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Sylvie GALARDON

Dans le document Td corrigé actes - S2D pdf (Page 153-159)

Ensemble, prévenons le suicide

LE CONTEXTE

En France, le suicide est une des grandes causes nationales. La Bretagne, qui est une des régions les plus touchées, se mobilise aussi bien dans ses institutions que par des initiatives d’associations.

En 1997, au niveau national, des associations se sont regroupées pour initier une Journée Nationale pour la Prévention du Suicide. L’une de ces associations, S.O.S. Amitié, (reconnue d’utilité publique pour son action dans la prévention du suicide, car proposant une écoute par téléphone, 24H sur 24, aux personnes souffrant de mal-être, de solitude etc.,) a été mandatée pour décliner cette journée en province. Il existait à Rennes, Ille-et-Vilaine, un Comité consultatif des Ville Santé de l’OMS qui travaillait sur le thème proche “ Santé mentale, solitude et précarité ”. SOS Amitié Rennes a proposé à des partenaires de ce réseau de se pencher avec lui sur ce que pourrait être, localement, une journée pour la prévention du suicide. Lors de cette première année, une dizaine d’associations et d’institutions se sont impliquées.

La première étape a été de mobiliser les médias sur ce thème encore tabou, afin que l’on puisse commencer à nommer publiquement la souffrance que le suicide et les tentatives de suicide génèrent, souffrance accentuée par la chape de silence qui l’accompagne socialement.

Puis le collectif 8qui s’était créé pour la première journée nationale a choisi de se pérenniser. Il a alors pu envisager des actions, elles aussi plus durables, et ancrées dans le quotidien des populations auxquelles elles étaient destinées.

Pendant deux ans le collectif a utilisé un “ théâtre forum ”. C’est un théâtre interactif où le public intervient pour faire évoluer les situations jouées. Il se confronte ainsi à une réalité : les discours , les “ il n’y a qu’à ”, deviennent dérisoires quand on peut mesurer concrètement, dans l’instant, le négatif d’une parole moralisatrice, jugeante, ou, a contrario la portée bénéfique de petits gestes tous simples d’attention et de solidarité.

Ces séances étaient proposées à de petits groupes, dans des quartiers de Rennes ou dans des villages du département C’est en constatant la portée

8 S.O.S. Amitié, Jonathan Pierres Vivantes, Lueur d ’Espoir, Sources, L ’Autre Regard, Familles Rurales, La Rive, Commune Vision, OPAR, UNAFAM, Alcool Assistance , Les Amis de la Santé, Mouvement Vie Libre, COSRA.Maison Associative de la Santé, SMEBA, Mutuelles des Étudiants, UMIV, SIMPS et Points Santé des Universités Rennes1 et 2.CRAM de Bretagne, Conseil Général, DDASS et CPAM d’Ille-et-Vilaine, Ville de Rennes.

durable qu’elles avait eu sur les personne présentes, les changement de comportement qu’elles avaient pu induire qu’a germé l’idée des Rencontres Citoyennes.

LES RENCONTRES CITOYENNES :

En 1999 les “ conférences citoyennes ” étaient dans l’air du temps. Elles proposaient de donner la parole à de non-spécialistes sur des thèmes qui les intéressaient ou leur tenaient à cœur. Cette idée de pouvoir, en public, échanger, débattre et tenter de créer ensemble autour de la prévention du suicide, nous attirait. Seulement, dans “ conférence citoyenne ” il y avait le mot “ conférence ” qui sous-entend au mieux de partager des

“ savoirs ” … au pire de les dispenser ! Nous étions loin de l’esprit qui nous animait. Nous voulions non parler au nom de ceux qui vivent la tentation du suicide, ont eu des proches suicidés ou s’interrogent sur leur participation à des actions de prévention, mais leur donner réellement la possibilité de s’exprimer. Aussi le terme de RENCONTRE “ ce croisement de hasard qui produit des effets inattendus ” nous a paru plus approprié.

