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Le beau/le bon : dépassement de ce tandem par Dubos ; existence individuelle et équivalence de ces

termes chez Batteux, Rousseau et Shaftesbury.

Le mérite de Dubos est d’avoir accepté comme beau le difforme, à condition que celui-ci ait le pouvoir de nous émouvoir. Dubos confond, dans son ouvrage, le plaisir de l’art avec le sentiment du beau. Le beau est, selon lui, ce qui plaît.

Le XVIIIe siècle confond encore le beau et le bon. La philosophie de Batteux, le théoricien du siècle, illustre bien cette confusion dans son livre, Les beaux-arts réduits à

un même principe414 : « Le vrai est l’objet des sciences. Celui des arts est le bon et le beau : deux termes qui rentrent presque dans la même signification, quand on les examine de près »415 ; ou plus loin : « […] la belle nature, telle qu’elle doit être présentée dans les arts, renferme toutes les qualités du beau et du bon. Elle doit nous flatter du côté de l’esprit, en nous offrant des objets parfaits en eux-mêmes, qui étendent et perfectionnent nos idées : c’est le beau. Elle doit flatter notre cœur en nous montrant dans ces mêmes objets des intérêts qui nous soient chers, qui tiennent à la conservation ou à la perfection de nôtre être, qui nous fassent sentir agréablement notre propre existence : c’est le bon, qui, se réunissant avec le beau dans un même objet présenté, lui donnent toutes les qualités dont il a besoin pour exercer et perfectionner à la fois notre cœur et notre esprit »416.

Jean-Jacques Rousseau, dans La Nouvelle Héloïse417, lettre 12, affirme, sur le rapport du bon et du beau : « J’ai toujours cru que le bon n’était que le beau mis en action, que l’un tenait intimement à l’autre et qu’ils avaient tous deux une source commune dans la nature bien ordonnée. Il suit de cette idée que le goût se perfectionne

414

Paru à Paris, chez Durand, en 1746.

415 Charles Batteux, Les beaux-arts réduits à un même principe, édition consultée : Aux Amateurs de

Livres, 1989. La citation paraît à la page 116.

416 Ibid., p. 130. 417

par les mêmes moyens que la sagesse et qu’une âme bien touchée des charmes de la vertu doit à proportion être aussi sensible à tous les autres genres de beauté ».

L’attention de Dubos n’est pas retenue par l’instruire et le beau, il les a dépassés. Il réduit son système au concept de « plaisir », autour duquel tous les autres concepts tournent.

En général, le bon est lié à l’idée du devoir, de volonté soumise à la conscience ; il peut entraîner le déplaisir. Au contraire, le beau apporte la jouissance et exclut le déplaisir et la souffrance de ses effets.

Anthony Ashley-Cooper, 3e comte de Shaftesbury, dans son ouvrage

Caractéristiques (1711), confond déjà, au début du XVIIIe siècle, le bon et le beau. Il le fait à bon escient et l’annonce. Mais ces deux domaines ne sont pas parfaits, il reste toujours un inaccessible, un manque dans notre connaissance. Cela à cause des facultés humaines très limitées. Le laid est justement cette imperfection de notre nature, il est en nous. Les objets nous paraissent non dévoilés complètement, en partie camouflés, pour nous et à nos yeux. Etant donné cela, la raison nous conseille de nous contenter de ce que nous pouvons connaître, et d’en jouir.

Le beau, chez Shaftesbury, se retrouve chez les hommes qui ont le sens intérieur, moral et esthétique, accessible au beau, c'est-à-dire parfaitement développé pour l’accueillir dans son intégralité. Ainsi, le beau devient partiellement accessible à l’être humain.

Shaftesbury, autant que Hutcheson, parlent d’un sens intérieur, l’homologue du sixième sens chez Dubos. Pour Dubos, si le sixième sens est développé chez le public, il peut jouir des beautés qui se trouvent dans les imitations de la nature, dans l’art ou il peut découvrir dans la nature des beautés cachées (le génie par exemple). Le génie est celui qui porte à la lumière les beautés cachées, qui creuse dans l’inaccessible, comme pensait Shaftesbury. Mais nous nous tenons de l’autre côté, du côté du récepteur de l’art, et pas encore du côté du créateur, qui sera traité dans la critique dite « scientifique ».

Plus l’organe correspondant est délicat et plus le public est instruit, plus le public sera ému par des beautés inaccessibles au public dans son entier, comme par exemple le

public non instruit (Dubos). Chez Hutcheson, le génie se retrouve parmi le public, le récepteur de l’art.

Pour Hutcheson, la perception du beau a lieu sans le concours de la volonté, celle-ci restant une faculté indépendante et qui ne délibère pas dans ce cas. Toute beauté ou toute laideur (voir plus haut) est ressentie telle qu’elle est, sans aucune interposition : « Il n’y a ni résolution de notre part, ni aucune vue de profit ou de dommage qui puisse altérer la beauté ou la laideur d’un objet. De même que dans les sensations extérieures, aucune vue d’intérêt ne peut nous faire trouver un objet agréable et aucune crainte d’un mal autre que la douleur accompagnant immédiatement la perception ne saurait nous la faire haïr : de même quelque récompense et quelque châtiment qu’on propose aux hommes, on ne viendra jamais à bout de leur faire aimer un objet hideux, ou de leur faire éviter un qui leur plaise »418 . Hutcheson cite les moralistes, comme Shaftesbury, qui « supposent une bonté naturelle et immédiate dans les actions appelées vertueuses, c’est-à-dire que nous sommes déterminés à percevoir quelque beauté dans les actions d’autrui et à aimer leur agent, sans même réfléchir à l’avantage qui peut d’une façon ou d’une autre rejaillir sur nous à partir de son action ; et que nous éprouvons aussi un secret sentiment de plaisir à réfléchir sur celles de nos propres actions que nous appelons vertueuses, lors même que nous n’en attendons pas d’autre avantage »419. On voit ici comme la beauté et la vertu se confondent. Ou dans le paragraphe suivant : « Que quelques actions sont pour les hommes d’une bonté immédiate ; ou que, grâce à un sens supérieur, que j’appelle moral, nous approuvons les actions d’autrui, les percevons comme étant la perfection et la dignité de leur agent, et que nous sommes par là déterminés à aimer ce dernier ; que nous avons une perception semblable en réfléchissant sur nos propres actions, sans aucun égard à l’avantage naturel qui nous en reviendrait »420. Le plaisir moral est une beauté ; on la découvre dans les actions vertueuses d’autrui ou de nous-mêmes. Le plaisir qu’on éprouve lors d’une action morale nous pousse à aimer l’agent qui accomplit des actions belles. La beauté a sa source dans le plaisir moral. Le beau et la moralité sont entièrement désintéressés.

418

L’ouvrage cité (Recherche sur l’origine de nos idées de la beauté et de la vertu, par Francis Hutcheson (1694-1746)) est paru en anglais pour la première fois en 1725 à Londres. L’édition consultée est parue chez Vrin, en 1991.

419 Hutcheson, Recherche…, op. cit., p. 126. 420

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