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Son foyer : la sensibilité humaine Définitions multiples tournant autour de son rôle majeur dans

l’amélioration de la vie humaine : solution pour

anéantir l’ennui (occupation agréable),

divertissement, création des objets émouvants,

agréables.

Dubos s’est posé la question des jouissances causées par l’art. Où réside la source de ce plaisir causé par le beau artistique, et non seulement par le beau que l’on retrouve dans la nature (des objets naturels capables d’attacher) ? Comment les œuvres d’art font-elles tant d’effet sur les hommes ?

Dubos pose cette problématique au début de son ouvrage d’esthétique : « On éprouve tous les jours que les vers et les tableaux causent un plaisir sensible ; mais il n’en est pas moins difficile d’expliquer en quoi consiste ce plaisir qui ressemble souvent à l’affliction, et dont les symptômes sont quelquefois les mêmes que ceux de la plus vive douleur. L’art de la poésie et l’art de la peinture ne sont jamais plus applaudis que lorsqu’ils ont réussi à nous affliger. Généralement parlant les hommes trouvent encore plus de plaisir à pleurer, qu’à rire au théâtre. Enfin plus les actions que la poésie et la peinture nous dépeignent, auraient fait souffrir en nous l’humanité, si nous les avions vues véritablement, plus les imitations que ces arts nous en présentent ont de pouvoir sur nous pour nous attacher. Un charme secret nous attache donc sur les imitations que les peintres et les poètes en savent faire, dans le temps même que la nature témoigne par un frémissement intérieur qu’elle se soulève contre son propre plaisir »398.

La douleur n’est pas encore présente au contact de l’art, car l’intensité de l’émotion éprouvée est si peu intense, qu’elle ne va pas au-delà du seuil du plaisir.

398

L’affliction que nous ressentons au théâtre, lors d’une tragédie, est si douce, qu’elle reste un plaisir. Dubos donne une nuance supplémentaire dans l’explication du plaisir qu’on éprouve dans l’affliction procurée par la tragédie : « Les hommes en général souffrent encore plus à vivre sans passions que les passions ne les font souffrir »399. L’affliction procurée par l’ennui est plus grande que toutes les passions induites par l’art.

L’ennui qui suit l’inaction tourmente, provoquant un mal douloureux. Afin d’éviter l’ennui, les hommes étaient prêts à goûter toutes sortes de passions dangereuses : les Romains préféraient les combats des gladiateurs, où les maîtres qui les entraînaient leur apprenaient à « expirer de bonne grâce », l’immolation de victimes humaines étant une habitude chez les Romains. Une autre passion était le jeu de carte ou de dés, où le danger encouru est significatif. Les fêtes de taureaux étaient bien enracinées chez les Espagnols.

L’attrait de l’émotion, en réalité, mène à des conséquences mauvaises pour l’homme et abîme son humanité. Les arts corrigent l’animalité humaine, la barbarie ; ils satisfont le besoin humain de vivre des passions, artificielles cette fois, tout en leur enlevant les mauvaises conséquences.

Le besoin de l’homme d’être occupé se divise en deux classes : soit il s’occupe en sentant, en « se livrant aux impressions que les objets extérieures font »400, soit en réfléchissant ou en méditant, qui signifie « faire des spéculations sur des matières, soit utiles, soit curieuses »401.

L’art devient un ami qui amène la douceur, et qui donne une vie paisible. Selon Dubos, l’art apporte des suites joyeuses dans les actions, alors que la réalité provoque des actions avec des suites « fâcheuses ». Ces dernières sont des passions originaires, profondes, alors que l’art procure des copies de passions, des passions superficielles, qui n’affectent que l’âme sensitive. Dubos affirme que les passions provoquées par l’art touchent si déjà la passion, l’objet réel était capable d’attacher. La copie produit toujours moins d’impression que l’objet réel.