Ce projet n’aurait pu exister sans une rencontre préalable : celles des personnes, représentant des associations ou des institutions et composant le collectif. Il a fallu que se soit créé dans ce groupe du respect, de l’estime et une indispensable confiance pour oser lancer une telle personnes volontaires. De la trentaine de candidatures qui nous étaient parvenues, après différentes étapes de clarification des demandes et de sélection partielle, il est resté une quinzaine de volontaires. Ces personnes ont été invitées à participer à la préparation, indispensable, à l’issue de laquelle étaient choisis les huit porte-parole du groupe. Lors de cette préparation en trois temps (une journée, une soirée, et quelques heures avant la rencontre publique) nous avons travaillé en partant du vécu de chaque candidat. C’est en se dégageant peu à peu de l’émotionnel, que chacun a pu, à son rythme, se distancier de son expérience. En repérant ce qui faisait écho dans le groupe, ce qui était partagé , reconnu comme important, les questions qui feraient l’objet de débats lors de la Rencontre Citoyenne sont apparu évidents.

Le collectif ne confie pas à un professionnel extérieur toute la réalisation du projet : chacun des membres du collectif s’y implique. C’est là quelque chose d’exigeant, car il faut à la fois accompagner les volontaires, en contenant ce qui pourrait être trop douloureux, intime ou fragilisant, et accepter de re-penser ses savoirs éventuels à la lumière de ce qui se dit et se vit dans le groupe. Nous avons créé là un lieu unique où pour la première fois se rencontraient d’anciens suicidants, des proches de suicidés et des personnes intéressées par la prévention. C’était, plus qu’un groupe de parole, la découverte que l’expérience traversée, douloureuse, poignante parfois, pouvait devenir un ferment pour agir. Que chaque personne du groupe qui, en d’autres temps, avait subi l’ épreuve du suicide ou d’un suicide pouvait devenir, pour d’autres, acteur de prévention.

Cette première Rencontre s’est déroulée devant plus de 300 personnes : il y avait des particuliers, parfois en grande souffrance, des proches désemparés, mais également des représentants du secteur médical, associatif etc.

La rencontre propose plusieurs temps : Une introduction, confiée à ce que nous avons appelé un “ allumeur ” : son rôle étant de donner le ton de la rencontre, de susciter une écoute et une attention particulières.

Puis deux tables rondes : la première consacrée aux porte-parole, la deuxième à des consultants professionnels ou associatifs qui expliquent les solutions déjà existantes, des échanges avec le public servant de ponctuation.

Lors de la première table ronde, chacun des porte-parole extrait de son histoire ou de son expérience, avec les mots qui lui appartiennent, un questionnement, une interrogation.

C’est une parole distanciée, élaborée, et d’une grande force qui surgit alors.

Elle permet au public de s’autoriser, lui aussi, une parole essentielle. Parce que la qualité de l’écoute, le respect, l’attention à l’autre et l’absence de jugement l’ont rendu possible, ce sont, souvent, des témoignages qui n’avaient jamais eu la possibilité d’être entendu ailleurs qui se disent là.

Et tous ces intervenants réfléchissent ensemble à ce que pourrait être une

“ prévention citoyenne.”.

Les conclusions de cette première rencontre avaient montré que c’est dans le quotidien de nos actions et de nos vies que doit se créer une solidarité nécessaire. Il faut s’appuyer sur des lieux d’écoute professionnels et associatifs, mais il faut également une “ petite révolution ” personnelle et sociale pour ne pas laisser sur le chemin ceux d’entre nous qui sont en difficulté. Le public avait profondément fait sienne cette idée de “ révolution minuscule ”. Et nous nous étions engagé à propager la parole citoyenne qui avait été dite ce jour là.

Trois temps de préparation, un après–midi de rencontre, et après ?

