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2.2° Illustration du cartésianisme en prenant comme exemple Fontenelle

Fontenelle, dans Préface sur l’utilité des Mathématiques et de la Physique et sur

les travaux de l’Académie des Sciences (1702), fait l’éloge de la géométrie et de

l’algèbre dans la complexité croissante des vérités scientifiques, spéculatives ou bien expérimentales, pratiques. Parmi les vérités mathématiques toutes ne sont pas immédiatement utiles, certaines restent purement théoriques. Ces dernières vont satisfaire la soif des connaissances ; assemblées ensuite, selon l’imitation des mécanismes de la Nature, ces vérités théoriques vont apporter de nouvelles découvertes dans le domaine de « l’usage sensible »249. Fontenelle affirme : « Les découvertes sensiblement utiles, et qui peuvent mériter notre attention principale, sont en quelque sorte éclairées par celles qu’on peut traiter d’inutiles. Toutes les vérités deviennent plus lumineuses les unes par les autres »250.

Fontenelle est d’avis que la géométrie est universellement utilisable, et doit être appliquée comme méthode de traitement de toutes les connaissances : « L’esprit géométrique n’est pas si attaché à la Géométrie, qu’il n’en puisse être tiré, et transporté à d’autres connaissances. Un Ouvrage de Morale, de Politique, de Critique, peut-être même d’Eloquence, en sera plus beau, toutes choses d’ailleurs égales, s’il est fait de main de Géomètre. L’ordre, la netteté, la précision, l’exactitude qui règnent dans les bons livres depuis un certain temps, pourraient bien avoir leur première source dans cet esprit géométrique, qui se répand plus que jamais, et qui en quelque façon se communique de proche en proche à ceux mêmes qui ne connaissent pas la Géométrie. Quelquefois un grand homme donne le ton à tout son siècle ; celui à qui on pourrait le plus légitimement accorder la gloire d’avoir établi un nouvel Art de raisonner, était un excellent Géomètre »251. On voit ici que l’esprit géométrique a comblé tout un siècle et qu’il se communique à tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse d’Art ou de Science.

249 Fontenelle, édition consultée Œuvres Complètes, Paris, Fayard, 1994, Préface…, vol VI, p. 43. 250 Ibid.

251

Essayons maintenant de pénétrer plus profondément l’œuvre de Fontenelle afin de connaître l’époque cartésienne ; car, dans la Préface…, il étudie l’avancement des Sciences et les causes déterminantes de cet avancement.

Fontenelle inscrit la Géométrie dans les causes du soulagement des Mariniers, par exemple, dont le travail (« niveler le terrain ou faire des écluses ») est devenu moins pénible : « Des Maçons et des Mariniers […] ne se sont pas aperçus de l’habileté du Géomètre qui les conduisait ; ils ont été mus à peu-près comme le corps l’est par une âme qu’il ne connaît point : le reste du monde s’aperçoit encore moins du Génie qui a présidé à l’entreprise, et le Public ne jouit du succès qu’elle a eu qu’avec une espèce d’ingratitude »252. On observe une totale ignorance de la Géométrie de la part du public, qui, finalement, se laisse guider ; il ne peut pas contribuer à l’avancement des Sciences, car il est trop ignorant, il n’a pas la clé, celle-ci étant réservée à quelques génies, une infime minorité. Le siècle moderne est un siècle privilégié car l’Anatomie a fait progresser la Médecine ; la « Compagnie savante » l’a perfectionnée ; le public bénéficie des conséquences des connaissances nouvelles, mais il reste « chez lui », il ne va pas entrer dans le monde des causes et des effets, dans le monde scientifique. Le public ne se pose pas de questions, il profite seulement.

L’idée selon laquelle la Géométrie contient des principes inutiles, n’est qu’une opinion fondée à première vue ; tout principe est utile dans la composition (principes utiles combinés à des principes stériles au premier regard). « Principes stériles » signifie ici les principes qui ne sont pas applicables à des choses utiles et restent purement théoriques : « Savoir que dans une Parabole la Soutangente est double de l’Abscisse correspondante, c’est une connaissance fort stérile par elle-même ; mais c’est un degré nécessaire pour arriver à l’Art de tirer des Bombes avec la justesse dont on sait les tirer présentement […] le concours de plusieurs vérités produit presque toujours un usage »253. Toute spéculation géométrique a sa place bien définie dans le monde de l’utile : elle peut s’avérer utile plus tard, lors des autres usages : « Il y en aura d’autres qui attendront quelque temps qu’une fine méditation ou un heureux hasard découvre leur usage »254. 252 Ibid., p. 38. 253 Ibid., p. 41. 254 Ibid., p. 43.

La physique est en cela semblable à la Géométrie que, si des vérités sont cachées au début, par la suite elles se révèlent, laissant pour nous la Nature découverte : « La Mécanique cachée dans une certaine espèce ou dans une structure commune, se développe dans une autre espèce […] et l’on dirait presque que la Nature, à force de multiplier et de varier ses ouvrages, ne peut s’empêcher de trahir quelquefois son secret »255. La physique explore la Nature et révèle les manèges de la Sagesse par les réflexions subtiles qu’elle produit. La physique, par ses branches comme l’Astronomie et l’Anatomie, nous révèle la grande intelligence de l’auteur de cet univers intelligible et en même temps infini, donc jamais entièrement connu. La physique n’épuise jamais son objet (la Nature), « d’une variété et d’une fécondité sans bornes »256. Plus on la connaît, plus on l’admire ; il ne faut pas la contempler avec adoration, mais essayer de dévoiler ses mystères.

Peu de savants sont impliqués dans la découverte des « connaissances éloignées de l’usage commun »257. La physique systématique et la physique expérimentale s’entraident : la première fonde le tissu théorique, et la seconde apporte les expériences nécessaires. L’idéal serait que le système englobe toutes les expériences, qu’elles ne restent pas éparses.

255 Ibid., p. 42.

256Ibid., p. 47. 257

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