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Chapitre 2 Le projet de télé-université : naissance et premiers pas (1972-1974)

2.4 Le processus de consultation

Comme le recommandait le groupe de travail, la consultation se déroule durant l'été de 1972. Les réactions sont nombreuses et parfois —c'est le cas de l'UQAM— très fouillées. Mais au-delà d'un enthousiasme de principe, les avis qui ressortent de la consultation sont partagés, et des opinions plutôt réservées se manifestent.

De toute évidence, la télé-université suscite beaucoup d'intérêt et l'on y voit un projet porteur d'avenir répondant aux aspirations d'ouverture, d'innovation et de diversification qui caractérisent cette époque, où l'objectif de démocratisation de l'enseignement marque les grandes orientations de l'enseignement supérieur154. Il

représente donc un « effort original et souhaitable pour augmenter la flexibilité du système québécois d'enseignement universitaire »155.

Mais là s'arrête le consensus. Quant à savoir à quels besoins de formation répondrait la télé-université, plusieurs estiment qu'ils n'existent pas ou que la télé-université n'est pas l'agent approprié pour les satisfaire; ou encore qu'ils sont insuffisamment identifiés. Plus nombreux sont ceux qui estiment par contre que ces besoins sont manifestes et que l'Université doit, de toute urgence156 :

non seulement sortir de ses murs mais aussi de son carcan académique, pour offrir à de nouvelles clientèles des programmes différents, plus généraux, de

153 Assemblée des Gouverneurs, résolution A-40-683, 24 mai 1972.

154 Faure, E., Apprendre à être, Commission interne sur le développement de

l'éducation, Paris : Fayard-UNESCO, 1972. Les idées du rapport Faure sont reprises par le rapport A future of choices : A choice of futures, (Alberta, Commission on Educational Planning, Alberta, Edmonton, AB : Queen's Printer, June 1972), et par le rapport The Fourth Revolution - A Report on Educational Technology in Higher Education, (Ashby, Eric et al., Carnegie Commission on Higher Education. New York: McGraw-Hill, June 1972).

155 Équipe de développement du projet de télé-université, Rapport de la consultation,

Sainte-Foy : Université du Québec, 26 septembre 1972.

formation personnelle et professionnelle exempts des contraintes de temps, de lieu et de formation antérieure qu'elle impose à ses étudiants actuels.

Mais d'autres préoccupations divergentes viennent s'y greffer : tantôt on évoque la rationalisation de l'enseignement de premier cycle entre campus, tantôt l'évolution des méthodes d'enseignement et l'innovation pédagogique, tantôt on espère une transformation radicale de l'enseignement dans les régions périphériques. Et l'on a bien conscience en même temps de l'impossibilité de réconcilier ces diverses perspectives dans une définition opérationnelle de la télé-université. Plus profondément, deux visions de la télé-université s'affrontent. Certains la voient comme une alternative à l'Université, dans une perspective d'éducation permanente, et le projet présenté leur semble encore relativement timide. Pour d'autres, la télé- université apparaît au contraire comme une extension de l'Université, c'est-à-dire un moyen de la démultiplier à l'aide des nouvelles technologies. L'équipe de développement de la télé-université constate donc que cette question qu'elle n'avait pas tranchée demeure entière157.

Bien d'autres points restent d'ailleurs à éclaircir : les objectifs spécifiques du projet doivent être précisés, des études de coûts et de clientèles doivent être effectuées. Mais surtout, de nombreuses interrogations ont trait à la structure proposée, à ses pouvoirs et à ses relations avec les constituantes, ainsi qu’avec les instances de l'Université du Québec. Faut-il viser une décentralisation complète des opérations ou la création d'un organisme largement indépendant doté d'un pouvoir d'initiative et de contrôle ? Le débat est ouvert. En somme, constate l'équipe de développement du projet de télé-université, le rapport du groupe de travail a été l'occasion d'une profonde réflexion sur l'orientation de l'enseignement universitaire. Des choix sont à faire, mais le principe du développement de la formation à distance est acquis et il faut maintenant passer à l'action, par exemple dans l'Ouest québécois, qui apparaît comme un champ d'action privilégié.

