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Chapitre 2 Le projet de télé-université : naissance et premiers pas (1972-1974)

2.2 L'élaboration du projet

Après une étape de débroussaillage, durant laquelle il analyse une abondante documentation126 et rencontre de nombreuses personnes, tant à l'Université du

Québec qu'à l'extérieur, le groupe de travail entame des consultations avec les vices- recteurs à l'enseignement et à la recherche ou les responsables des diverses unités de l'Université du Québec, et s'attaque à la rédaction d'un document de travail en janvier et février 1972, puis aborde la discussion de ses orientations.

Il apparaît très vite, au fil des consultations et des discussions, qu'il existe plusieurs façons de concevoir le rôle, les statuts et le programme d'activités de la télé- université. Car plusieurs facteurs exercent alors une influence puissante sur sa définition. En tout premier lieu, bien sûr, il y a la vocation politique de l'Université du Québec, qui doit être accessible et innover. Évidemment, la télé-université apparaît tout de suite comme l'instrument par excellence pour desservir un territoire peu peuplé avec des populations difficiles à rejoindre et rendre l'enseignement accessible à tous, ce qu'on appelle alors un peu plus prosaïquement « battre les clientèles ».

124 Le groupe de travail se constituera progressivement et sera composé de huit

personnes : à Pierre Van der Donckt, et Réginald Grégoire, déjà cités, s'ajoutent Francine Chartrand Mc Kenzie et Michel De Celles, tous deux adjoints au vice- président à l'enseignement, Pierre Bourdon, adjoint au vice-président à la

planification, Gilbert Bériault, coordonnateur de l'audio-visuel à la vice-présidence aux communications, Julien Laperrière, adjoint au recteur de l'Université du Québec à Montréal et Réal Tétreault, responsable du service audio-visuel à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

125 Notes d'une entrevue réalisée avec Pierre Van der Donckt le 5 août 1994.

126 Une attention particulière est accordée aux expériences que sont l'Open University,

en Grande-Bretagne, la Politechnika Telewiyjna de Pologne, la TRU de Suède et l'University Without Walls des États-Unis, ainsi qu'aux expériences québécoises Tévec , Multi-média, et PERMAMA, et qu'à diverses autres expériences canadiennes (Université de Waterloo, Université Memorial, Ryerson Polytechnical Institute).

Mais la télé-université apparaît aussi comme le fer de lance technologique de l'Université du Québec, et ceci essentiellement au niveau de la vice-présidence aux communications qui vient de mettre en place le réseau informatique et qui mise résolument sur le développement des télécommunications. Envisagée comme un véritable instrument de progrès technologique, la télé-université incarne ici la volonté d'innovation de l'Université du Québec, ainsi que le souci de cette dernière de se démarquer de l'enseignement traditionnel, lequel s'exprime déjà dans la mise sur pied de la structure départements/modules. Mais aussi le rôle d'impulseur que se donne le siège social de l'Université du Québec, qui aime lancer lui-même les dossiers et se voit comme l'animateur du réseau127.

À ces facteurs structurants s'ajoute l'influence même des membres du groupe de travail, lequel gravite essentiellement autour de Pierre Van der Donckt, qui travaille aux côtés de Pierre Martin à la vice-présidence à la planification, Francine Mc Kenzie, qui travaille pour sa part auprès de Maurice Boisvert, à l'enseignement et à la recherche, et Réginald Grégoire, issu des expériences pilotes Tévec128 et

Multimédia129, qui s'est intéressé à l'expérience de l'Open University depuis déjà

quelques années. Or voilà précisément ce que recherche l'Université du Québec : créer une Open University au Québec. Réginald Grégoire est donc la personne toute trouvée pour rédiger le projet de télé-université130. Mais ce dernier incarne également

au sein du groupe de travail toute une tradition éducative originale, celle des grandes expériences d'éducation des adultes131 qui ont fleuri au Québec à partir de 1966, sous

127 Notes de l'entrevue avec Pierre Van der Donckt.

128 Visant une scolarisation d'un niveau égal à la 9e année en faisant appel à des

contenus socio-économiques et culturels, l'expérience Tévec rejoignit 35 000 des 150 000 adultes du Saguenay-Lac-Saint Jean entre 1967 et 1969. Basée sur des enquêtes sociologiques visant à cerner les besoins de la population, elle misait sur l'utilisation intensive de la télévision -ses émissions étaient écoutées régulièrement par 60 000 personnes-, ainsi que sur l'enseignement par correspondance et l'animation sociale complétée par des visites à domicile. Plus de 5 000 adultes réussirent ainsi à obtenir leur diplôme, pour un coût total de 3,5 millions.

