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Chapitre 3 La voie autonome (1974-1981)

3.3 Le choc des institutions : la crise de 1976

Dès lors, l'action se déplace sur le terrain des programmes PERMAMA et PERMAFRA. Lors de la dernière réunion de la Commission de la Télé-université, première version, le comité PERMAMA avait fait état de difficultés, indiquant que ce programme remplissait mal son rôle social, la formation étant mal adaptée aux enseignants et n'ayant qu'un impact assez faible, ce qui avait pour effet une baisse de la clientèle, observée depuis juin 1973, les étudiants se plaignant de la lourdeur de la charge de travail et témoignant de leur manque de motivation1. Un ensemble de

propositions de révision est étudié au printemps de 1973, mais plusieurs questions se posent immédiatement : quelle importance la Télé-université doit-elle accorder au programme PERMAMA en regard de ses autres programmes ? Le coût de révision de PERMAMA affectera-t-il à la baisse les budgets des autres programmes ? De plus, peut-on demander au Ministère un nouveau budget alors qu'il vient d'approuver un plan quinquennal pour ce programme ? D'ores et déjà, il apparaît qu'il faudra

1 Télé-université, Rapport du comité PERMAMA, Procès-verbal de la 14e réunion de

trouver d'autres sources de financement si l'on veut éviter que cette révision ne handicape le développement des programmes CHEM et PERMAFRA1.

Parallèlement à cette réflexion, la Télé-université s'active pour expérimenter le programme PERMAFRA et elle consulte les constituantes sur les règles de partage budgétaire, qui sont finalement adoptées par l'Assemblée des gouverneurs en septembre 1975. Cependant, la concertation prévue n'a guère progressé durant l'été, et si les mécanismes d'association des universités constituantes à la Télé-université pour ce programme sont entérinés peu après2, la Télé-université doit constater à

regret le retrait de l'UQAM, laquelle décide également de ne pas s'associer au programme PERMAMA3. C'est le signe annonciateur d'une nouvelle crise dans les

relations avec les constituantes, pour qui l'activisme de la Télé-université dans les régions a des allures de maraudage4 :

Si au moins la Télé-université n'était pas si présomptueuse. Mais elle ne cesse de s'arroger de nouvelles prérogatives : celle d'être le catalyseur des actions communes, par exemple, ou le maître-d'œuvre absolu et exclusif de l'innovation pédagogique et de l'enseignement à distance. C'est du reste pour ces raisons que les professeurs de mathématiques de l'UQAM, soutenus par la direction, décident en 1975 de se retirer de PERMAMA et que l'UQAR, dont une bonne partie des étudiants-maîtres risquent d'être séduits par la Télé-université, se bat avec la dernière énergie pour la sortir des programmes à l'intention des enseignants.

Suite au vœu du Comité du Président de l'Université du Québec, une étude est effectuée par le vice-président sur l'organisation et le fonctionnement de la Télé-université. Après avoir évoqué le contexte de la création de la Télé-université, dans lequel « la Téluq a joué le rôle d'un virus qui a indisposé à des degrés divers l'ensemble des constituantes », ce dernier recommande notamment : (1) que l'on évite d'en faire une unité constituante autonome et concurrente, (2) qu'elle devienne un

1 Télé-université, Commission de la Télé-université, Procès-verbal de la réunion du 11

mars 1975, point 4.

2 Université du Québec, Conseil des études, Résolution C-56-474, 1er octobre 1975. 3 Télé-université, Commission de la Télé-université, Procès-verbal de la réunion du 23

octobre 1975, point 5.1.

instrument de synergie collective entre les constituantes à vocation générale, (3) qu'elle ne prenne pas en charge d'autres programmes sauf autorisation préalable et (4) qu'elle évite de dédoubler ses services administratifs sur une base permanente. Cependant, il recommande également que le financement de la Téluq soit intégré à l'intérieur de la subvention générale de l'Université du Québec1.

Trois réunions de la Commission de planification ne permettent pas de dégager un consensus sur cette question. Un nouveau texte est alors préparé par le vice-président à la planification, lequel aborde de front la « crise de la télé-université » et évoque le ralentissement des actions conjointes au sein de l'Université du Québec, indiquant du même souffle qu'il était irréaliste de voir dans la Télé-université un instrument privilégié pour y parvenir, mais que dans la mesure où la Télé-université est perçue comme un instrument d'innovation pédagogique au sein des constituantes, celles-ci constatent « qu'il en coûte annuellement $ 5,000,000 pour alimenter trois programmes dont deux concurrencent les leurs propres»2.

