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surgissant de sa métaphysique explorant l’essence L’esthétique cartésienne sortie à la lumière par les

classiques (artistes et philosophes disciples de

Descartes : Boileau (le Beau idéal)). L’homme a priori

de Descartes devenant avec Dubos l’homme

historique, composé de et impliqué dans un réseau

de rapports.

Descartes n’a pas écrit sur le beau. Mais la critique cartésienne a eu une influence remarquable sur l’art des XVIIe et XVIIIe siècles. Pour les artistes disciples de Descartes, les règles constituent une méthode de composition qui est supposée mener à la perfection.

L’art poétique de Boileau, le fondement du classicisme, est la méthode pure de

Descartes appliquée à la littérature. La littérature classique est ainsi essentiellement cartésienne. Elle procède « par analyse et par abstraction pour exprimer le général et donner l’impression de l’unité » (chez Racine, dans Phèdre).

Pour souligner l’essence du classicisme, on va définir, par opposition, l’esprit romantique ; cela nous permettra également d’illustrer le sens que la querelle va prendre ultérieurement (polémique entre classicisme et romantisme). Dans Histoire de la

critique littéraire en France, 1886, Henri Carton définit ainsi l’esprit romantique :

« […] emploie de préférence le concret, le fait, le mouvement et la couleur ; il a pour moyen l’antithèse et pour but le rapprochement des contraires avec l’intention de comprendre le plus possible dans une synthèse de plus en plus enveloppante qui n’exclura aucun effet de contraste ni aucun genre d’opposition » (ex : Diderot, père du romantisme français).

La réflexion sur la beauté est un prolongement de la métaphysique ; chaque métaphysique contient en germe un développement possible d’une esthétique.

L’esthétique, comme la métaphysique, développe des concepts qui relèvent de la psychologie, de l’invisible et de l’insaisissable (le beau, le génie, le jugement du goût, etc.). Ainsi, Descartes a fondé une métaphysique, et il a donc aussi une esthétique (contrairement à la pensée habituelle et banale qui dérive de la définition de l’esthétique, qui est la science qui étudie le beau dans l’art, mentionné ci-dessus). L’esthétique devient une façon de connaître l’essence de l’objet que la métaphysique explore. À l’objet on peut associer une définition, qui consiste dans un type de beauté, une modalité de s’exprimer. À la métaphysique cartésienne correspond un art cartésien ; mais l’esthétique cartésienne a été exprimée, sortie de la métaphysique, par les littéraires, artistes contemporains de Descartes ; ce sont les classiques, selon Émile Krantz, dans Essai sur l’Esthétique de Descartes (1882).

La métaphysique de Descartes contient en germe un type d’esthétique auquel les classiques ont donné vie, expression. L’esthétique de Descartes est implicite et indirecte.

Le XVIIe siècle se distingue par le fait que la substance, le fond, intéresse plus que le phénomène ; ce qui est commun est plus visible que ce qui distingue.

Le XVIIe siècle, par son représentant dans l’esthétique française, Boileau, voyait dans le beau une conséquence de la raison absolue, a priori.

Par contre, l’histoire semble gagner du terrain dans les siècles qui suivent. Le temps, le lieu deviennent des coordonnées essentielles dans la création. Les ouvrages ne sont plus désormais considérés comme des modèles absolus, mais relativisés car compris dans le défilé historique. « Sentir », l’émotion esthétique ne suffit plus, la compréhension vient s’y ajouter, avec l’étude de la causalité. Le plaisir augmente, un plaisir intellectuel s’ajoute au plaisir des sens, car « savoir », « découvrir » et « comprendre » satisfont la soif des savants. Ce dernier plaisir est spécifique aux critiques, aux esprits philosophiques. C’est une double connaissance que l’homme du XVIIIe siècle s’approprie, dont la dernière propre à la philosophie. On peut qualifier cette double connaissance de philosophie de l’art. La première connaissance est une connaissance propre aux sens, alors que la deuxième est une connaissance, une exploration, par la raison, de la première.

Descartes sépare nettement les sciences, il ne tolère pas la philosophie de l’art comme science indépendante, mais comme une combinaison illicite (entre la

philosophie et l’art). La philosophie de l’art ou l’esthétique dépasse le concept de science simple, et cette complexité est donc condamnée par Descartes, qui donne crédit aux sciences simples, comme la philosophie, l’art, la littérature, etc. La philosophie de l’art ne deviendra possible qu’avec la synthèse opérée par le romantisme.

