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Chapitre 2 Le projet de télé-université : naissance et premiers pas (1972-1974)

2.3 Le projet

Pourquoi une télé-université139 ? Évoquant le « contrat de progrès » qui sous-

tend la politique de développement de l'Université du Québec, le rapport justifie le projet de télé-université par neuf grandes tendances de l'enseignement universitaire : l'éducation permanente, l'accessibilité aux études universitaires, le développement social et les besoins de la population active, la mobilité du savoir, l'utilisation des nouveaux médias et leur incidence sur les situations d'apprentissage, la prise en compte des acquis antérieurs des personnes et la réduction des coûts unitaires. Et il souligne les nouveaux défis qui se posent à l'université québécoise : élargir l'accès aux études universitaires, notamment aux adultes et dans les régions, mettre à profit la technologie éducative, repenser les programmes, bref, offrir de nouveaux choix et diversifier les modes et les lieux d'accès à la connaissance140.

C'est dans ce contexte qu'il faut penser à l'opportunité d'une télé-université. Alors que l'interrogation est

137 Le procès-verbal de cette rencontre fait état de multiples interventions des

constituantes, afin de délimiter le rôle de la télé-université (Marcotte, P., Un historique de la Télé-université, op. cit., p. 5).

138 Le rapport du groupe de travail sur la télé-université constitue cependant la première

version officielle offerte à l'Université du Québec pour discussion (Marcotte, P. Un historique de la Télé-université…, ibid.)

139 Dans tout l'ensemble de ce rapport, le terme « télé-université » est utilisé dans un

sens très général, le groupe de travail soulignant qu'il n'a pas retenu les appellations « Télé-université du Québec » et « Centre universitaire de formation à distance », qui ont déjà été envisagées (Van der Donckt, P., Grégoire, R. Rapport du groupe de travail..., op. cit., p. 124).

partout, cette hypothèse n'offre-t-elle pas une base de travail positive ? Ne pourrait-elle pas, à un coût raisonnable, apporter une contribution majeure à la solution de certains problèmes de l'éducation universitaire au Québec ?

Pour le groupe de travail, un tel projet devrait évidemment s'inscrire au cœur des préoccupations de l'Université du Québec. Présente dans une quarantaine de localités du Québec, elle s'inquiète en effet déjà du coût de la multiplication de ses sous-centres, ainsi que de la réponse à apporter aux nombreuses demandes qui lui sont adressées, elle dont près des deux tiers de la clientèle est constituée d'étudiants adultes à temps partiel et qui se voit sollicitée par une clientèle retenue au travail ou à domicile. Ses ressources sont rares et elle cherche à les mettre en commun afin d'organiser ses études de premier cycle. Et comment favoriser l'introduction de nouvelles méthodes d'enseignement, comment améliorer le rendement de ses centres audio-visuels, ainsi que du système informatique si coûteux dont elle s'est dotée ? D'autant que déjà, l'Université du Québec constate un certain ralentissement des dépenses publiques, accompagné d'une volonté de contrôle, et perçoit la nécessité d'une rationalisation budgétaire.

Mais pourquoi la formation à distance ? L'abondance et l'importance des expériences et des projets en cours à travers le monde en est la caution. Comme le souligne le rapport141 :

Le temps de l'interrogation sur l'existence même d'un mouvement de pensée et d'action sérieux allant dans le sens « formation universitaire à distance » semble donc en voie d'être dépassé. Le moment est venu de réfléchir plutôt sur son importance, d'en mesurer la portée et de décider lucidement de quelle façon nous l'adapterons à nos besoins propres et à quel moment nous passerons à l'action.

Alors, que sera la télé-université ? À cette question compromettante, le groupe de travail choisit, dans un premier temps, de répondre par une pirouette, en invitant à rêver cette télé-université et en esquissant un bilan de ce qu'elle pourrait être en 1984, après douze années d'activités. Gaspard Landry, directeur d'usine ayant

choisi le recyclage à domicile en techniques administratives, Annette Leblanc, mère de famille qui se perfectionne en sciences politiques en alternant l'étude à domicile et les ateliers sur campus, ainsi que Alain Tremblay, qui étudie l'écologie en complétant ses études à domicile par des travaux dans un centre d'apprentissage de Gaspé, en sont les héros. Le professeur Lemieux, de l'UQAC, qui a choisi de donner son cours de micro-économique à distance, avec l'assistance de collègues de Montréal, Trois- Rivières et Rimouski et le support de spécialistes des Presses de l'Université du Québec et de Radio-Québec leur donne la réplique : la conception se fait en équipe, ainsi que le modèle d'encadrement des étudiants. Après huit mois, le projet est terminé et le professeur Lemieux réintègre sa constituante.