Malgré ce rapport, les avis quant au sort de la Télé-université demeurent très partagés, entre ceux qui prônent l'abolition pure et simple de la Télé-université et ceux qui plaident pour sa prise de contrôle par les constituantes ou sa poursuite selon une forme à définir. Mais de l'avis du vice-président à la planification, pour qui il est relativement prématuré de faire de la Télé-université un instrument collectif au service des unités constituantes, et qui favorise des ententes bipartites et tripartites plutôt que des actions inter-constituantes par le biais de la Téluq, cette dernière doit simplement devenir une « commission autonome » ou être abolie purement et simplement3.

Le rapport du vice-président à la planification ne permet pas plus d'en arriver à un consensus. Le président décide alors de soumettre son propre rapport à l'Assemblée des gouverneurs et l'invite à opter entre deux hypothèses : soit le

1 Tessier, R. Évaluation critique de l'organisation et du fonctionnement de la Télé-

université, sous l'angle de son rôle dans l'Université du Québec et de ses relations avec les unités constituantes, Université du Québec, 10 février 1976.

2 Vallerand, N. Le devenir de la Téluq : éléments de réflexion, Université du Québec,

Vice-présidence à la planification, 12 avril 1976, p. 4.

maintien de la Télé-université comme établissement autonome à vocation propre mais limitée, soit la mise à terme pure et simple de cette expérience1.

Pourquoi une telle proposition, si étonnante après la décision de 1974 ? À cette question, le président répond simplement que le réaménagement des responsabilités réciproques de la Télé-université et des constituantes concernant la gestion des programmes PERMAMA et PERMAFRA n'a pas produit les résultats souhaités et que l'on a plutôt constaté une impasse ayant pour cause la concurrence que représentait la Télé-université pour ces dernières. De plus, comme l'évaluation menée par le vice-président n'a pas permis de rallier les points de vue, malgré trois réunions de la Commission de planification, et que le nouveau texte préparé par le vice-président à la planification n'a pas plus permis de dégager un consensus, il faut maintenant trancher la question du rôle et de la place de la Télé-université.

Comment s'explique cette remise en cause de la Télé-université si peu de temps après sa création ? Plusieurs raisons en sont la cause, indique le président. Tout d'abord, il y a le fait que l'on a quelque peu forcé la main des constituantes pour confier la coordination des programmes PERMAMA et PERMAFRA à la Télé-université2. Il y a aussi les craintes qui ont commencé à poindre chez elles à

l'annonce du programme CHEM, et qui les amène à commencer à se demander quel nouveau programme sera mis en chantier. Mais surtout, l'autonomie fraîchement gagnée par la Télé-université a modifié en profondeur les relations de la Télé- université avec les constituantes et l'a fait apparaître, de plus en plus, comme leur rivale, ce qui a suscité des situations conflictuelles à répétition. Ainsi, la résolution de la Commission des études de l'UQAM prônant le retrait de cette dernière du programme PERMAFRA évoque l'ambiguïté du rôle de coordination de la Télé-université, lequel l'a amenée à présenter le programme aux instances supérieures sans respecter ni l'esprit ni la lettre du programme voté à la Commission des études del'UQAM, créant ainsi une confusion totale de la part des participants3. Toutes ces

raisons montrent que4 :

1 Després, R. Rapport du président sur la Télé-université, Annexe IX au procès-verbal

de la réunion de l'Assemblée des gouverneurs du 28 mai 1976.

2 Transcription de l'entrevue accordée par Robert Després à Nicole Marchand, op. cit. 3 Université du Québec à Montréal, Commission des études, Procès-verbal de la

réunion du 14 octobre 1975, Résolution 75-CE-1251.

Conçue comme instrument privilégié pour l'expérimentation d'une forme d'enseignement à distance, la Télé-université ne s'est pas avérée une formule heureuse pour la réalisation d'actions conjointes avec les constituantes. Par contre, les projets propres à la Télé-université et réalisés sous son entière responsabilité ont été plus efficacement et plus facilement réalisés.