399 Ibid., § 12.

400 Ibid., § 6. 401

L’art est un divertissement. Le plaisir de l’art est majoritairement dans les sens, et non pas dans la raison. Donc il y a peu d’hommes qui méditent afin d’échapper à l’ennui. Pour échapper à l’ennui, dit Dubos, l’âme peut « s’entretenir elle-même par des spéculations sur des matières soit utiles, soit curieuses, et c’est ce qu’on appelle réfléchir et méditer »402. Mais ces personnes qui tiennent compagnie à elles-mêmes et qui créent leur vie intérieure sont très rares, selon Dubos. La majorité des humains se laissent porter par les impressions de l’extérieur.

Dubos affirme, au début de son livre : « Quand les hommes dégoutés de ce qu’on appelle le monde prennent la résolution d’y renoncer, il est rare qu’ils puissent la tenir. Dès qu’ils ont connu l’inaction, sitôt qu’ils ont comparé ce qu’ils souffraient par l’embarras des affaires et par l’inquiétude des passions, avec l’ennui de l’indolence, ils viennent à regretter l’état tumultueux dont ils étaient si dégoûtés […] Véritablement l’agitation où les passions nous tiennent, même durant la solitude, est si vive, que tout autre état est un état de langueur auprès de cette agitation. Ainsi nous courons par instinct après les objets qui peuvent exciter nos passions, quoique ces objets fassent sur nous des impressions qui nous coûtent souvent des nuits inquiètes et des journées douloureuses »403. Selon Dubos, les « artisans » sont indispensables à la société : ils répondent à un besoin vital pour l’homme, celui d’être occupé : « ces fantômes de passions que la poésie et la peinture savent exciter en nous émouvant, par les imitations qu’elles nous présentent, satisfont aux besoins où nous sommes d’être occupés »404.

La tristesse éprouvée à la représentation d’une tragédie n’est que superficielle (peu profonde) et passagère, elle ne ressemble en rien à la douleur éprouvée dans les vraies passions. Cela s’explique par le fait que nous savons que toute douleur finit avec le spectacle et que nous sommes conscients que nous regardons un artifice qui transcende le réel. Nos passions esthétiques sont de courte durée et sans écho profond, s’effaçant facilement.

L’art sépare les suites fâcheuses des passions de ce qu’elles ont de positif, de réjouissant. Dubos appelle l’art à accomplir cette tâche extraordinaire, de transformer les suites négatives en plaisir : L’art « ne pourrait-il pas trouver le moyen de séparer les mauvaises suites de la plupart des passions d’avec ce qu’elles ont d’agréable ? L’art ne

402 Ibid.

403 Ibid., section I, § 11. 404

pourrait-il pas créer, pour ainsi dire, des êtres d’une nouvelle nature ? Ne pourrait-il pas produire des objets qui excitassent en nous des passions artificielles capables de nous occuper dans le moment que nous les sentons, et incapables de nous causer dans la suite des peines réelles et des afflictions véritables ? »405.

À cette question capitale, Dubos répond que l’art peut accomplir cette fonction, par la poésie et la peinture : « La poésie et la peinture en viennent à bout. Je ne prétends pas soutenir que les premiers peintres et les premiers poètes, ni les autres artisans, qui peuvent faire la même chose qu’eux, aient porté si loin leur idée et qu’ils se soient proposé des vues si raffinées en travaillant […] les premiers poètes et les premiers peintres n’ont songé peut-être qu’à flatter nos sens et notre imagination ; c’est en travaillant pour cela qu’ils ont trouvé le moyen d’exciter dans notre cœur des passions artificielles. C’est par hasard que les inventions les plus utiles à la société ont été trouvées. Quoi qu’il en soit, ces fantômes de passions que la poésie et la peinture savent exciter, en nous émouvant par les imitations qu’elles nous présentent satisfont au besoin où nous sommes d’être occupés »406. L’art « produit des objets qui excitent en nous des passions artificielles, capables de nous occuper […] et incapables de nous causer dans la suite des peines réelles »407. L’impression faite par l’imitation est différente de l’impression faite par l’objet original en ce qu’elle est moins forte. Elle produit en notre âme une passion semblable à celle que l’objet imité aurait pu exciter, une copie de la passion originelle. Cette impression n’atteint pas la raison, elle atteint que l’âme sensitive, donc elle s’efface bientôt, sans avoir des effets prolongés. L’impression faite par l’objet et l’impression faite par l’imitation sont différentes : « L’imitation la plus parfaite n’a qu’un être artificiel ; elle n’a qu’une vie empruntée, au lieu que la force et l’activité de la nature se trouvent dans l’objet imité. C’est en vertu du pouvoir qu’il tient de la nature même que l’objet réel agit sur nous »408.