Quelques jours après, un bilan, pour les membres du collectif et les porte-parole. C’est l’un d’entre eux, Henri, qui nous fait comprendre ce qu’a pu être pour lui la rencontre citoyenne. :

“ Peut-on émettre l’hypothèse qu’à partir d’une proposition de réflexion citoyenne il s’agissait et/ou s’agirait en fait de tester mes capacités, mises en silence depuis plusieurs mois ou années pour cause d’alcoolisme, dépressions, tentatives de suicide ? Il cite après toutes les capacités qu’il a redécouvertes et qui vont de la prise de notes à “ écouter et entendre l’autre, s’exprimer en groupe, avoir capacité à contrôler ses résonances émotionnelles ….C’est l’ensemble du groupe qui a permis l’émergence de capacités enfouies et cela grâce à son respect, son non-jugement, sa qualité d’écoute, sa rigueur dans l’organisation des débats et enfin sa décontraction dans les moments plus conviviaux….Cette démarche s’inscrit dans une démarche de reconstruction de l’individu et de l’être social : devenir sujet et acteur de son devenir. Elle arrive à point nommé quand la paix fait place au tourment, et cette paix, cette douceur avec soi même, autorisent à exercer avec un certain bonheur les capacités énoncées ci-dessus…. ”

Puis, parce que le rôle du collectif, sa responsabilité et son engagement ne s’arrêtent pas à la fin de la rencontre citoyenne, il y a un échange de numéros de téléphone pour que celui qui en éprouverait le besoin puisse faire appel à un des membres du groupe.

Un an après est proposée une soirée, bilan distancié, et plaisir des retrouvailles d’un groupe qui a partagé des temps très forts. Témoignage de Marina, 22 ans qui avait fait une tentative de suicide, et participait à la première rencontre citoyenne : “ juste après (la rencontre-citoyenne) ça a été dur parce qu’il a fallu faire le deuil du groupe où on a vécu des choses si fortes. Heureusement il y a eu le bilan. Et puis petit à petit, je me suis rendue compte que ça a terminé ce qui ne l’avait jamais été

depuis ma TS, je n’ai plus besoin d’y revenir, j’avais tourné la page. Par contre maintenant, quand les circonstances s’y prêtent, quand il y a eu un suicide ou une TS par exemple, je peux en parler facilement pour que les autres osent s’exprimer.

On ne se reverra peut-être plus, mais je sais que l’on restera toujours liés par cette renaissance ”

En 2001 nous avons reconduit les rencontres citoyennes : dans un quartier de Rennes, dans un canton rural, nous avons proposé cette même démarche, et nous nous sommes attachés à reproduire le climat de respect et de confiance qui nous avaient paru les composants essentiels.

Et l’expérience s’est renouvelée, aussi riche, aussi productrice de mieux-être, d’évolution, pour les porte-parole, aussi initiatrice de changements de comportement pour le public.

Cela parce que dans la Rencontre Citoyenne, il n’y a pas d’un côté les

“ experts ” et de l’autre ceux qui vivent le problème. Il y a des personnes.

Chacune apporte un regard, une expérience qui permettra à l’autre de progresser. Les niveaux de réflexion et d’implication personnelle peuvent être différents mais si chacun se positionne en tant que citoyen d’une aventure commune, les échanges se révèlent possible et fructueux.

C’est cela la démarche citoyenne : oser proposer une alternative,

“ toile d’araignée ” des petits gestes citoyens s’étend…

Dans la littérature, les études convergent sur un point : 20 % au plus des personnes qui font des tentatives de suicide sont atteintes de pathologies mentales avérées. Leur prise en charge médicale et psychologique fait l’objet de protocoles et est de mieux en mieux assurée, même s’il reste encore des points à améliorer. Mais il reste donc 80% de suicidants qui, s’ils ont bien besoin d’aide extérieure, d’accompagnement, ne relèvent pas forcément d’un service de psychiatrie , mais alors de qui ??

Le collectif a posé que cela pouvait être une démarche citoyenne que d’être présent auprès de ceux qui vivent une souffrance psychique, une solitude intérieure, un désarroi tels qu’ils ne sont plus en capacité d’envisager une autre solution que l’interruption de cette souffrance.

Doit elle pour autant être le seul accompagnement, la seule réponse sociale à des souffrances intimes telles qu’elles conduisent à des actes suicidaires ? Où pouvons-nous chacun, de notre place de citoyen, être acteur de cette prévention ?

Dans le document Td corrigé actes - S2D pdf (Page 153-159)