Il est beau, ce rêve de la télé-université : après dix années d'opération, 30 000 adultes y ont complété un programme, tandis que 35 % des étudiants réguliers à plein temps de l'Université du Québec suivent à l'intérieur de leur programme au moins un cours de la télé-université; 400 professeurs ont participé à un de ses projets; la télé- université diffuse 24 heures par jour sur la chaine FM, publie un journal hebdomadaire à grand tirage et produit, en collaboration avec Radio-Québec, 20 heures de programmes vidéo par semaine, également diffusés par vidéo-disques; elle a mis au point trois nouveaux modèles d'enseignement et d'apprentissage individualisé, travaille en collaboration intense avec l'INRS, et il s'avère qu'elle rejoint une proportion importante de "défavorisés" et de "drop-outs". Bien entendu, son impact régional est sensible, avec 24 sous-centres, et elle a pu mener plusieurs projets en collaboration avec d'autres universités québécoises, sans compter son rayonnement au sein de la francophonie142.

Le rêve se fait cependant un peu plus flou dans le présent. S'il recense de nombreux besoins qui ont été formulés par les constituantes et le siège social, quant aux orientations de la télé-université aux clientèles qu'elle devrait rejoindre et aux contenus à leur proposer, le rapport n'en fait pas l'analyse, se bornant à souligner que toutes ces suggestions concernent à la fois la clientèle d'éducation permanente et la clientèle régulièrement inscrite, et que trois clientèles ont été évoquées de façon constante : les enseignants en exercice, les administrateurs de tous genres et les professionnels de la santé. Ceci n'empêche pas le groupe de travail de proposer cinq projets, fort disparates les uns par rapport aux autres, il est le premier à le reconnaître,

mais qui ont pour commun dénominateur de satisfaire —à des degrés divers— à des critères (urgence et étendue des besoins, pertinence de la formation à distance, possibilité de financement, existence d'un travail préalable, couverture du territoire, diversité des méthodes pédagogiques), qui laissent croire à leurs chances de succès143.

Manifestement, on veut miser gagnant. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que le premier projet, le plus sûr, soit la prise en charge de PERMAMA, ce programme de perfectionnement des maîtres en mathématiques qui vient d'être confié par le Ministère de l'éducation au siège social et qui dispose de quelque 71 sous-centres desservant à distance une clientèle de 1 730 étudiants. Le second projet consiste en la médiatisation de plusieurs cours du certificat en administration qu'offrent la plupart des constituantes, sans toujours disposer de ressources humaines suffisantes pour offrir les cours optionnels, et dont certains cours sont par ailleurs fréquemment répétés144. Puis vient un projet de perfectionnement, destiné aux administrateurs

scolaires, la médiatisation d'un cours de psychologie de l'enfant, destiné à un vaste public dans une perspective d'éducation continue, et la prise en charge du programme de perfectionnement des maîtres en français PERMAFRA, qui fait l'objet d'une vaste demande, mais dont la formule n'est pas encore cernée.

Mais la télé-université ? Que sera-t-elle exactement ? Le rapport devient ici plus circonspect. Certes, la définition générale du projet est audacieuse, puisqu'elle annonce que la télé-université vise —afin de répondre aux besoins éducatifs du Québec— à permettre à l'Université du Québec de desservir toutes les clientèles qu'elle ne rejoint pas ou qu'elle dessert mal, en misant sur l'innovation pédagogique et la synergie au sein du réseau de l'Université du Québec, ainsi qu'avec avec le milieu socio-culturel, et en s'appuyant sur les médias appropriés. Mais comme chaque élément de cette définition, aussitôt précisé, se voit contrebalancé par l'indication de ce qu'elle n'est pas, la simultanéité de ces affirmations et négations simultanée pose, dans plusieurs cas, plus de questions qu'elle n'apporte de réponse. Ainsi, la télé- université sera un instrument commun de l'Université du Québec, mais elle n'est ni une nouvelle constituante, ni un organisme au service des constituantes. Elle s'adresse à des clientèles éloignées géographiquement ou sociologiquement de l'université, mais n'est au service exclusif d'aucune d'entre elles. Elle prépare des