C’est un besoin du XVIIe siècle que de mettre de l’ordre dans le pêle-mêle du XVIe siècle, le siècle de la Renaissance, où l’expression libre dans tous les domaines suit un cours qui ne peut pas être prévu, donc désordonné. Les mots décisifs de la critique cartésienne sont les mots : ordre, division, distinction, abstraction, analyse, frontière, classe, définition.

Krantz avance une image qui reflète très bien le XVIIe siècle : « On connaît l’image par laquelle le spiritualisme classique représente l’infini comme une statue dressée à l’intersection d’avenues qui rayonnent autour d’elles. De quelque côté qu’on vienne, par l’une de ces avenues, on se dirige nécessairement vers le point central et l’on aperçoit la statue. C’est bien toujours la même figure, mais on en voit, sous des angles différents, des profils qui ne se ressemblent pas. De même la raison humaine, quand elle se tourne vers son objet qui est Dieu, s’y rend par des accès divers d’où elle découvre tantôt une face, tantôt une autre, le Bien, le Beau, le Vrai, l’Immense et l’Eternel. On pourrait reprendre cette image pour en faire le symbole du XVIIe siècle lui-même. Au milieu s’élève son idéal qui est fait d’ordre et d’abstraction. Vers lui convergent de larges routes où cheminent l’art, la science, la littérature, la philosophie, mais séparés comme par d’épaisses charmilles qui empêchent de se voir. D’ailleurs ils n’y tâchent point. Ils vont droit, chacun pour son compte, à l’idéal qui les attire, s’ignorant, mais se ressemblant pourtant, à cause de leur de leur ressemblance avec l’idéal commun »258. Ce passage est essentiel pour embrasser le XVIIe siècle en une vue fidèle.

Les savants à cette époque divisent sans aucune retenue la réalité, et prennent pour général une subjectivité ; par exemple, un individu représente toute l’espèce et toute cette espèce est caractérisée par les traits d’un seul individu. C’est la raison pour laquelle Krantz affirme que les savants cartésiens réalisent la synthèse avant de faire l’analyse et qu’ils rassemblent à la hâte, recomposent à l’improviste et au hasard tous les morceaux résultant de la division et de l’analyse. Dans un seul individu on retrouve

258

l’essence de toute l’espèce ; « l’esprit cartésien a posé a priori qu’un seul cas particulier renferme la formule de tous les cas possibles, qu’un seul type de chaque être, qu’un seul exemplaire de chaque chose individuelle contient l’essence de tous les êtres et de toutes les choses »259. Ainsi le cartésianisme connaît l’essence de l’homme qui représente tout ce que les hommes ont en commun, mais il ne connaît pas l’homme en particulier, concret, ou il le connaît mal. Cela est dû au fait qu’il ne compare pas les êtres historiques pour ensuite trouver les traits communs, mais il procède inversement, les spécificités d’un seul individu sont transférées à tous les autres a priori et sans observation. Il prend un trait particulier pour essence et c’est en cela que réside la grande erreur du cartésianisme, critique qui est exclusivement théorique, et non pas positive ou expérimentale. La critique cartésienne est une critique spéculative et métaphysique. L’esprit cartésien est l’esprit d’un géomètre, il refuse les irrégularités de la nature, les phénomènes, découverts uniquement par une autre méthode, qui est celle de l’observation positive.

L’esprit cartésien travaille sur un objet isolé, et son effort se limite à cela. Il est très malhabile quand il s’agit de composer un tout par des rapports unifiants, a posteriori et historiques. Il met tout en morceaux grâce à l’analyse, puis il combine ces morceaux, ces éléments d’une façon arbitraire et purement a priori, sans aucune possibilité de vérification, autre que la cohérence du géomètre. Mais on connaît la grande difficulté de se corriger soi-même sans un regard neutre et autre, de se donner raison et crédit par la même méthode ; la vérification implique une autre instance, comme dans la justice, où un juge est nécessaire pour évaluer celui qui a raison. De même, l’esprit cartésien se perd car il reste enfermé, il ne connaît que la méthode du géomètre qui est purement théorique (exemple : l’animal-machine). Ce qui pourrait le sauver serait le regard naturaliste ou du physicien.

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