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David Lessard, Bertrand Lebouché et Réjean Thomas

Depuis l’apparition de la pandémie de VIH/sida en 1981, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) ont été les premières victimes de cette maladie. Ils restent touchés de manière disproportionnée par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Trente ans après la découverte du virus, l’incidence élevée du VIH parmi les HSH est recensée sur tous les continents. Ainsi, les Caraïbes, avec 25 % des HSH vivant avec le VIH, est la région où ils sont les plus touchés. En Afrique subsaharienne, où l’ensemble de la population est la plus éprouvée par le VIH, la préva-lence parmi les HSH atteint 18 %, contre 5 % dans la population adulte générale. Dans l’ensemble de l’Amérique du Nord, 15 % des HSH vivent avec le VIH. On retrouve une proportion équivalente de HSH dans les grandes villes occidentales. Alors que l’épidémie globale est maintenant en déclin ou stabilisée, le VIH connaît une nouvelle résurgence parmi les HSH, malgré les multiples campagnes de prévention destinées à cette population et la mise massive sous thérapie antirétrovirale des personnes vivant avec le VIH. En effet, une thérapie efficace contre le VIH réduit de plus de 95 % le risque de transmission du virus d’une personne séropositive à son ou ses partenaires sexuels.

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Pour les HSH, la prévention de la transmission du VIH s’est surtout concentrée sur les risques individuels d’exposition à ce virus : relation anale sans préservatif ; nombre élevé de partenaires masculins ; utilisation concomitante de drogues ou d’alcool ; et quantité importante de VIH dans le sang et dans le sperme qui, souvent, vient lui-même d’être infecté dans un contexte de multipartenariat.

Pour réduire les facteurs de risque, les campagnes de prévention du VIH ont mis l’accent sur le changement des comportements sexuels.

Durant les années 1980 et 1990, elles ont valorisé différentes mesures comme l’abstinence, la réduction du nombre de partenaires, la fidélité sexuelle ou l’usage du condom. La notion de responsabilité individuelle s’est peu à peu implantée dans les discours et pratiques de prévention. En conséquence, les HSH sont souvent jugés responsables de la prévalence élevée du VIH parmi eux et cela est souvent invoqué pour justifier des stéréotypes défavorables et discriminants à leur égard. Selon ces stéréo-types, les HSH ne se protègent pas suffisamment contre le risque de transmission du VIH ; ils gardent ainsi un risque élevé d’être infectés et de transmettre le VIH, et cela, malgré l’information qu’ils ont reçue. Les comportements jugés à risque ont été associés à la transmission du virus, entraînant du coup la stigmatisation, voire la criminalisation des per-sonnes. Étant donné que l’incidence du VIH parmi les HSH ne diminue pas, ces derniers sont perçus comme à risque, ou incapables de changer leurs comportements, sinon irresponsables et immoraux.

Toutefois, les données scientifiques montrent que la transmission du VIH chez les HSH est liée à des facteurs bien plus complexes que leur simple responsabilité individuelle. Des facteurs biologiques, épidémiolo-giques et sociaux expliquent mieux leur forte vulnérabilité.

Parmi les facteurs biologiques, une relation sexuelle anale non pro-tégée est la pratique sexuelle la plus à risque pour acquérir le VIH, en particulier pour le partenaire réceptif (celui qui est pénétré). La compo-sition et la fragilité de la muqueuse anale la rendent plus perméable au virus. Le risque de transmission du virus lors d’une relation anale est 18 fois plus grand que lors d’une relation vaginale. On estime même que si le risque de transmission anale du VIH était le même que le risque vaginal, on diminuerait de 98 % les nouveaux cas de VIH chez les HSH.

Dans les couples hétérosexuels, le partenaire homme pénètre et la partenaire femme est pénétrée. Le changement de rôle est beaucoup plus

fréquent chez les HSH. Les relations anales non protégées entre HSH exposent les partenaires réceptifs, qui peuvent ensuite transmettre le virus à d’autres partenaires lorsqu’ils sont insertifs (lorsqu’ils pénètrent leur partenaire).

De plus, un nombre important d’HSH prend part à des relations anales réceptives et insertives, ce qui n’est pas le cas dans la population hétérosexuelle, où les rôles sont en quelque sorte prédéfinis par le sexe biologique. Si cette aptitude à jouer les deux rôles sexuels n’existait pas, on pourrait réduire les nouveaux cas dans cette population de 20 % à 50 %.

