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Joseph Josy Lévy, Amara Bamba et Elhadji Mamadou Mbaye

Les médicaments, basés sur des innovations de l’industrie pharmaceu-tique, demandent des investissements importants. L’obtention de brevets garantit la propriété intellectuelle et la commercialisation pendant 15 à 20 ans. Par la suite, des compagnies peuvent mettre sur le marché des génériques remplaçant les médicaments originaux. Produits à un coût moins élevé, jusqu’à 45 %, ils aident à réduire les dépenses de santé. Malgré cet avantage, les idées reçues à leur sujet limitent la progression de leur diffusion et de leur acceptation. Ce serait ainsi des médicaments peu efficaces, de moindre qualité, plus dangereux et d’ailleurs plus chers que les médicaments originaux. Déconseillés dans le traitement de certaines maladies, ils prendraient plus de temps à agir et auraient des effets secon-daires importants. Leur bioéquivalence serait trompeuse et le contrôle exercé par les instances de santé moins draconien que pour les autres médicaments. Les installations permettant leur fabrication ne correspon-draient pas non plus aux normes de qualité, en particulier dans la zone asiatique. Mais jusqu’à quel point ces idées reçues sont-elles partagées par les groupes d’acteurs impliqués dans la chaîne des médicaments (méde-cins, pharmaciens, patients) ?

Les médecins sont partagés quant au recours aux génériques, variable selon les pays européens et asiatiques. Si la majorité des praticiens européens

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considèrent que les génériques ont les mêmes caractéristiques que les médicaments de marque en termes de qualité, de sécurité et d’efficacité, l’ampleur de leur prescription varie en fonction des demandes des patients.

Dans d’autres pays, l’acceptation est plus faible et les réticences sont liées aux problèmes de sécurité des produits locaux et de bioéquivalence avec les médicaments de marque.

Chez les pharmaciens, selon des études menées dans plusieurs régions du monde, les incertitudes entourant les génériques semblent moins marquées. En Asie, les pharmaciens peuvent avoir de bonnes connais-sances et des perceptions positives quant à leur sécurité, leur efficacité et leurs avantages économiques, mais ils sont plus divisés quant aux effets secondaires et à la prescription des produits locaux, considérés comme de moindre qualité. La bioéquivalence reste un problème récurrent. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les pharmaciens sont, pour la très grande majorité, enclins à les recommander comme produits de substi-tution. Si, à leurs yeux, leur niveau de sécurité rejoint celui des médica-ments de marque, ces derniers sont considérés comme de meilleure qualité et plus efficaces. Cependant, ce sont surtout les avantages économiques des génériques qui sont soulignés. Au Portugalet en France, la grande majorité des pharmaciens ont confiance dans les génériques et sont favo-rables à leur utilisation, mais ils soulignent quand même quelques effets secondaires importants.

Du côté des patients, les enquêtes suggèrent que les génériques sont aussi associés à des perceptions problématiques et contradictoires, ce que montrent plusieurs études menées en Europe et aux États-Unis. Si, dans plusieurs pays, les génériques ne posent pas de problèmes particuliers et sont bien acceptés, dans d’autres régions, on constate la présence de connaissances incomplètes s’appuyant sur une méfiance qui les associent à des contrefaçons, à une production étrangère et remettent en question leur efficacité. Les génériques seraient moins puissants que les autres médicaments, nécessitant l’absorption de doses plus élevées et impliquant plus d’effets secondaires. Leur prix bas contribuerait à les associer à des produits d’une qualité douteuse, mais l’inverse est aussi vrai. Ces percep-tions peuvent varier selon le lieu de résidence, l’origine ethnoculturelle et le niveau socioéconomique.

Comment les instances d’évaluation et de contrôle des médicaments se situent-elles face à ces idées reçues ? Une fois de plus, même à ce niveau,

des réticences liées au processus de production et aux résultats des recherches scientifiques sont relevées, surtout dans le contexte français.

Pour l’Académie nationale française de médecine, la bioéquivalence ne serait pas totalement démontrée. Les contraintes liées à l’évaluation de la qualité et à l’inspection, à la multiplication des intermédiaires et à la progression des contrefaçons en provenance d’Asie rendent difficile le contrôle de la qualité. Une autre organisation, l’Inspection générale des affaires sociales, n’observe pas la présence de problèmes majeurs dans la chaîne de production, mais des carences sont notées quant à la qualité des produits actifs et des excipients en provenance de l’étranger, tandis que la validité des études de bioéquivalence et de pharmacovigilance est soulevée. Les chercheurs remettent aussi en question les méthodes d’éva-luation de la bioéquivalence qui ne seraient pas sûres, soulignant que les caractéristiques pharmacocinétiques, à cause du type d’excipients et des techniques de production, différeraient entre les génériques et les médi-caments de marque. Des écarts dans l’efficacité, la tolérabilité et la bio-disponibilité ont été constatés pour certains médicaments. De nouvelles mesures d’évaluation seraient à utiliser pour tenir compte des variations entre les individus et les populations. À l’inverse, la Mutualité française critique des prises de position influencées par les grandes industries pharmaceutiques, leur opposant des arguments basés sur des données probantes. Elle montre, à partir d’une recension des études de la FDA (l’agence américaine de contrôle du médicament), que, dans la très grande majorité des cas, des écarts minimes dans la biodisponibilité entre les génériques pris par voie orale et les médicaments de marque, eux-mêmes sujets à des variations, confirment ainsi la validité des mesures de bioé-quivalence. De ce fait, les critiques quant à la qualité, l’efficacité ou la sécurité seraient à rejeter. Ces conclusions sont partagées par les instances américainesqui confirment l’intérêt des génériques dans le traitement.

Si leurs avantages économiques sont soulignés, le statut des génériques reste donc encore problématique et des réserves sont émises par les groupes professionnels et les patients concernés quant à leur qualité et leur efficacité, même si elles varient selon les pays et les contextes culturels.

Les principes et les méthodes d’évaluation des génériques font l’objet de questionnements quant à leur validité, tandis que la mondialisation pose le problème de la qualité des matériaux utilisés et de la sécurisation du processus de production. Les génériques ne font donc pas l’unanimité,

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démontrant ainsi les difficultés à établir des preuves scientifiques irréfutables quant à leur efficacité et leur sécurité, et ce, dans un domaine pourtant crucial pour la santé des populations.

Pour aller plus loin

Mutualité française (2012). Rapport 2012 sur les médicaments génériques. http://

www.medicamentsgeneriques.info/wp-content/uploads/2009/12/2012_12_

Médicaments-génériques.pdf

SarraDon-ECk, A., BlanC, M.-A. et Faure, A. (2007). Des usagers sceptiques face aux médicaments génériques. Une approche anthropologique. Revue d’Épidémio-logie et de Santé Publique, 55 : 179-185.

Toklu, H.Z. et al. (2012). Knowledge and attitudes of the pharmacists, prescribers and patients towards generic drug use in Istanbul – Turkey. Pharmacy Practice (Internet), 10(4) : 199-206.