129 Multi-média se proposait de prolonger l'expérience de Tévec dans l'ensemble du

Québec, mais en s'adressant en priorité à la population gagnant moins de 3 000 $ par année (en dollars de 1970). Toutefois, le contexte de la crise d'octobre 70, et le fait que l'équipe de Multi-média était composée d'animateurs sociaux, devaient fortement handicaper ce projet, qui disparut en 1978.

130 Notes d'une entrevue réalisée avec Réginald Grégoire le 6 août 1994.

131 Citons notamment l'Opération Départ Québec (portrait statistique de l'éducation des

adultes au Québec), Opération Départ Montréal (élaboration du paradigme de l'auto- éducation), Sésame (Sessions d'Enseignement Spécialisé aux Adultes par le

l'égide de la Direction générale de l'éducation permanente132. Au sein du groupe, il

représente donc une importante tendance éducative, celle de la mise à contribution des nouveaux médias pour le changement social, dont Tévec et Multi-média constituent les illustrations les plus frappantes133. Il en résulte, au sein de ce groupe

de travail dont les principaux porteurs ne viennent pas du monde de l'enseignement universitaire, un consensus assez net pour s'éloigner du cadre universitaire classique et pour voir dans la télé-université un instrument de libération et une forme de préoccupation sociale.

De ces diverses influences naissent des perspectives diverses pour envisager la télé-université. Un premier courant de pensée, le courant académique surtout présent chez les responsables de l'Université du Québec de l'époque, la voit comme un moyen de rationaliser le développement de l'Université du Québec134, d'en

coordonner le développement afin d'éviter une prolifération de programmes, notamment les études avancées, et de soutenir le développement des universités régionales. Le courant technologique, pour sa part, voit dans la télé-université le lieu par excellence de l'expérimentation des nouvelles technologies éducatives. Le troisième courant, le courant social, définit essentiellement la télé-université par un projet d'accessibilité et d'ouverture aux adultes et aux travailleurs, aussi bien qu'aux catégories sociales défavorisées, dans une perspective à la fois professionnelle et culturelle. Entre ces trois courants, les débats sont vigoureux135.

Cependant le temps presse, ou plus exactement l'Université du Québec, soucieuse de ne pas se faire devancer par d'autres136. Le groupe de travail soumet

Ministère de l'Education), Tévec (TéléVision Communautaire : scolarisation des adultes au Lac St-Jean, parfois appelée Téveq), Multi-média (participation des adultes dans leur processus de formation), ainsi que Seapac et Ovep.

132 Nées de la volonté du gouvernement du Québec de profiter des fonds fédéraux

rendus disponibles par la Loi de 1965 sur le Fonds de formation de la main-d'œuvre, ces projets sont des initiatives de Fernand Jolicoœur, alors directeur de la Direction générale de l'éducation permanente. M. Jolicœur sera écarté de ce dossier en 1968, lors de la course à la direction du parti de l'Union nationale, suite au décès de Daniel Johnson. [Notes de l'entrevue avec Réginald Grégoire].

133 Garon, C., Bouchard, R. « L'extraordinaire expérience de Téveq », Cité Éducative,

Septembre/Octobre 1992, p. 14 - 21.

134 On envisage par exemple d'offrir rapidement à distance tous les cours de premier

cycle [Notes de l'entrevue avec Réginald Grégoire].

135 Notes de l'entrevue avec Pierre Van der Donckt.

136 Notes de l'entrevue accordée par Réginald Grégoire à Nicole Marchand dans le

cadre de la réalisation du vidéo Pour l'amour d'une idée à l'occasion du vingtième anniversaire de la Télé-université.

donc un document de travail aux vice-présidents à la planification et à l'enseignement lors d'une réunion le 28 mars, puis une esquisse générale du projet préliminaire, qui sera discutée avec le Comité exécutif le 3 mai137. Le 24 mai, le rapport est présenté à

l'Assemblée des gouverneurs. Le même jour est également déposé le rapport du comité sur les régions périphériques, qui prône l'implantation d'une "nouvelle formule d'enseignement télémédiatisée" dans l'Ouest québécois, et évoque le manque de ressources dans les régions. Ce rapport introduit la notion de « clientèles éloignées » et définit la télé-université comme un instrument-système d'initiative, de concertation et de service, en association avec les autres unités de fonctionnement de l'Université du Québec138.