D’un point de vue épidémiologique, dans un contexte où plus de 15 % de la population HSH est touchée par le VIH, le risque pour un HSH séronégatif d’avoir un partenaire sexuel séropositif est plus important que dans un contexte hétérosexuel. De plus, le fait que les HSH aient plus fréquemment des partenaires occasionnels qu’un seul partenaire stable sur le long terme est également un moteur important de l’épidémie chez les HSH. Ainsi, si les rapports anaux non protégés intervenaient avec des partenaires stables et non occasionnels, les nouveaux cas de VIH chute-raient de 30 % à 50 %. Ces données permettent de rendre compte des environnements différents dans lesquels évoluent les HSH. Pour avoir un impact réel chez les HSH, le préservatif doit être utilisé systématiquement, avec tous les partenaires. Une telle utilisation n’est pas possible dans la vie de tous les jours et sur toute la durée de la vie sexuelle, pour l’ensemble des HSH. Parfois, le préservatif peut être perçu comme une barrière entre les deux partenaires qui cherchent au contraire à approfondir leur inti-mité. D’autres fois, il n’est pas toujours disponible ou utilisé dans des conditions optimales. De plus, la consommation d’alcool et de drogues avant ou au cours de l’acte sexuel peut altérer le jugement et réduire l’uti-lisation des condoms.

Sur le plan social, l’homophobie et la discrimination envers les HSH contribuent à rendre ces derniers plus vulnérables, autant dans les pays reconnaissant certains principes d’équité pour les HSH que dans les 80 États du monde où les relations homosexuelles sont criminalisées. La discrimination et l’homophobie sont vécues de différentes manières selon les contextes. Par exemple, les autorités des prisons de plusieurs pays africains refusent de distribuer des condoms aux détenus sous prétexte que les relations sexuelles entre hommes y sont criminalisées. Pourtant, le VIH y est responsable de plus de la moitié des morts chez les détenus.

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Dans les pays industrialisés, les HSH migrent vers les centres urbains ou fréquentent des endroits spécifiques pour rencontrer des partenaires sexuels et se créer de nouveaux réseaux. Dans les grandes villes, ces réseaux sont parfois denses et avec de nombreux contacts sexuels entre les membres de ce réseau, exposant ainsi leurs membres à différentes infections et de manière plus fréquente. La configuration de ces réseaux et le fait que les HSH ont en moyenne plus de partenaires sexuels que d’autres groupes, accélèrent la transmission du VIH,

De plus, l’accès aux services de santé par les HSH varie énormément d’une région à l’autre et selon le contexte socioéconomique. En raison de l’homophobie intériorisée ou provenant de leur entourage, certains HSH hésiteront à parler de leur sexualité et à demander de l’information médi-cale. Dans certains contextes, ils se verront refuser l’accès aux soins de santé. Cette situation a des implications directes pour les campagnes de prévention émergentes qui combinent éducation, dépistage et traitement du VIH. L’accès aux soins de santé passe d’abord par l’accès au dépistage du VIH et des autres infections transmissibles sexuellement et par le sang.

Le dépistage doit devenir une routine chez les HSH sexuellement actifs.

Il doit être accessible dans leurs endroits de socialisation. Le test rapide avec résultat immédiat devrait être privilégié et offert par d’autres HSH formés à cette technique. De nouvelles stratégies d’autotests utilisables chez soi pouvant être utilisées, en particulier, comme dépistage avec son partenaire avant une relation sexuelle, sont en développement. L’accès aux soins de santé renvoie ensuite à l’utilisation massive des traitements contre le VIH dès le diagnostic. Ces traitements sont maintenant considérés comme l’un des moyens de prévention les plus efficaces. Un individu séropositif adhérant à une thérapie antirétrovirale peut réduire la quantité de virus dans son sang et ses liquides corporels jusqu’à atteindre un niveau indétectable. Le risque de transmission secondaire à ses partenaires est alors réduit de plus de 90 %, même sans une utilisation systématique du condom. Les thérapies antirétrovirales jouent donc un rôle fondamental et démontré dans la prévention de la transmission du VIH aux partenaires sexuels.

En résumé, réussir une prévention efficace du VIH chez les HSH nécessite de dépasser une simple responsabilité individuelle pour s’orienter vers une responsabilité davantage collective. On peut fonder de grands espoirs dans de nouvelles stratégies combinant une culture du dépistage

fréquent (au moins une fois par an pour les HSH), une mise sous traite-ment rapide à la suite d’un dépistage positif et un soutien efficace pour le maintien du traitement à long terme. Les HSH séronégatifs devraient être informés et avoir accès aux nouvelles stratégies biomédicales de préven-tion. La prévention s’organise aussi au sein des communautés locales et globales, par des actions en amont et en aval de l’infection au VIH et culturellement adaptées. Il s’agit de s’attaquer efficacement aux facteurs structurels qui rendent les HSH particulièrement vulnérables au VIH comme l’homophobie, la stigmatisation et la discrimination.

Pour aller plus loin

Beyrer, C., et al. (2012). Global Epidemiology of HIV infection in men who have sex with men. The Lancet, july : 19-29.

Center for Control Disease (2014). HIV Among Gay, Bisexual, and Other Men Who Have Sex With Men, Fact Sheet. http://www.cdc.gov/hiv/risk/gender/msm/

facts/index.html

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La participation des femmes