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Le contrôle de la fertilité a toujours été un enjeu dans la vie des sociétés.

Depuis l’Antiquité, infanticide, avortement et contraception furent pra-tiqués, démontrant la volonté des humains d’échapper à la fatalité. Les méthodes utilisées pour contrôler la fécondité ont connu une évolution dans le temps. Ainsi, aux méthodes dites naturelles (coït interrompu ou abstinence périodique) succèderont, au xxe siècle, les méthodes modernes constituées de dispositifs mécaniques (stérilet) ou médicaux (pilule, implant, injection, par exemple). Les méthodes médicales sont constituées de substances à activité hormonale agissant sur le fonctionnement des organes reproducteurs. Le principe est d’utiliser ces méthodes durant les périodes où la femme ou le couple ne désire pas procréer, et d’en arrêter l’utilisation une fois que le désir d’enfant se manifeste. Cependant, consi-dérés comme des produits chimiques, bon nombre d’effets secondaires sont reprochés à ces contraceptifs, parmi lesquels le risque de stérilité.

Introduites dans les pays à faible revenu à la faveur de programmes visant à maîtriser la croissance démographique des populations, et objet d’investissements divers (de la part des gouvernements, d’institutions internationales et d’ONG), les méthodes contraceptives rencontrent de nombreux obstacles. L’un d’eux est la croyance relative aux effets sur la fertilité, notamment le risque de stérilité.

Une préoccupation prégnante

L’idée reçue autour des effets stérilisants des méthodes contraceptives est encore très présente dans les populations. Elle est souvent revenue au cours de mes enquêtes sur l’avortement auprès de jeunes femmes à Ouagadougou.

Les grossesses ayant conduit la plupart de ces filles à l’avortement avaient été contractées à cause de l’absence d’utilisation de contraception malgré une absence de désir d’enfant. Aussi, après les expériences d’avortement avec complications, certaines jeunes femmes hésitaient toujours à accepter les méthodes contraceptives qui leur étaient proposées, ou les acceptaient, mais choisissaient de ne pas les utiliser une fois chez elles. Les entretiens avec ces jeunes femmes célibataires sur les motifs de leur refus et réticences ont révélé la crainte des effets secondaires, notamment le risque de stérilité.

L’une d’elles, après trois avortements, pensait toujours ceci : « On dit que ce n’est pas bon, que ça rend stérile. Il paraît que ça s’entasse dans le ventre et ça finit par boucher l’utérus, et après on ne peut plus avoir d’enfant. » Des trompes à l’utérus, les substances contenues dans les contraceptifs comme la pilule, les implants ou les injectables s’attaqueraient, selon les perceptions des femmes rencontrées à Ouagadougou (Burkina Faso), aux organes reproducteurs de la femme pour, à terme, créer une stérilité.

L’origine de cette croyance paraît difficile à déterminer. Il s’agit d’une forme de rumeur de par la manière dont elle s’énonce : « on dit que », « il paraît que ». D’aucuns pensent tout de même que cette idée viendrait des fervents opposants à la contraception, parmi lesquels on compte les leaders religieux. Une des jeunes femmes avec qui j’ai discuté dit, en effet, avoir reçu l’information d’une amie qui l’aurait entendue, quant à elle, pendant un prêche dans son église.

Cette croyance n’est pas propre au contexte du Burkina Faso. Au cours d’un séjour au Bénin en 2013, j’ai entendu une étudiante dire lors d’une discussion de groupe sur l’avortement que « la pilule bouche les trompes, et ça fait que les ovaires et les spermatozoïdes ne peuvent plus se rencontrer ». Le constat a aussi été fait en France par les enquêtes de 2007 de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), au Nigeria auprès de jeunes femmes vivant dans un camp de réfugiés et également au Québec dans une étude auprès de jeunes.

Contrairement aux femmes mariées ayant déjà entamé leur parcours génésique et qui cherchent, à travers la contraception, à espacer ou arrêter

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leur procréation, devenir stérile pour une jeune femme célibataire aspirant à la maternité revêt un tout autre sens. Chez les jeunes femmes qui n’ont pas encore entamé leur parcours génésique, le recours à la contraception vise à différer l’entrée dans la parentalité le temps pour elles de réunir les conditions propices (être mariée, se fiancer, trouver un emploi, finir ses études, etc.). Il s’agit donc, pour elles, de différer, sans la compromettre, la maternité, compte tenu de sa place fondamentale dans la construction de leur identité et dans la conjugalité. Or, les contraceptifs modernes compromettraient cette possibilité d’accéder à la maternité en temps voulu. Ces perceptions vont induire par conséquent des pratiques diverses chez les jeunes femmes, allant du refus à l’utilisation sporadique des méthodes contraceptives.

