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Le syndrome d’épuisement professionnel du soignant est largement connu aujourd’hui. Les premiers articles qui l’évoquent sont parus au milieu des années 1970. Pourtant, ce n’est qu’au début des années 1980 que les pre-mières données issues de travaux de recherches empiriques sont publiées.

Maslach et Jackson le définissent comme un syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l’accomplissement personnel qui apparaît chez les individus impliqués professionnellement auprès d’autrui. L’épuisement émotionnel renvoie au manque d’énergie, à la dépersonnalisation, au développement d’attitudes détachées, négatives, cyniques envers les personnes dont on s’occupe, et la réduction de l’acplissement personnel traduit le déclin du sentiment de succès et de com-pétence dans le travail, la diminution de l’estime de soi et du sentiment d’auto-efficacité. Les causes potentielles du syndrome d’épuisement professionnel incluent : l’absence de reconnaissance, les conditions ina-déquates de travail, l’absence d’équité, les conflits de valeurs, les conflits/

ambiguïtés de rôle, la charge de travail, le manque de soutien social, l’impossibilité de contrôler son activité, la sédentarité du travail.

Dans cette perspective, les recherches empiriques se sont principale-ment focalisées sur les facteurs liés à l’environneprincipale-ment de travail : satisfac-tion au travail, stress lié à la charge de travail, conflits de rôle, relasatisfac-tions

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entre collègues, relations avec les clients, etc. Mais la plupart des travaux se sont focalisés sur l’Amérique du Nord et l’Europe. En Afrique, plusieurs études relèvent une crise des ressources humaines en santé particulière-ment aiguë, laquelle a d’importantes répercussions sur les conditions de travail et la charge de travail de certaines catégories de soignants. D’autres travaux ont mis en évidence l’environnement difficile au sein duquel évoluent les soignants, environnement perçu comme une source d’épui-sement professionnel. Mais les soignants africains sont-ils affectés par ce syndrome ?

Notre réflexion est basée sur des données recueillies dans le cadre d’une étude menée dans le Grand Nord Cameroun, dans un hôpital public de capacité moyenne (150-200 lits).

Un environnement professionnel accablant

Avec la récession économique du début des années 1990, le Cameroun a vu ses indicateurs sociosanitaires se dégrader de manière importante. Le budget de la santé publique a subi une réduction progressive. Les recru-tements se sont arrêtés à la fin des années 1980 pour toutes les catégories de professionnels de la santé, mis à part les médecins. Les postes libérés du fait des départs en retraite et des décès n’étaient pas renouvelés. Au milieu des années 2000, on a estimé qu’un recrutement de 31 000 per-sonnes était nécessaire pour résorber l’insuffisance numérique. En 2002, 2004 et 2007, des recrutements spéciaux, insuffisants, ont eu lieu dans le cadre de programmes internationaux de remise de dettes. À cette insuf-fisance numérique s’ajoute un sous-équipement chronique. Le Cameroun dispose de plus de 1500 structures sanitaires, pour la plupart sous-équi-pées. Ceci concerne les éléments facilitant les activités routinières de soins aussi bien que ceux qui sont nécessaires à la vie quotidienne sur les lieux de travail (eau courante, eau potable, W.C., papier hygiénique, ordonnan-ciers, stylos à bille, etc.). Ces conditions inadéquates de travail évoquées comme facteur d’épuisement professionnel ont un impact sur la fluidité des soins et la satisfaction des soignants. S’y ajoute la précarité caracté-ristique de la fonction soignante dans ce contexte.

Les soignants se distinguent en fonction de leurs statuts : fonction-naires, fonctionnaires de pays pauvres très endettés (PPTE ), bénévoles et autres, tous précaires. Prenons par exemple le cas des fonctionnaires.

Ce statut est attesté par l’affectation d’un numéro matricule qui déclen-chera le paiement du salaire. Mais le processus n’est pas automatique.

