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Chapitre 4 L'ouverture au réseau (1981-1985)

4.3 La crise des clientèles

La rumeur commence à se répandre à la Télé-université dans les premiers jours de janvier 1983 : une nouvelle règle d'évaluation de la scolarité des enseignants aurait été adoptée par le ministère de l'Éducation, laquelle n'augurerait rien de bon pour la Télé-université. Copie obtenue d'une commission scolaire, c'est la stupéfaction : la nouvelle règle, datée du 1er janvier, prévoit que les enseignants ne pourront totaliser plus de 14 années de scolarité en suivant un programme de formation générale consécutif au diplôme de formation collégiale; cette règle s'applique en particulier aux deux certificats de la Télé-université CHEM et CHES. Commence alors la saga de la règle G 1419350.

L'alarme est donnée. Le 12 janvier, le comité du président est avisé de la situation et, six jours plus tard, le président écrit à la sous-ministre adjointe Michèle Fortin. Il s'inquiète des effets de cette règle sur l'Université du Québec, qui offre un

349 Laurin, C., Leblanc-Bantey, D., Marois, P. Un projet d'éducation permanente..., op.

cit. p. 41.

350 La chronologie de ces événements est basée sur les notes de Jean-Guy Béliveau

nombre important de programmes de ce type à quelque 22 000 étudiants, dont de nombreux maîtres, et qui n'a pas eu l'occasion de se faire entendre. Mais surtout, il insiste sur le danger qu'elle fait courir à la Télé-université, au moment où elle tente de remanier ses clientèles et d'équilibrer le nombre de maîtres et de non-maîtres. En effet351 :

Cette règle, ajoutée à la non-reconnaissance en 1981 des étudiants libres à la Télé-université, met en cause la survie même de cet établissement.

Le président propose donc trois possibilités : soit rappeler la règle, soit en suspendre l'application pour un certain temps, soit respecter les droits acquis par les étudiants déjà admis dans les programmes CHEM et CHES.

Pour sa part, le directeur général de la Télé-université rencontre le sous- ministre André Rousseau le 26 janvier, puis les sous-ministres Jacques Girard et Michèle Fortin le 28 janvier, en présence de Gilles Boulet et du secrétaire général de l'Université du Québec Jean-Pierre Fortin. Lors de cette rencontre, la sous-ministre adjointe Michèle Fortin promet son appui à la Télé-université. Effectivement, le 31 janvier suivant, elle propose une solution, jugée cependant toute bureaucratique par Jean-Guy Béliveau. Cette solution se précise le 2 février lors d'un autre contact téléphonique : la règle ne s'appliquerait qu'aux nouveaux étudiants admis après le 5 janvier, mais l'accord des autorités du ministère chargées de la négociation avec les enseignants pour le renouvellement de leur convention collective reste à obtenir.

Du coup, l'inquiétude se propage et des étudiants de Montréal transmettent au directeur général une pétition qu'ils comptent envoyer au journal Le Devoir; par personne interposée, Jean-Guy Béliveau essaie de les convaincre d'attendre encore un peu. Pour sa part, le syndicat des employés de la Télé-université précise auprès du directeur général que la CEQ n'a même pas eu le temps de réagir, puisque la règle a été annoncée le 6 décembre, juste avant la fermeture des bureaux pour le congé de Noël352. Mais il n'y a déjà plus grand chose à faire : le 11 février, un nouvel appel de

Michèle Fortin à Jean-Guy Béliveau confirme que la seule concession possible est d'exempter de l'application de la règle les étudiants inscrits à la session d'hiver. Or, 6

351 Boulet, G. Lettre adressée à Michèle Fortin, 18 janvier 1983. 352 Bilodeau G., Lettre adressée à Jean-Guy Béliveau, 9 février 1983.

000 enseignants ont encore un dossier actif : peut-on au moins leur laisser le temps de terminer leur programme dans un certain délai ? La réponse définitive viendra le 6 avril : la règle G 1419 s'appliquera tel que prévu, et seuls seront exemptés de son application les étudiants inscrits à la session d'hiver 1983; il n'est pas question d'un délai de grâce pour les autres353.

