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À l’heure de la mondialisation, la multiplication des déplacements de populations (notamment par l’émigration) est fréquemment perçue comme un vecteur de maladies qui menacent la santé collective. On associe régulièrement les maladies infectieuses (SRAS, grippe A(H1N1), VIH, sida, etc.) à ce phénomène, car les individus viendraient de régions du monde où la prévalence de ces infections est plus importante. La tuberculose est l’une de ces maladies souvent associées au fait migratoire1. Qu’en est-il réellement ?

Il importe de rappeler que malgré l’existence de traitements préventifs et curatifs, plus de 1,5 million de personnes meurent de la tuberculose annuellement, ce qui représente environ 5000 personnes par jour. Le nombre de cas varie énormément selon les régions du monde. L’incidence est considérable dans certaines régions de l’Afrique et de l’Asie qui repré-sentent respectivement 31 % et 55 % des nouveaux cas de tuberculose à l’échelle mondiale. Quotidiennement, près de 25 000 personnes contractent

1. La tuberculose est causée par une bactérie (le bacille de Koch) qui attaque le plus fréquemment les poumons. La transmission de la maladie est aérienne, au même titre que la grippe ou le rhume. En toussant, en crachant ou encore en éternuant, le malade projette des gouttelettes dans l’air qui peuvent être respirées par les gens de son entourage. Ces personnes courent alors le risque de devenir porteuses de la forme latente de la tuberculose (en opposition à la forme active). En période de latence, la maladie est asymptomatique et non contagieuse.

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cette maladie et deviennent porteuses de la forme latente. Ces personnes sont exposées à un risque variant entre 10 % et 15 % de développer la forme active de la maladie au cours de leur vie2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) signale qu’une personne sur trois dans le monde est porteuse de la forme latente de la tuberculose.

Bien que cette maladie soit toujours très présente dans les pays pauvres, on assiste à sa recrudescence dans les pays industrialisés, et plus particulièrement parmi les personnes les plus défavorisées. Certains groupes seraient donc plus vulnérables face à cette maladie, notamment les immigrants provenant de pays où la tuberculose est très présente.

Au Canada, les statistiques sont assez probantes à ce sujet. En trois décennies, le nombre de cas de tuberculose diagnostiqués chez des per-sonnes nées à l’étranger a pratiquement doublé, ce qui représente actuel-lement plus de 66 % des cas. La modification des pays d’émigration des individus venant s’installer au Canada est la principale explication de ce changement. Actuellement, la plupart des immigrants sont originaires de l’Asie et de l’Afrique, régions hautement affectées par la maladie. Or, dans les années 1960, l’émigration se faisait principalement de la France, de l’Angleterre et des États-Unis, qui avaient, à ce moment-là, des profils épidémiologiques similaires à celui du Canada. On observe aujourd’hui un nombre considérable de cas de tuberculose dans les grandes villes canadiennes (Montréal, Toronto, Edmonton, Vancouver, etc.) et plus particulièrement dans les quartiers dont la population se compose majo-ritairement d’immigrants.

Il importe de rappeler que la règlementation canadienne sur l’immi-gration impose un dépistage médical de la tuberculose. Les immigrants et les réfugiés atteints de la maladie n’obtiennent pas le droit d’entrer au Canada. Le dépistage concerne uniquement la forme active de la maladie et non pas la forme latente. Malgré tout, les immigrants comptent parmi les groupes où l’incidence de la maladie est la plus élevée. Pourquoi y a-t-il autant de cas de tuberculose au sein de ce groupe ?

La forte prévalence de la tuberculose dans le pays d’origine de la quasi-totalité des immigrants représente le facteur le plus souvent réper-torié afin d’expliquer ces taux élevés. Malgré tout, pour mieux comprendre

2. La tuberculose peut se développer à la suite d’une diminution des défenses immu-nitaires d’un individu. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette diminution, tels que l’âge, la maladie, la sous-alimentation ou encore un traitement immunosuppresseur.

le développement de la tuberculose chez ces immigrants, il faut se pencher sur les cinq premières années de leur vie dans le pays d’accueil. En effet, près de la moitié des cas diagnostiqués l’ont été au cours de cette période.