Une fois encore, le débat est animé. Ainsi, le recteur de l'UQAR estime que « depuis quatre ans, l'Université du Québec cherche pour la Télé-université des objectifs spécifiques qu'on n'a pu trouver, car ces objectifs sont trop semblables à ceux des unités constituantes », tandis que le recteur de l'UQTR souligne pour sa part les « difficultés fondamentales objectives propres à la Télé-université ». Malgré ces critiques, le raisonnement du président est suivi par l'Assemblée des gouverneurs, laquelle opte par 8 voix contre 3 pour la résolution A-126-1648 « concernant l'expérience de la Télé-université », qui la maintient comme établissement autonome.

La proposition du président était-elle risquée ? Assurément, si l'on considère que trois réunions de la Commission de planification, pas plus que les consultations qui les avaient précédées, auprès des recteurs et directeurs d'établissement, n'avaient pu permettre de parvenir à un consensus sur le rôle et la place de la Télé-université, et que le nouveau texte préparé par le vice-président à la planification n'avait pas permis de dégager les implications concrètes de l'hypothèse retenue majoritairement1. Mais

ce risque était calculé, comme le confiera plus tard le président Després2 :

J'avais pris personnellement la décision... J'avais vu certaines personnes qui avaient à cœur le devenir de l'Université du Québec et de la Télé-université, dans la mesure où elle ne serait pas trop nuisible à leurs unités constituantes et où ça ne leur poserait pas trop de problèmes. Les gens de la corporation centrale s'étaient ralliés.

Il est à remarquer que l'initiative du président est cette fois marquée par le souci de la recherche d'une voie médiane entre les positions des divers acteurs, alors que son rapport de 1974 était au contraire marqué par le souci de se démarquer des

1 Després, R. Rapport du président…, op. cit., p. 3.

points de vue opposés pour rechercher une solution à plus long terme, susceptible de permettre la résolution optimale du problème de coexistence entre la Télé-université et les unités constituantes. Mais la force des tensions qui caractérisent la situation en 1976 ne lui laisse probablement pas d'autre choix que la recherche d'une solution de compromis tout à fait caractéristique d'une prise de décision « acceptable » telle que la décrit la théorie de la rationalité limitée. Son engagement envers le développement de la Télé-université, malgré ces tensions, n'en est pas moins remarquable, dans la mesure où il témoigne d'une vision de la Télé-université caractérisée par la réponse à un autre type de besoins sociaux que ceux qui avaient été envisagés par le groupe de travail en 1972, c'est-à-dire les besoins de perfectionnement professionnel1 :

Je voyais cette formation professionnelle... Je me disais aussi qu'il y aurait des gens qu'on pourrait rejoindre dans les milieux de travail. Je regardais aussi du côté de l'ÉNAP, et ça, je ne sais pas dans quelle mesure ça a démarré avec l'ÉNAP... qui se préoccupait du recyclage de bien des professionnels, que ce soit dans le domaine de la santé ou bien dans le domaine municipal, et je me disais : « Est-ce qu'il n'y a pas là des jonctions qui pourraient être faites ? »

Alors je me suis dit : « Si les constituantes n'en veulent pas, à ce moment-là, donnons une autre chance à la Télé-université ! »

Il n'en reste pas moins que la décision de l'Assemblée des gouverneurs, qui équivaut à une nouvelle réinstitution —après celle de 1974— a l'effet d'une douche froide à la Télé-université, laquelle constate que malgré le caractère innovateur de ses premiers cours et malgré les succès obtenus avec le programme PERMAMA, faute d'obtenir un consensus dans le réseau sur ce qu'elle doit être, l'Université du Québec opère plutôt à des soustractions successives de son mandat2. Que la formation socio-

culturelle lui soit maintenant très explicitement reconnue comme son domaine de compétence et d'excellence, et que cette légitimation de ses premières interventions constitue sa première base d'institutionnalisation au sein de l'Université du Québec n'a pour elle que peu de poids en regard de ces amputations. Ainsi commence à se

1 Notes de l'entrevue réalisée avec Robert Després, op. cit.

2 Marchand, N. Projet d'archives audio-visuelles pour la Télé-université - Document I :

développer en son sein la perception d'être le souffre-douleur des autres constituantes1 :

Mais ce qu'on a fait, c'est qu'on a de façon constante, et toujours pour cette pauvre Télé-université... après avoir employé le mépris, la crainte, après avoir invoqué la qualité des activités, après avoir invoqué à peu près tous les prétextes, le souvenir que j'ai, c'est qu'on levait pour elle sans cesse toujours plus haut la dragée, et on demandait au chien savant de monter toujours plus haut s'il voulait sa récompense.

