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La mortalité maternelle demeure un défi majeur de santé publique dans les pays du Sud. Actuellement, près de 800 femmes décèdent chaque jour pour des raisons liées à la grossesse et à l’accouchement. De plus, 99 % des décès maternels ont lieu dans les pays du Sud, et notamment en Afrique, dans la région subsaharienne.

Une bonne partie de ces décès aurait pu être évitée si les femmes avaient un accès rapide et adéquat aux structures de santé. L’assistance médicale avant, pendant et après l’accouchement peut sauver des vies.

C’est notamment durant l’accouchement que l’assistance par du personnel qualifié s’avère primordiale. En effet, les accouchements réalisés par des professionnels de la santé qualifiés pourraient prévenir 75 % des décès maternels.

Au Burkina Faso, cette intervention sanitaire s’est traduite par la mise en place d’une politique nationale qui consiste à réduire les prix des accouchements et des urgences obstétricales dans les services de santé publics.

À la suite de l’application de cette politique, on a constaté une hausse de la couverture des accouchements par du personnel qualifié dans les centres de santé à l’échelle du pays. Cependant, des disparités sont obser-vées entre les régions et entre les centres de santé. Par exemple, en 2010,

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quatre années après la mise en œuvre de cette politique, le taux d’accou-chements assistés s’élevait à 35 % dans la région du Sahel, alors qu’il était de 88 % dans la région du Centre Sud. En outre, dans certaines formations sanitaires, la couverture des accouchements n’a pas du tout changé.

Cela a été le cas dans le district sanitaire de Djibo, situé dans la région du Sahel. Les agents de santé expliquent que la politique nationale n’a pas eu d’effet dans certains centres, car les femmes peuls (ethnie1 majoritaire dans le district) refusent d’accoucher à l’hôpital pour des raisons cultu-relles. Selon les agents de santé, une des raisons avancées est que les femmes peuls refuseraient de donner naissance à l’hôpital afin de ne pas exprimer publiquement leur douleur. En adoptant une telle attitude, elles exposeraient ainsi leur bravoure.

Il faut d’abord mentionner que cette valeur morale n’est pas spécifique des populations peuls, elle est partagée par de nombreuses sociétés africaines. On la retrouve d’ailleurs dans des représentations culturelles de nombreuses sociétés. En effet, par leur capacité à maîtriser les douleurs associées au travail d’accouchement, les femmes transmettraient à leur nouveau-né la faculté de mieux contrôler ses émotions et d’être mieux perçu par les membres de la communauté.

De plus, cette volonté de maîtriser ces douleurs ne semble pas entrer en contradiction avec le système de santé, puisque celui-ci l’encourage.

En effet, les agents de santé incitent les femmes à ne pas exprimer verba-lement leurs douleurs. Par ailleurs, celles qui réussissent sont valorisées par les agents de santé et sont élevées en modèles pour les autres.

Toujours selon leur point de vue, les femmes peuls opteraient aussi pour les accouchements à domicile pour des raisons de pudeur et de timidité. Or, s’agit-il réellement de traits culturels ? Il faut d’abord rappeler que

« l’accouchement est avant tout une affaire de femmes ». Or, la majorité des soignants en milieu rural sont des hommes. En outre, le peu de profes-sionnelles de santé qui sont dans les campagnes sont difficiles à maintenir en milieu rural au vu des conditions de travail, familiales et sécuritaires.

Ainsi, la timidité et la pudeur n’ont pas à être rangées du côté de la culture, mais peuvent être considérées comme des inadéquations du système de santé face aux attentes et aux préférences des femmes.

1. Nous reprenons le terme utilisé par les professionnels de la santé de ce district pour différencier les différents groupes sociaux qui y sont présents. Le terme majoritaire est pris uniquement dans un sens numérique.

Les agents de santé soutiennent aussi que les femmes peuls préfèrent retourner au village de leur mère pour donner naissance plutôt que de se rendre dans un centre de santé. Il ne s’agit pas non plus ici d’un obstacle culturel, mais tout simplement d’un souhait, parfois exprimé par les femmes, de pouvoir bénéficier d’un soutien familial au cours d’une période où elles se sentent en état de vulnérabilité. Il y a aussi le fait qu’à la maternité, les soignants n’autorisent pas les familles à entrer dans la salle d’accouchement en raison de l’espace réduit. Dans une salle d’accou-chement, trois à quatre parturientes peuvent parfois être en travail en même temps.

Par ailleurs, le soutien social pour les femmes, du Nord comme du Sud, pendant l’accouchement est reconnu comme une stratégie efficace et contribue à renforcer l’expérience positive d’accouchement dans les services de santé publics.

En plus d’un système de santé qui reste encore faiblement à l’écoute des préférences des femmes, le manque d’infrastructures, de médicaments et des consommables nécessaires pour les soins de santé maternels est chronique dans les services de santé publics. À cela s’ajoutent les difficultés relationnelles et de communication entre les agents de santé et les partu-rientes. La qualité de l’accueil dans certains centres reste médiocre. Les femmes dénoncent l’absence, l’indisponibilité des professionnels de la santé dans les formations sanitaires, la violence verbale et le mépris à leur égard. De surcroît, d’autres déficiences liées aux services de santé viennent s’additionner. Elles concernent les barrières économiques et géogra-phiques qui demeurent des freins persistants aux accouchements dans les centres de santé.

Malgré la réduction des coûts associés à la politique du Burkina Faso, les femmes continuent à payer pour leurs frais d’accouchement. Il ne faut pas non plus oublier les paiements informels exigés parfois par certains soignants, les coûts associés au transport, à la nourriture des accompa-gnateurs dans les centres de santé et aux consommables qui devraient être pourtant gratuits, comme les gants ou les produits de nettoyage.

En outre, les distances que les femmes doivent parcourir pour atteindre un centre de santé, les mauvaises conditions des routes, l’absence et l’inadéquation des transports (bicyclette, moto) dans les villages sont toujours des réalités vécues par les femmes enceintes lorsqu’elles sou-haitent donner naissance dans un centre de santé.

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Donc, en examinant de plus près le fonctionnement actuel du système de santé, on constate que les arguments culturels semblent peu convain-cants pour justifier l’absence d’effet de la politique nationale sur la cou-verture des accouchements assistés dans les centres de santé auprès des femmes peuls. Cela s’explique avant tout par le fait que le système de santé reste encore peu performant et est peu attentif aux préférences et aux attentes des femmes.

Pour aller plus loin

Bhutta, Z. A., CaBral, S., Chan, C.-W. et Keenan, W. J. (2012). Reducing maternal, newborn, and infant mortality globally : An integrated action agenda. International Journal of Gynecology & Obstetrics, 119, Supplement 1(0) : S13-S17.

CampBell, O. M. R. et Graham, W. J. (2006). Strategies for reducing maternal mortality : getting on with what works. Lancet, 368 : 1284-1299.

Göttingen International Health Network (GIHN) (2013). Maternal-Child Health Interdisciplinary Aspects Within the Perspective of Global Health. Göttingen, Universitätsverlag Göttingen.

La gratuité de la césarienne