraceptifs avait augmenté et était associée à une baisse de ces besoins non satisfaits, alors qu’en Afrique de l’Ouest et centrale, ces derniers restaient supérieurs à l’utilisation de contraceptifs. Des facteurs limitant l’accès peuvent expliquer ces dernières situations, tels qu’une trop grande distance géographique avec les points de distribution de contraceptifs, le coût des produits, les effets secondaires sur la santé des femmes, ou encore un approvisionnement irrégulier et insuffisant des méthodes contracep-tives. D’autres freins correspondent aux restrictions imposées par les professionnels de la santé à cause notamment d’un manque de formation

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adéquate sur les contraceptifs adaptés aux besoins des patientes, ou encore au fait que le processus pour la prescription et la délivrance d’un contra-ceptif est trop complexe et inadapté, et que les professionnels de santé font intervenir des normes et valeurs sociales associées au statut matrimonial, à l’âge des patientes ou au nombre d’enfants qu’elles ont déjà eus, dans leur décision de prescrire un contraceptif. Les méthodes contraceptives utilisées en Afrique subsaharienne sont principalement des méthodes non définitives (pilule, DIU, Ogino, etc.). Le recours à la stérilisation féminine ou à la vasectomie masculine est très rare, sauf en Afrique australe ou au Kenya.

En plus des contraceptifs, la baisse de la fécondité parmi les jeunes générations est liée à l’augmentation de la fréquence du recours à l’avortement, mais celui-ci a souvent lieu dans des conditions précaires, car clandestines. Dans plusieurs cas, ce dernier est seulement autorisé pour sauver la vie d’une femme lorsque sa santé mentale ou physique est en danger ou qu’elle a été victime d’un viol ou d’inceste (Swaziland, Bénin, Togo, Éthiopie, Guinée, Mali). Au Tchad et au Niger, l’avortement est autorisé seulement pour protéger la santé de la mère, mais exclut les cas d’inceste ou de viol. L’existence de ces lois restrictives et la condamnation populaire répandue de la pratique de l’avortement ont pour conséquence que la plupart des avortements sont pratiqués dans des conditions risquées. Dans les cas de viol et de violence sexuelle, d’une part, les femmes préfèrent ne pas recourir à un avortement légal, ou n'en ont pas les moyens et, d’autre part, ni les professionnels de la santé ni la police ne connaissent bien les conditions et les procédures à suivre lorsque l’avortement devrait être légal. Une remise en cause du système légal semble nécessaire, puisque seules les femmes les plus riches connaîtront un médecin qui pourra les assister lors d’un avortement, sans tenir compte de la reconnaissance de sa légalité.

Notre troisième point concerne un élément du statut matrimonial qu’est la polygamie. La polygamie dans une société peut contribuer à une fécondité élevée, car elle tend à maximiser le temps passé par les femmes dans le mariage (au sein des sociétés où le mariage a lieu à un âge relati-vement jeune et où le remariage est fréquent après un divorce ou un veuvage), et donc au fait d’avoir des enfants. Par ailleurs, les hommes continuent d’avoir des enfants après l’âge de 60 ans. Pour ce qui est des femmes, la polygamie peut être associée à une plus faible fécondité

indi-viduelle des femmes mariées en union polygame que celles vivant en union monogame pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en union poly-game, la fréquence des rapports sexuels pour chacune des épouses est plus faible qu’en union monogame. Selon l’hypothèse de favoritisme, la femme favorite, souvent la plus jeune, aurait une fécondité plus élevée que les autres coépouses. Quand les coépouses d’un homme polygame habitent dans la même concession de maisons avec leur mari, l’abstinence sexuelle pendant la période d’allaitement peut être plus longtemps observée grâce à l’alternance des relations sexuelles entre les partenaires, ce qui allonge les intervalles entre les naissances pour une femme. Deuxièmement, la fécondité plus basse des femmes en union polygame peut aussi s’expliquer par un effet de sélection, car un mari peut prendre des épouses supplé-mentaires lorsqu’il considère qu’il n’a pas eu tous les enfants qu’il désirait avec sa première femme. Les femmes sans enfant sont surreprésentées dans les unions polygames. Enfin, dans la polygamie, en contraste avec la monogamie, les époux ont moins de chances de vivre ensemble et ainsi les femmes sont moins exposées au risque de grossesse.

Ainsi, la fécondité élevée des femmes africaines est liée aux valeurs et pratiques traditionnelles et pronatalistes, mais aussi aux inégalités entre hommes et femmes, entre générations, et aux contraintes liées aux freins sanitaires et sociaux à l’utilisation de la contraception. En effet, les femmes africaines font beaucoup d’enfants, mais leurs intentions de fécondité ont baissé et les écarts entre les intentions de fécondité et la fécondité réalisée à la fin de la vie reproductive restent grands dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne.

Pour aller plus loin

LarDoux, S. et van De Walle, É. (2003). Polygamie et fécondité en milieu rural sénégalais. Population, vol. 58, nº 6 : 807-836.

N’Bouké, A., Calvès, A. et LarDoux, S. (2012). Le recours à l’avortement provoqué à Lomé (Togo) : Évolution et rôle dans la réduction de la fécondité. Population, vol. 67, nº2 : 357-385.

TaButin, D. et SChoumaker, B. (2004). La démographie de l’Afrique au sud du Sahara des années 1950 aux années 2000. Synthèse des changements et bilan statistique.

Population, vol. 59, nº 3-4 : 519-621.

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L’homosexualité