Contraception et stérilité : des preuves scientifiques

La contraception est définie par l’Organisation mondiale de la santé comme l’utilisation d’agents, de dispositifs, de méthodes ou de procédures pour diminuer la probabilité de conception ou l’éviter. Dans le cas des contraceptifs oraux, par exemple, appelés « pilules », il s’agit de comprimés d’hormones (œstrogène ou un progestatif, en fonction du type de pilule), dont le mécanisme consiste à empêcher l’ovulation ou à épaissir la glaire cervicale pour empêcher la rencontre du spermatozoïde et de l’ovule. Les effets de ces contraceptifs sont censés s’estomper une fois que la femme cesse leur utilisation, et elle est donc à nouveau féconde. Différentes recherches ont été menées sur ce retour à la fertilité après l’arrêt de méthodes de contraception. Qu’il s’agisse de recherches sur des utilisa-trices de contraceptifs oraux, d’injectables ou d’implants, elles sont toutes parvenues à la conclusion d’une possible altération temporaire de la fécondité dans les premiers mois suivant l’arrêt des méthodes. Mais cela n’est jamais irréversible. Certaines femmes retrouveraient immédiatement leur fécondité, tandis que pour d’autres, un temps d’attente est nécessaire (environ trois cycles après l’arrêt de la contraception, le temps pour l’orga-nisme de retrouver son mécal’orga-nisme normal). Mais à plus de 99 %, elles retrouveraient leur fertilité.

L’idée reçue concernant le lien entre contraception et stérilité est une réalité. Elle contribue, autant que d’autres facteurs, au faible taux de pré-valence contraceptive dans les pays à faible revenu. Son origine peut être

recherchée, entre autres, dans la manière dont les méthodes contraceptives modernes ont été introduites et présentées aux populations. Contrairement aux pays occidentaux dans lesquels l’avènement de ces contraceptifs fait partie des luttes pour une libéralisation et un accès à ces méthodes, dans les pays en développement, notamment africains, elles ont été introduites à la faveur de politiques de population promues par des organismes comme l’OMS, la Banque mondiale, le FNUAP, etc., visant à réduire la croissance démographique. Dans un contexte où les pays en développement sont accusés de « faire trop d’enfants », avec la conscience d’une certaine volonté de l’Occident d’avoir une mainmise sur la fécondité des pays pauvres, on assiste à la naissance d’une rumeur (croyance) selon laquelle on serait prêt à tout pour parvenir à ses fins, quitte à passer par des méthodes contraceptives pour rendre stériles les femmes et les hommes.

Certains évoquent même des préservatifs contenant des produits pour rendre inféconds les hommes et des pilules qui rendraient infécondes les femmes. Cependant, cette croyance, malgré sa forte présence au sein des populations, fait l’objet d’une faible attention. Dans un contexte de faible taux de recours aux méthodes contraceptives, malgré des politiques visant à lever les barrières diverses, ces idées reçues devraient porter le label

« problème de santé publique » et faire l’objet d’un investissement, au même titre que celui accordé aux questions de coûts ou de barrières géographiques. Ceci est essentiel, car des femmes qui ne désirent pas nécessairement d’enfant et qui réunissent les conditions d’accès à ces méthodes les refusent et sont susceptibles d’affronter des grossesses non voulues et les dangers, pour elles et leurs enfants, de l’avortement à risque.

Pour aller plus loin

Bajos, N. et al. (2013). Tensions normatives et rapport des femmes à la contraception dans 4 pays africains. Population, vol. 68(1) : 17-39.

Barnhart, K., Mirkin, S., GruBB, G. et Constantine, G. (2009). Return to fertility after cessation of a continuous oral contraceptive. Fertility and Sterility, 91(5) : 1654-1656.

Okanlawon, K., Reeves, M. et AgBaje, O. F. (2011). Contraceptive use : knowledge, perceptions and attitudes of refugee youths in Oru refugee camp, Nigeria. African journal of reproductive health, 14(4).

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Le nombre d’avortements