Les critiques auxquelles le projet de télé-université a été exposé ont cependant été plus vigoureuses que ne le laisse voir ce rapport de consultation en demi-teintes, comme en témoigne le rapport très fouillé que l'UQAM prépare à cette occasion, elle

157 Équipe de développement du projet de télé-université, Rapport de la consultation,

qui, dès les origines de l'Université du Québec, s'était vu confier le rôle de producteur et de diffuseur de cours pour les centres moins bien pourvus158. Il n'y a donc rien

d'étonnant à ce qu'elle s'intéresse particulièrement à ce projet de télé-université que l'UQAM aurait fort bien pu assumer.

De façon radicale, l'UQAM conteste en effet le plaidoyer du groupe de travail en faveur de la formation à distance159 :

En prenant pour acquises les vertus de la formation à distance, en la considérant aussi, de façon quelque peu idyllique, comme une panacée capable de résoudre automatiquement la plus grande partie, sinon la totalité des problèmes qu'affronte l'université (...) le plaidoyer général pour l'enseignement à distance fixe à l'entreprise des objectifs si vastes qu'il devient malaisé d'en saisir avec précision ceux qui constituent la portée véritable d'un enseignement ouvert du point de vue pédagogique et socio-politique, ou d'en examiner les conditions de réalisation.

Comme le soulignera plus tard Ferretti160, le rêve technologique se fait

vraiment tout éveillé161. Or, le projet de télé-université, souligne l'UQAM, a tendance

à confondre le renouvellement de l'enseignement avec l'utilisation de technologies nouvelles —oubliant les échecs relatifs de la vogue de l'audio-visuel et de la télévision éducative des années 60— et à réduire l'enseignement à distance à ses dimensions techniques, faisant ainsi abstraction des processus d'apprentissage individuels et de l'enracinement social de ces apprentissages162. De ce fait, la

pédagogie que propose la télé-université se caractérise par un modèle de diffusion bien loin du modèle « ouvert » inspiré par l'idéologie de la démocratisation, qui

158 Rouseau, L., Groupe « Recherche et Développement », L'organisation de

l'enseignement et de la recherche de l'Université du Québec : deuxième rapport, Sainte-Foy : Université du Québec, 3 juin 1968.

159 Université du Québec à Montréal, Dossier télé-université, septembre 1972. 160 Ferretti, L., L'université en réseau…, op. cit., p. 54.

161 Il est en effet facile, dès cette époque, de voir l'opposition relative entre les projets de

la télé-université, qui tantôt mise sur la desserte d'une population dispersée et peu nombreuse, tantôt sur la médiatisation de cours fréquemment répétés ou dont la clientèle est nombreuse, ce qui lui permet d'évoquer la perspective d'une substantielle réduction des coûts.

162 C'est précisément pour cette raison, note l'UQAM, que le projet britannique

devrait marquer la formation à distance, et dans lequel les savoirs et les valeurs circulent dans les deux sens, rendant ainsi possible l'autoformation163.

Cette critique du projet de télé-université est sans doute un peu sévère. Mais elle fait par contre mouche quand l'UQAM s'interroge sur l'efficacité économique du projet et sur les limites d'une approche à la pièce qui cadre mal avec l'ambition de réaliser une « accessibilité réelle pour tous ». L'analyse des besoins de développement socio-économiques et culturels, qui devrait se traduire par des objectifs à long terme, lui apparaît absente, ce qui handicape d'emblée la coopération inter-institutionnelle qui devra présider à ses projets, car164 :

Il serait illusoire de penser, d'autre part, que cette coopération ait des chances d'être réalisée autour de tâches aussi générales que "le développement et l'expérimentation de la formation universitaire à distance" (...) L'investissement humain et matériel considérable que nécessite un projet de cette envergure justifie, nous semble-t-il, des objectifs plus ambitieux et plus précis.

Comme on pouvait s'y attendre, l'UQAM souligne l'ambiguïté des intentions de la télé-université, qui s'offre à de multiples clientèles sans en privilégier aucune. À ce choix de diversification des risques, elle oppose une approche alternative résolument orientée vers les adultes travailleurs restés en marge du processus éducatif, auxquels serait destiné un enseignement multidisciplinaire. Car l'enjeu est celui d'un enseignement de masse offert de façon ouverte à l'aide de technologies avancées.