Ainsi, un médecin attendra une moyenne de deux années avant de rece-voir son premier salaire. Une fois le statut acquis, les soignants doivent avancer en grade. Ici encore, ils devront subir les effets pervers du système administratif, amplifiés pour ceux qui exercent dans les localités éloignées du centre de décision. Les dossiers sont en effet examinés à Yaoundé, la capitale. Les services du courrier dans les administrations publiques n’étant pas fiables, il est conseillé de porter son dossier soi-même aux bureaux qui en ont la charge. Une fois enregistré, le dossier est examiné par différents services. La durée du passage d’un service à un autre dépendra largement de la capacité du fonctionnaire à mobiliser ses réseaux sociaux et ses ressources financières. Si les fonctionnaires ont chacun une expérience unique de ce rapport au service public, on retrouve partout la même trame : les dossiers avancent quand on connaît quelqu’un ou que l’on donne quelque chose. Or, la crise économique et les Programmes d’ajustement structurel (PAS) ont entraîné une baisse des salaires. Ceux-ci ont été revalorisés au début des années 2000 ; cependant, ils restent insuffisants (autour de 140 000 FCFA [213, 43 € environ] pour un géné-raliste en début de carrière). Cette précarité incite les médecins hospitaliers à donner des consultations dans des cliniques privées, des cours dans les écoles de formation, à assister aux séminaires organisés par diverses organisations menant ou finançant des projets de santé publique dans la région. Pour quelques jours de séminaire, les indemnités dont bénéficient les participants sont parfois nettement supérieures à leurs revenus mensuels (quand ils ont déjà un salaire). Ainsi, les consultations de médecins sont-elles parfois suspendues pendant plusieurs jours. Ces éléments sont pour les soignants les signes du désintéressement de l’État quant à leurs fonctions, donc une absence de reconnaissance symbolique, et d’une absence d’équité notamment dans l’attribution des avancements en grade, facteurs favorisant l’émergence du syndrome d’épuisement professionnel.

L’environnement professionnel étudié est aussi caractérisé par divers type de tensions : tensions entre soignants et soignés, tensions entre soi-gnants liées à la vente illégale de médicaments, aux soupçons et aux accusations de corruption. Si, jusqu’au début des années 2000, la plupart des soignants n’osaient pas évoquer la pratique si ce n’est avec embarras,

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plusieurs, sans aucune distinction d’origine et de statut, abordent aujourd’hui la question parfois délibérément et sans gêne particulière. Ils justifient la pratique et son inéluctabilité. Toutefois, les pratiques de cor-ruption, en dépit de leur généralisation, posent des problèmes de conscience, des conflits de valeurs. Certains soignants aujourd’hui corrompus, reconnaissant « que ce sont des choses qu’ils ne devraient pas faire », rappellent la droiture caractéristique des débuts de leur trajectoire professionnelle, droiture mise à mal par l’attitude des collègues. Il reste des soignants dont l’intégrité est reconnue. Mais celle-ci s’avère fragile, compte tenu de ce contexte. Ainsi enregistre-t-on parfois des réactions de colère et de dépit. Tous ces éléments, auxquels s’ajoute la sédentarité du travail, viennent composer des environnements socioprofessionnels accablants.

Les soignants sont-ils pour autant affectés par le syndrome d’épuisement professionnel ?

Les données indiquent des niveaux d’épuisement émotionnel et de déper-sonnalisation bas et un accomplissement personnel modéré  pour l’ensemble du personnel. Ces résultats ne permettent pas d’établir l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel. On note un niveau de dépersonnalisation bas dans l’ensemble, un taux d’épuisement émo-tionnel modéré chez les médecins, bas pour les infirmiers et autres ; un accomplissement personnel modéré chez les médecins et les infirmiers et bas chez les autres. Ces résultats sont surprenants compte tenu du contexte, mais aussi du fait des travaux de recherche déjà évoqués. On serait plutôt en présence de soignants frustrés et d’un système de santé à bout de souffle.

Pour aller plus loin

MaslaCh, C. et Leiter, M. P. (1997). The truth about burnout. How organizations cause personal stress and what to do about it. San Francisco, Jossey-Bass.

SChaufeli, W. B., MaslaCh, C. et al. (dir.) (1993). Professional burnout : Recent development in theory and research. Philadelphia, PA, Taylor & Francis.

TruChot, D. (2004). Épuisement professionnel et burnout. Concepts, modèles, interventions. Paris, Dunod.