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Chapitre 2 Le projet de télé-université : naissance et premiers pas (1972-1974)

2.5 Les suites de la consultation

Les choses ne traînent pas, et dès le 29 septembre le programme de travail de la télé-université est déposé. C'est le programme DEFI170, qui couvre la période de

1973 à 1978 et opte —heureuse influence du rapport de l'UQAM ou retour aux sources de Tévec— pour la mise sur pied de systèmes d'apprentissage ouverts dans une perspective de formation intégrée, de la conception à l'évaluation, et orientée par les conditions de vie, les intérêts et les besoins des adultes à qui ils sont destinés. Les projets feront appel aux ressources de l'Université du Québec et s'adresseront à des publics larges, sans exclure toutefois —nouveau jeu d'équilibre— des secteurs visant une clientèle plus restreinte. Les projets seront approuvés par les commissions des études des unités constituantes et le Conseil des études, et le financement se fera projet par projet171.

Curieusement, le programme DEFI propose une structure qui, si elle s'inspire du rapport présenté à l'Assemblée des gouverneurs, avec un comité directeur et une équipe de réalisation, attribue moins d'importance aux constituantes puisqu'elles sont simplement consultées pour la nomination des membres du comité directeur, alors que le rapport attribuait d'emblée des places à leurs représentants. Mais pour ce qui est du programme proposé, il est clair : DEFI assumera la gérance de PERMAMA, mettra en marche des projets de type COOP et INEQ172, et entamera la conversion de

cours offerts dans l'Outaouais et au Nord-Ouest. Un programme de développement

170 Développement et Expérimentation de la Formation Intégrée.

171 Équipe de développement du projet de télé-université, La télé-université - Phase I : le

programme DEFI (1973-1978), Sainte-Foy : Université du Québec, 29 septembre 1972.

172 COOP est un cours sur le phénomène de la coopération au Québec, INEQ, une

de DEFI sera mis en chantier et l'on évaluera des expériences de formation à distance menées au Québec et à l'étranger.

Tout est donc prêt pour l'approbation du projet de télé-université. Le 5 octobre, l'étude du projet par le Conseil des études fait apparaître diverses opinions : ainsi le vice-président à la recherche recommande d'axer les cours vers la clientèle de 20 à 25 ans, déjà hautement scolarisée, en dehors de l'université, plutôt que vers la population peu scolarisée, tandis qu'un des membres de l'équipe de développement souligne que le but de DEFI n'est pas de rationaliser ce qui existe déjà; les recteurs de l'UQAM et de l'UQTR insistent pour leur part sur l'importance de préciser les relations à établir avec les constituantes et d'évaluer les projets avec leur participation. Le Conseil s'en tient cependant à trois précisions : on indiquera que la télé-université s'adresse aux adultes, plutôt qu'à « ceux que les services existants ne rejoignent pas, rejoignent difficilement ou ne satisfont pas »; les vice-recteurs à l'enseignement et à la recherche redeviennent membres d'office du comité directeur; et l'on précise que le recours aux ressources de l'Université du Québec se fera dans la mesure du possible173.

Un débat s'engage en comité plénier à l'Assemblée des gouverneurs du 18 octobre. Si, dans l'ensemble, les membres sont favorables au projet, plusieurs réserves sont manifestées. Certains estiment que les propositions à l'étude ne tiennent pas suffisamment compte des résultats de la consultation. D'autres demandent des précisions sur les techniques de financement du projet, les relations qu'aura la télé- université avec les unités constituantes, son impact sur les professeurs ainsi que sur les modules. On s'interroge aussi sur la structure adéquate. Toutefois, la résolution instituant la télé-université est adoptée après plusieurs modifications visant notamment à assurer le contrôle de la télé-université par les organismes centraux du réseau. La télé-université se voit ainsi confier la direction du projet PERMAMA, la conversion d'enseignement dans l'Outaouais et le Nord-Ouest, avec possibilité d'extension à d'autres régions, le développement des projets COOP et INEQ, ainsi que l'exploration du projet PERMAFRA. Seul le recteur de l'UQAM s'abstient de voter et maintient ses réserves174. Le 22 novembre suivant, l'Assemblée des

173 Conseil des études, résolution C-26-254, 4 octobre 1972.

gouverneurs arrête la composition de la Commission de la télé-université175. La télé-

université est maintenant créée.

Pouvait-il en être autrement ? Le projet reposait sur des aspirations légitimes —celles-là même qui avaient donné naissance à l'Université du Québec—, sur un désir de renouvellement de l'Université alors très vif et sur l'attrait qu'offraient de nouvelles technologies capables de résoudre les problèmes auxquels devait faire face cette jeune université. Certes, bien des aspects restaient à préciser, mais il se voulait essentiellement expérimental, bâtissant à partir de projets concrets qui seraient soigneusement évalués. Et les constituantes qui craignaient la concurrence de cette nouvelle unité en puissance ne présidaient-elles pas à son développement ? N'avait- elle pas précisément trouvé ce modèle « sui generis », l'Université-réseau, adapté au contexte particulier de l'Université du Québec, elle qui devait inventer une Open University sans en calquer le modèle ?