Mais peut-être la Télé-université a-t-elle été précisément un peu trop rapide en besogne en se définissant comme la dixième constituante de l'Université du Québec ? Telle semble être du moins l'opinion du Conseil des universités, qui livre cette année-là ses perspectives des orientations de l'enseignement supérieur. Insistant sur le fait que la Télé-université n'est pas une constituante au sens légal du terme, mais bien une expérience menée par l'Université du Québec, il y consacre plusieurs pages de son rapport, qui sont destinées à faire écho au chapitre que l'Université du Québec y consacre dans son mémoire. Or, l'opinion que développe le Conseil est pour le moins conservatrice : en effet, à ses yeux, la Télé-université aurait pu être conçue comme un service expérimental ayant pour vocation l'innovation pédagogique, notamment en vue de diminuer les coûts d'enseignement, ce qu'elle fut d'ailleurs durant ses premières années. Mais la prise en charge de PERMAMA et de PERMAFRA, et surtout la mise sur pied d'un programme propre, ont contribué à un net élargissement de ces perspectives, qui laisse le Conseil plutôt perplexe, car2 :

la Télé-université, par son programme CHEM, augmente l'accessibilité générale à l'enseignement supérieur. Cet objectif doit cependant tenir compte de deux facteurs importants : en premier lieu, les contraintes financières d'ensemble imposées au développement de l'enseignement supérieur peuvent remettre en cause l'accroissement de l'accessibilité générale aux services d'enseignement universitaire; en second lieu, certaines institutions, dont Radio-Québec,

1 Propos de Francine Mc Kenzie, Pour l'amour d'une idée, Archives audio-visuelles,

Télé-université, op. cit.

2 Conseil des universités, Objectifs généraux de l'enseignement supérieur et grandes

priorités des établissements - Cahier IV - Perspectives 1976 des orientations de l'enseignement supérieur, Québec, 19 mars 1976, p. 228.

remplissent déjà des fonctions sociales voisines de celles proposées dans le programme CHEM. Il faut d'ailleurs reconnaître que la valeur d'animation et l'impact social de CHEM ne sont pas présentés par l'Université du Québec avec toute la précision désirable et seront de toute façon très difficiles à évaluer.

L'opinion du Conseil est donc marquée par la plus grande circonspection. S'il reconnaît en effet la valeur d'innovation pédagogique et technologique de la Télé-université, il n'est pas pour autant enclin à lui reconnaître une responsabilité première en ce domaine, du moins pas en l'état actuel de son développement. Créée en tant qu'entité expérimentale, la Télé-université doit à son avis poursuivre ses activités sur cette base, à raison de deux cours par année pour les trois années à venir. Mais surtout, cette expérience devra être évaluée en regard de l'enseignement dispensé dans les sous-centres ou selon les formules traditionnelles, ainsi qu'en ce qui concerne les coûts prospectifs de tels enseignements1 :

Si l'expérience s'avère concluante, le Conseil est bien conscient du fait qu'il aura à se prononcer formellement sur le statut de la Télé-université. D'ici là, l'Université du Québec doit être bien consciente du caractère expérimental de la Téluq, surtout dans la mesure où celle-ci ne joue pas le rôle d'un simple service; elle doit éviter de s'engager dans une voie qui rendrait très pénible une reconversion éventuelle de l'organisme.

La position du Conseil est donc on ne peut plus claire, et il est pour le moins étonnant de constater qu'au moment où la perception commune à la Télé-université voit dans l'Université du Québec le frein à ses aspirations, c'est au contraire l'Université du Québec qui plaide la cause de la Télé-université tandis que le Conseil des universités retient ses ardeurs. Cependant, une page est maintenant tournée, et la crise de 1976 laissera ses marques.

1 Conseil des universités, Objectifs généraux de l'enseignement supérieur..., op. cit.,