Bref, pour l'UQAM, le projet de télé-université est —au mieux— un avant- projet auquel manquent une étude de clientèle, un projet de développement de la programmation, une étude de coûts et un concept éducatif adéquat. Son inspiration techniciste étroite trahit de plus un manque de maturité et révèle que les choix ultimes n'ont pas été encore faits. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de créer un nouvel organisme, la formation à distance pouvant se développer dans le cadre des structures existantes de l'Université du Québec165.

163 Marcotte, P., L'institution d'une nouvelle organisation…, op. cit., p. 21 164 UQAM, Dossier télé-université, op. cit., p. 12 - 13.

Cette réaction de l'UQAM est, de loin, la plus approfondie de toutes celles qu'a recueillies l'équipe de développement du projet de télé-université. Mais si l'UQAM est la seule à afficher une vision de la formation à distance aussi radicale, la plupart des autres constituantes opinent avec elle que le projet est imprécis et qu'il manque de réalisme. Pour l'UQAC, il n'y a pas urgence en la demeure pour la création de cette télé-université. Le CEUR166 y voit une intrusion de l'Université du

Québec dans sa région, l'ÉNAP doute de la nécessité de la création de cet organisme sans champ d'action propre et autonome et l'INRS déplore que la télé-université vise à la fois le recyclage professionnel et la formation culturelle visant l'ensemble de la population. Pour Radio-Québec le projet manque de vision innovatrice et on estime que la télé-université est trop liée à l'Université du Québec. Au Ministère, le projet n'est accepté que du bout des lèvres, sous réserve qu'un plan d'ensemble tenant compte des besoins du Québec soit bientôt préparé. Il n'y a guère que la Commission de l'Ouest et les Services universitaires de l'Outaouais pour manifester leur enthousiasme : il est vrai que ce sont là les terrains privilégiés dans lesquels le projet de télé-université est appelé à se développer167.

Il est facile de comprendre l'intérêt manifesté par l'UQAM envers ce projet, non seulement parce qu'il aurait pu —ou dû ?— lui revenir, mais aussi parce qu'elle y reconnaissait plusieurs de ses « mythes fondateurs », c'est-à-dire la démocratisation de l'enseignement universitaire, l'accessibilité des études universitaires aux femmes et aux adultes, l'adaptation aux exigences du marché du travail et de la société et la promotion du développement de groupes ayant peu accès aux ressources universitaires168. Mais pourquoi le rapport de la consultation n'a-t-il donné qu'un

écho assez faible à ces critiques ? La pression du siège social pour faire avancer le projet et rétablir la confiance dans le réseau l'explique sans doute, mais aussi cette coexistence de visions concurrentes qui ont présidé à la gestation du projet. De plus, le processus de consultation a été marqué par la recherche de compromis politiques plutôt que l'élucidation des options et leur examen rigoureux169. Et l’on comprend

166 Centre d’études universitaires à Rimouski.

167 Équipe de développement du projet de télé-université, Annexe au rapport de

consultation, Sainte-Foy : Université du Québec, 26 septembre 1972.

168 Corbo, C. Matériaux fragmentaires…, op.cit.

169 Réginald Grégoire indique ainsi que le processus de consultation a été mené de

façon passablement expéditive et improvisée, sans texte de référence, ni confrontation des points de vue [Notes de l'entrevue avec Réginald Grégoire].

bien que l’équipe de développement du projet n’ait pas été très encline à faire valoir le point de vue de l’UQAM, qui non seulement divergeait de façon radicale, mais s’opposait à la création même de la télé-université. La logique des acteurs semble donc ici prévaloir, et devant la détermination innovatrice du siège social, l’enthousiasme de l’équipe du projet et l’accueil favorable qu’il reçoit dans l’Ouest québécois, le scepticisme et l’attentisme ne sont guère de mise. L'optimisme qui teintait le rapport du groupe de travail préparé à la hâte continue ainsi de marquer le rapport de consultation. Qu'il existe des problèmes, soit ! Mais on les réglera dans l'action, en expérimentant soigneusement divers projets.