La déception de Jean-Guy Béliveau est évidemment grande, d'autant que la position finale se situe en-deçà des assurances verbales qui lui avaient été données, notamment en présence du président et du sous-ministre Jacques Girard354. Mais la

décision est maintenant prise. Le coup est très rude pour la Télé-université, dont la clientèle accuse cette année-là une baisse de 633 EETC, 23,2 % de moins qu'en 1981-1982.

Pourtant, les signes avant-coureurs de cette décision étaient connus depuis déjà quelques années, Jean-Guy Béliveau sera plus tard le premier à en convenir355.

Les motifs de suspicion du ministère étaient multiples : deux programmes —CHEM et CHES— qui étaient au fond deux recoupements d'une même banque de cours, des doutes quant à la valeur universitaire des cours de la Télé-université, probablement entretenus par les critiques des autres universités envers l'Université du Québec et cette Télé-université qui n'a même pas de corps professoral356 :

Tous les hauts fonctionnaires, les sous-ministres et le ministre plusieurs fois nous ont dit : « Bon, écoute, qu'est-ce que c'est ? » Ils avaient leur vision, puis on défendait la Télé-université. Mais ils disaient : « Qu'est-ce que c'est, cette Télé-université qui donne des cours de langue ? On peut aller suivre ça au collège Garnier... » C'étaient des jugements qui étaient en large partie faux, mais la Télé-université n'avait pas vis-à-vis de ces gens de crédibilité, puis, évidemment, ceci était entretenu par les autres universités, qui n'avaient pas attaqué que l'INRS... On faisait allusion surtout à sa programmation, puis à la qualité —il n'y avait même pas de corps professoral, il y avait juste des chargés de cours qu'on engage pour qu'ils enregistrent

353 Fortin M. Lettre adressée à Gilles Boulet, 6 avril 1983. 354 Béliveau , J.-G. Lettre adressée à Gilles Boulet, 2 mai 1983.

355 Béliveau, Jean-Guy, Document d'orientation, Télé-université, Janvier 1984, p. 3. 356 Notes de l'entrevue réalisée avec Gilles Boulet, op. cit.

quelque chose— vous voyez tout ce qu'on peut dire, pour quelqu'un qui ne veut pas comprendre.

Il n'empêche que malgré les signes avant-coureurs, la surprise a été totale et la Télé-université doit, d'urgence, trouver les moyens de remédier à cette hémorragie. Entreprise en 1981 afin de normaliser les opérations de conception et de production des cours, ainsi que les productions écrites et audio-visuelles357, la rationalisation des

activités est soudainement accélérée et l'on procède maintenant à l'analyse de l'ensemble de la situation institutionnelle. La clientèle ? De 1976 à 1982, les enseignants sont devenus la clientèle principale de la Télé-université et ils sont maintenant beaucoup moins intéressés à y suivre des cours. Une autre cible fragile est représentée par les travailleurs du secteur de la santé, principale clientèle des cours de gérontologie, mais qui dépendent eux aussi des politiques ministérielles. Il faut donc que la Télé-université réapprenne très rapidement à identifier ses clientèles cibles et à analyser leurs besoins, car elle a depuis quelques années « perdu son flair sur les mouvements de la société québécoise », et améliorer ses communications internes afin de mieux répondre aux besoins des organismes externes. Le fonctionnement administratif ? Le personnel augmente mais la productivité diminue, et la production d'un cours prend maintenant au moins un an et demi, ce qui coûte beaucoup trop cher. La conception des cours ? La planification du développement des cours est souvent irréaliste, ce qui entraîne de nombreux problèmes lors de la réalisation et une mauvaise gestion des ressources. Bref, un certain relâchement s'est produit au cours des dernières années, et il faut maintenant que la Télé-université reprenne le chemin de l'efficacité358.

Voilà pour le redressement de la barque. Mais il faut aussi changer le cap. C'est ce à quoi va s'employer le directeur général.