143 Van der Donckt, P., Grégoire, R. Rapport du groupe de travail..., op. cit., p. 62. 144 Dans l'entrevue qu'elle accordera pour la réalisation du vidéo institutionnel Pour

l'amour d'une idée, Francine Mc Kenzie cite l'exemple du cours STA 114, qui était alors répété quarante-quatre fois par semaine dans le réseau de l'Université du Québec.

parties de cours aussi bien que des ensembles de cours, mais ne prépare exclusivement ni des programmes complets, ni des cours de premier cycle, ni des cours « culturels », ni des cours sanctionnés par un diplôme, ni des compléments aux activités campus. Elle agit sur l'ensemble du territoire québécois et supporte les régions périphériques, mais n'est pas au service exclusif de ces régions. Elle se définit comme un agent de changement pédagogique mais n'est pas un organisme dont la vocation serait la recherche pédagogique. Elle médiatise des cours préparés par les ressources internes de l'Université du Québec, mais n'est ni un centre de production ou de promotion des moyens audio-visuels145.

Bref, la télé-université annonce ses couleurs et se dérobe tout à la fois, et s'il n'y a pas à proprement parler de contradiction dans ces énoncés, ils laissent cependant le sentiment d'un projet qui reste encore en bonne partie à définir. Oui, la population à rejoindre est relativement bien circonscrite (les 25 ans et plus, les enseignants en exercice, les administrateurs publics et privés, les professionnels et techniciens de la santé, les femmes, et des clientèles particulières), mais le rapport reste assez ambigu sur la façon dont sera réalisée l'accessibilité, puisqu'il mise le bassin de population montréalaise pour promouvoir l'enseignement à distance à travers le territoire. Quant aux contenus d'enseignement envisagés, aucune précision n'est apportée, mais la diversité est de mise. De même, s'il est clair que l'on fera une utilisation intensive de centres d'apprentissage —à l'instar de l'Open University—, lesquels apparaissent comme une condition essentielle du bon fonctionnement de la télé-université, on voit mal si la responsabilité de ces centres, qui s'ajoutent aux sous-centres mis sur pied par les constituantes146, relève de la télé-université, notamment dans les régions où

l'Université du Québec n'est pas représentée, ou bien des constituantes agissant comme relais auprès de la télé-université. Enfin la description des modalités d'admission, d'évaluation et de diplomation se borne à des principes généraux, mais reste assez évasive sur les règles qui préciseront l'insertion des projets de la télé- université dans le fonctionnement des constituantes appelées à émettre les diplômes. Bref, le projet de télé-université est largement indéterminé et se caractérise par un

145 Van der Donckt, P., Grégoire, R. Rapport du groupe de travail..., op. cit., p. 79 - 82. 146 Il existe alors 40 centres dans l'Université du Québec, auxquels s'ajoutent les 71

centres de PERMAMA. En comparaison, l'Open University, lors de sa fondation, prévoyait l'ouverture de 250 « learning centers ».

certain désir de ménager la chèvre et le chou, entre ses visées de promotion sociale et son penchant pour les nouvelles technologies147.

Il est vrai que la télé-université se présente comme un caractère expérimental, dont la fonction de recherche consistera essentiellement à évaluer l'efficacité pédagogique de ses projets et méthodes, notamment en association avec l'INRS. Mais c'est un projet qui ne cache pas ses ambitions, dont celle de réduire la croissance des coûts de l'enseignement universitaire, comme le suggère l'exemple de l'Open University dont le coût par diplômé est alors estimé à 20 % de celui des universités traditionnelles. Et même si le groupe de travail a nettement conscience de l'impossibilité de déterminer les coûts de cette télé-université, tant ils dépendent de la nature des projets et du volume de la clientèle rejointe, il affiche un bel optimisme148 :

Tous ces facteurs jouent dans la détermination des coûts. C'est pourquoi il est pratiquement impossible de dire à l'avance ce que coûtera une télé-université; tout dépendra de son volume d'activités.