Une bonne décision, sans doute, que cette résolution A-43-796, si l'on tient compte de l'incertitude dans laquelle la plupart se trouvent, quant au commun dénominateur de toutes ces expériences de formation à distance, et si l'on considère les multiples intérêts qui se sont fait jour lors de l'élaboration de ce projet. Il fallait faire des compromis, tenir compte de tendances diverses, et le projet en constitue l'heureuse synthèse. N'avait-il pas adopté une approche empirique, prudente, qui lui permettrait plus tard, ses auteurs l'espéraient, de voler de ses propres ailes ?176

Nous on s'était dit : « Si on fait la preuve que ça marche, administrativement, financièrement, pédagogiquement, les gens vont en vouloir plus. Et on va bâtir comme ça au fil des années une institution qui ne sera jamais dominée, subordonnée, aux règles du jeu des départements, des commissions des études des constituantes, et qui aura donc une certaine marge de manœuvre pédagogique dans la conception de ses projets »

175 Outre le président de l'Université du Québec, la Commission est composée des cinq

vice-recteurs des constituantes, des vice-présidents à l'enseignement et aux communications, d'une personne désignée par le groupe de recherche, du directeur général de la télé-université, et de cinq autres personnes nommées par l'Assemblée des gouverneurs sur la proposition du président.

Mais on se rend bien compte, en même temps, de la fragilité du projet, comme en témoigne Pierre Van der Donckt :

Alors oui, je me confesse, et je dis « c'était pas le rapport qui menait à la décision la plus claire et la plus ferme » (...) De sorte que peut-être on a passé par la petite porte pour la faire accepter, la télé-université, en disant : « on va concrètement démontrer que ce modèle qu'on propose est réalisable »177

Car c'est l'existence même d'une télé-université en bonne et due forme qui est en question178 :

(...) Alors, si on proposait la création d'une nouvelle constituante avec tous les attributs que la loi permettait de reconnaître, une personnalité administrative et juridique complète, là je pense que ç'aurait été —c'est mon appréciation— l'objet de discussions sans fin et d'un conflit ouvert, à une époque où l'Université du Québec ne pouvait pas multiplier les conflits ouverts entre le siège social et les constituantes.

La dynamique interne de l'Université du Québec compte pour beaucoup dans cette fragilité. Comme le souligne John Daniel179, il fallait à la fois éviter de déplaire

au président de l'Université du Québec, Alphonse Riverin, qui voyait dans la nouvelle technologie un puissant moyen de renouvellement pédagogique, et aux recteurs des unités constituantes qui craignaient de se faire éclipser et tenaient à contrôler étroitement le projet. Et si la volonté de la Corporation centrale était nette, sa représentation de la télé-université l'était par contre beaucoup moins. De telle sorte que le projet s'est trouvé d'emblée limité, de multiples demi-teintes venant atténuer le discours innovateur, tandis que son statut expérimental, donc révocable, ainsi que le contrôle externe assuré par la composition de la Commission de la télé-université avaient pour effet d'abandonner aux rapports de force le soin de définir cette nouvelle organisation180. C'est pourquoi si beaucoup, à l'Université du Québec, se rendaient

177 Extrait du vidéo institutionnel Pour l'amour d'une idée. 178 Notes de l'entrevue réalisée avec Pierre Van der Donckt.

179 Daniel, J. S., Smith, W. A. W. « Opening Open Universities : the Canadian

Experience », Canadian Journal of Higher Education, Vol. IX, No 2, 1979.

compte en 1972 que cette université était beaucoup plus conventionnelle que ses fondateurs l'avaient désiré, les avis étaient très partagés sur la ligne à suivre.

Cependant, malgré cette hypothèque, tout y est : les nouvelles technologies, la réponse aux besoins des clientèles marginales, la prise en charge des cours à forte clientèle aussi bien que de ceux plus spécialisés, le service aux régions périphériques, PERMAMA, le Nord-Ouest, l'expérimentation et la recherche sur la formation à distance. Que peut-on espérer de mieux ? Pour la télé-université, la table est maintenant mise, mais le menu est copieux181.

Le souvenir que j'en garde, c'est que le rapport a été bien accueilli. Mais en même temps, on l'a bien accueilli parce que ça allait permettre de donner de nouveaux cours au premier cycle, parce que ça allait permettre de chercher de nouveaux clients, parce que ça allait permettre d'expérimenter l'audio-visuel, parce que ça allait permettre de réformer certaines méthodes, certaines approches dans la pédagogie universitaire... donc pour des raisons qui, pour moi, étaient un peu confuses.