Le plaisir de l’art, qui consiste dans la contemplation des imitations, est un plaisir pur car il « n’est pas suivi des inconvénients dont les émotions sérieuses qui auraient été causées par l’objet même, seraient accompagnées »409.

405 Ibid., § 26. 406Ibid., § 27. 407 Ibid., § 26. 408 Ibid., § 28. 409 Ibid., § 29.

Pour Dubos, le plaisir de l’imitation est dans la passion suscitée. Pour Addison, par exemple, le plaisir de l’imitation est dans la réflexion que nous faisons en nous sentant en sécurité et à l’abri de tout danger réel comme dans une tragédie, par exemple. Dans

Spectateur, Addison affirme : « Lorsque nous envisageons des objets si hideux, nous

sommes ravis de nous voir à l’abri de tout le danger qu’il y aurait à craindre de leur part […] de sorte que plus leur aspect est effrayant, et plus nous goûtons de plaisir à n’avoir rien à craindre de leurs insultes […] Nous regardons la terreur qu’une description nous imprime, avec la même curiosité et le même plaisir que nous trouvons à contempler un monstre mort […] C’est pour cela même que nous nous plaisons à réfléchir sur les dangers passés, ou à regarder un précipice de loin »410.

Les objets hideux chez Addison deviennent chez Dubos des objets beaux car ils nous touchent. Réfléchir sur les dangers passés est un plaisir chez Addison, car ces dangers passés ne viennent plus à notre rencontre. Sentir le danger et sentir, en même temps, l’impossibilité qu’il nous arrive, qu’il nous touche personnellement, est, chez Addison, le plaisir de l’art.

Dubos met l’accent sur la passion, en tant qu’émotion. Toute passion, même celle qui provoque de la peine, est positive tant qu’elle agite le cœur, qu’elle occupe notre esprit et impressionne nos sens.

L’art permet, pour Dubos, de vivre les passions sans danger, fortement atténuées. Les passions provoquées par l’art sont dépourvues de toute souffrance réelle. Il y a un long chemin à parcourir d’une passion esthétique à une passion réelle. C’est un chemin qui aboutit à l’habitude de souffrir les vraies passions sans en être blessés (« On s’habitue à la vraie guerre en faisant la petite »411). Dubos affirme, dans les Réflexions : « Le peintre et le poète ne nous affligent qu’autant que nous le voulons, ils ne nous font aimer leurs héros et leurs héroïnes qu’autant qu’il nous plaît : au lieu que nous ne serions pas les maîtres de la mesure de nos sentiments ; nous ne serions pas les maîtres de leur vivacité comme de leur durée, si nous avions été frappés par les objets mêmes que ces nobles artisans ont imités […] notre âme demeure toujours la maîtresse de ces émotions superficielles que les vers et les tableaux excitent en elle »412. Cette règle générale souffre des exceptions : « On dit bien encore qu’on a vu des hommes se livrer

410 J. Addison, Spectateur, tome IV, p. 295-296. 411 Alfred Lombard, op. cit., p. 207.

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de si bonne foi aux impressions des imitations de la poésie, que la raison ne pouvait plus reprendre ses droits sur leur imagination égarée »413 (ex. : Don Quichotte). Ces rares exceptions sont qualifiées par Dubos d’hommes au cœur sensible et à la tête faible, qui sont en petit nombre et qui ne méritent pas que l’on y prête attention.

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