Cependant, ce projet se situe nettement dans une perspective de réduction des coûts unitaires de l'enseignement universitaire à moyen terme. Les projets de la télé-université devront respecter ce principe de base, de telle sorte que l'ampleur des moyens à déployer sera déterminée en fonction de ce principe.

Le même optimisme caractérise la vision de l'insertion institutionnelle de la télé-université149 : créée en tant que commission de l'Assemblée des gouverneurs,

comme le permet l'article 22 de la loi de l'Université du Québec, elle sera dirigée par un Conseil de direction composé de représentants de toutes les constituantes du réseau150, auxquels s'ajoutent trois personnes extérieures à l'Université du Québec,

147 Marcotte, P., L'institution d'une nouvelle organisation…, op. cit.,1983.

148 Van der Donckt, P., Grégoire, R. Rapport du groupe de travail..., op. cit., p. 120. 149 Lors de la présentation du projet à l'Assemblée des gouverneurs, Pierre Van der

Donckt souligne notamment que la télé-université ne sera « en aucun cas en compétition avec les unités constituantes » et qu'au contraire, elle tentera de « supporter les projets existants et même d'aider les unités plus petites à élargir leur éventail d'activités » [Procès-verbal de la 40e réunion, point 6].

150 Il s'agit des vice-présidents à l'enseignement et aux communications de l'UQ, des

nommées par l'Assemblée des gouverneurs, et le directeur général, responsable de sa coordination. Un secrétariat, formé d'un noyau de permanents, assistera le directeur général, notamment grâce au « Groupe Recherche et Développement », qui coordonne les équipes de projets en collaboration avec les constituantes. La télé- université sera donc un véritable organisme réseau151, réalisant des projets en

synergie avec ses partenaires afin de répondre à de multiples besoins de formation dans l'ensemble du Québec152. Dans le contexte de tensions institutionnelles qui

préside à la naissance du projet de télé-université, il faut en effet beaucoup de conviction pour envisager une pareille coopération.

Voilà donc le projet de télé-université. L'approche que propose le groupe de travail est essentiellement empirique, ajoutant à la prise en charge de PERMAMA un projet de cours en administration, parmi les douze cours du nouveau programme de certificat, un projet de perfectionnement des administrateurs scolaires, un projet de perfectionnement des maîtres en français au secondaire et un projet analogue au cours de psychologie de l'enfant déjà cité. Une vaste consultation est proposée par le groupe de travail, durant l'été de 1972, aussi bien dans le réseau de l'Université du Québec qu'à l'extérieur. La décision d'implantation devrait être prise en septembre.

Le dépôt de ce rapport donne lieu à de vives discussions, et les constituantes font part des mêmes objections que lors de la réunion du Comité exécutif du 3 mai. On voit mal comment cette structure parallèle pourra résoudre le problème du manque de ressources pour répondre aux besoins des régions; on demande plus de précisions sur les besoins auxquels elle veut répondre, la réduction des coûts qu'elle propose et la rentabilité du projet; on veut évaluer l'impact de sa création sur les inscriptions dans les campus actuels. En conclusion, l'Assemblée des gouverneurs donne son approbation de principe au rapport du groupe de travail et présente la télé- université comme un instrument commun du réseau voué à l'expérimentation de la

l'UQTR, du directeur des études du CEUR et d'un représentant de la Commission des Services universitaires de l'Ouest.

151 En conclusion du débat sur le projet, le président de l'Université du Québec insiste

notamment sur la nécessité d'imposer aux étudiants un séjour minimum dans une constituante, de les inscrire dans les constituantes, et de mettre en commun les ressources existantes du réseau [Procès-verbal de la 40e réunion, point 6].

152 Dans la même veine, le rapport du comité sur les régions périphériques déposé à

l'Assemblée des gouverneurs le 24 mai suivant définira la télé-université comme un « instrument-système » d'initiative, de concertation et de service dans le domaine de la formation à distance.

formation à distance153. La consultation préconisée par le groupe de travail est

instaurée. Elle devra porter sur la structure de la télé-université, sur son mode de fonctionnement —et en particulier ses relations avec les constituantes—, ainsi que sur l'identification de projets susceptibles de réalisation immédiate.