Bien que nous nous intéressions plus particulièrement au Canada, ce constat est également observable dans plusieurs pays industrialisés, notamment les États-Unis et l’Australie. Il est possible de s’interroger sur les facteurs entraînant le passage de la forme latente à la forme active de la maladie chez les immigrants. Bien que plusieurs hypothèses concernant le stress, la génétique et l’affaiblissement du système immunitaire soient avancées, les conditions de vie jouent aussi un rôle important.

Tentons de comprendre cette vulnérabilité quant à la tuberculose chez les personnes en situation de migration. Les critères de sélection établis par les pays hôtes tendent à favoriser les jeunes en bonne santé. Par consé-quent, les immigrants sont souvent en meilleure santé que la population locale à leur arrivée. Toutefois, cet avantage s’amenuiserait avec le temps pour rejoindre la moyenne nationale. Le même constat est observé en France et dans bon nombre de pays industrialisés. En lien avec cette diminution de l’état de santé, rappelons que tous les porteurs de la forme latente ne développent pas la forme active de la maladie. Il faut donc trouver des pistes d’explication à travers des facteurs biologiques, culturels, politiques et structurels. Si le nombre important de cas de tuberculose chez les immigrants est principalement expliqué par leur pays d’origine, le passage de la forme latente à la forme active s’explique plutôt par trois facteurs.

Plusieurs immigrants sont aux prises avec des conditions de vie défi-cientes dans les premières années suivant leur installation (pauvreté, logements surpeuplés, conditions précaires d’emploi, malnutrition, etc.), ce qui contribue au passage à la forme active de la maladie. Ces conditions dans les trajectoires post-migratoires introduisent des distinctions consi-dérables quant aux probabilités de développer ou non la forme active de la maladie. Il devient alors possible d’envisager que le risque associé au développement de la tuberculose ne serait pas le même pour tous les immigrants selon leurs conditions de vie après leur installation.

L’impact négatif du stress sur la capacité du système immunitaire à se défendre est avancé par plusieurs auteurs afin d’expliquer la survenue de la maladie après l’établissement. Dix années sont parfois nécessaires à plusieurs immigrants pour accéder à une certaine stabilité financière.

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Plusieurs familles vivent sous le seuil de pauvreté pendant cette période.

Cette hypothèse prend tout son sens et est intimement liée au stress pou-vant être associé à des conditions de vie déficientes.

L’accès au système de santé demeure un élément primordial de la prise en charge de la tuberculose au sein de ce groupe. Toutefois, certaines études soulignent l’existence d’une certaine discrimination institutionnelle dont sont victimes les immigrants. Cela peut se présenter sous forme de per-ceptions stéréotypées de la part des professionnels de la santé, de barrières quant à la langue, de la méconnaissance du fonctionnement des institu-tions, etc. Tous ces éléments limiteraient l’utilisation des services et pour-raient favoriser le développement de la maladie, faute de prévention.

Ainsi, l’idée reçue selon laquelle les immigrants apporteraient avec eux la tuberculose doit être largement nuancée en s’intéressant à leurs trajectoires d’établissement dans leur pays d’accueil. Les conditions de vie dans les années suivant leur installation influencent le développement ou non de la maladie et méritent de situer la réflexion dans un cadre beaucoup plus global sur l’impact des inégalités sociales de santé.

Pour aller plus loin

Organisation monDiale De la santé (OMS) (2015). Tuberculose. http://www.who.

int/mediacentre/factsheets/fs104/fr/

Reitmanova, S. et Gustafson, D. L. (2012). Coloring the white plague : a syndemic approach to immigrant tuberculosis in Canada. Ethnicity & Health, 17 :4, 403-418.

Tapiéro, B. et Carle, M.-È. (2009). Les maladies infectieuses : l’illusion du risque zéro. Montréal, Éditions du CHU Sainte-Justine.

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