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Substance et fondements de la règle de la continuité de la nationalité

AUX TRAITÉS DE PROTECTION DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

A) Substance et fondements de la règle de la continuité de la nationalité

129. C’est dans le contexte du contentieux de la protection diplomatique que la règle dite de continuité de la nationalité a vu le jour. Son objectif principal consiste à empêcher un Etat à endosser la réclamation d’un individu, qui n’était pas son ressortissant au moment où ce dernier a subi un préjudice de la part d’un autre Etat, mais à qui le premier Etat a accordé sa nationalité par la suite dans le but de pouvoir agir à l’encontre de l’Etat prétendument fautif du dommage individuel et exercer ainsi sur lui une pression à des fins politiques202. Pour parer de tels risques, la jurisprudence a considéré très tôt203 que pour qu’une demande de protection diplomatique soit recevable, l’individu doit avoir possédé la nationalité de l’Etat requérant à partir du jour de la commission du fait illicite dont il prétend avoir été la victime.

130. Le contenu exact de cette règle reste toutefois assez flou. Certaines divergences peuvent, tout d’abord être signalées concernant le moment de Dies a quo, c’est-à-dire le jour à partir duquel l’individu doit disposer de la nationalité de l’Etat requérant. Il semblerait qu’il doit correspondre à la date de la commission du fait illicite attribué à l’Etat étranger204, or l’idée avait été avancée également que c’est au moment où le dommage subi par l’individu est constaté définitivement, c’est-à-dire au moment où il est devenu certain que l’Etat fautif refuse d’accorder une réparation pour son acte ou omission préjudiciable à la suite de l’épuisement des tous les recours internes intentés par la personne lésée205. Les plus grandes incertitudes subsistent toutefois autour du

Dies ad quem, c’est-à-dire le jour jusqu’auquel l’individu doit avoir gardé sa nationalité.

Le professeur WYLER avait identifié six dates susceptibles de jouer ce rôle206. La

       

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Voir à titre d’illustration, l’exemple cité par BORCHARD (E.) des cubains ayant émigré aux Etats- Unis d’Amérique où ils ont été naturalisés et dont ils ont sollicité l’assistance pour agir à l’encontre de leur ancien Etat national, Diplomatic Protection of Citizens Abroad, New York, The Banks Law Publishing Co., 1927, 988 pages, spéc. p. 663

203 Voir sur ce point WYLER (E.), La règle dite de la continuité de la nationalité dans le contentieux

international, Paris, PUF, 1990, p. 33.

204 BROWNLIE (I.), Principles of Public International Law, New York, Oxford University Press, 7ème

édition, 2008, 784 pages, spéc., p. 479. WYLER (E.), La règle dite de la continuité de la nationalité dans

le contentieux international, op.cit., p. 53.

205 JOSEPH (C.), Diplomatic Protection and Nationality : The Commonwealth of Nations, Gateshead,

Nortumberland Press, 1968, Thèse de doctorat, Université de Genève, p. 25.

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WYLER (E.), La règle dite de la continuité de la nationalité dans le contentieux international, Paris,

op.cit., p. 75. Les dates citées par l’auteur sont les suivantes : « 1) La date à laquelle le gouvernement

endosse la demande de son ressortissant ; 2) La date de la signature ou de la ratification du traité instituant l’instance appelée à statuer sur la réclamation internationale ; 3) la date d’entrée en vigueur de ce traité […] ». La deuxième date a été retenue par certaines commissions mixtes au début du XXème siècle, mais reste d’application exceptionnelle. La troisième date a été prévue comme étant le Dies ad quem par certaines conventions donnant naissance à des tribunaux internationaux, comme notamment la

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première date citée est celle du moment de l’endossement par l’Etat de la demande de son national. En vertu de l’explication qui nous a été fournie par le professeur WYLER, il ne fallait pas entendre par là la date à laquelle l’Etat informe son national qu’il prendrait fait et cause pour lui, car « à ce moment là, la requête n’est pas encore passée au plan international, à moins évidemment que l’Etat national n’entreprenne ses démarches avant d’en informer son ressortissant »207. C’est donc au moment de la présentation formelle de la réclamation par l’Etat requérant à l’Etat destinataire de la demande que l’existence de la nationalité de la personne protégée doit être appréciée208. C’est également la position adoptée par la commission du droit international dans son dernier rapport portant sur la protection diplomatique. L’article 5§1 de celui-ci prévoit que :

« Un État est en droit d’exercer la protection diplomatique à l’égard d’une personne qui avait sa nationalité de manière continue depuis la date du préjudice jusqu’à la date de la présentation officielle de la réclamation. La continuité est présumée si cette nationalité existait à ces deux dates. ». Dans ses commentaires relatifs à cette disposition, la Commission a précisé que ce terme de réclamation officielle doit correspondre soit au moment où l’Etat a manifesté clairement son intention, sur le plan international, d’exercer sa protection diplomatique, soit au moment où il porte sa réclamation devant une instance judiciaire. En l’absence donc d’une démarche officielle préalable, visant par exemple à trouver une solution à l’amiable, ce sera le moment de l’enregistrement de la requête auprès de l’instance juridictionnelle compétente qui sera considéré comme le Dies ad quem. Le moment de l’enregistrement de la requête est en outre la deuxième date envisageable proposée par le professeur WYLER, et constitue selon lui celle qui est le plus souvent retenue comme

       

Déclaration d’Alger du 19 janvier 1981 ayant crée le tribunal des réclamations irano-américain. « […]4) celle du dépôt de la requête auprès de l’organe juridictionnel ; 5) celle du jugement rendu ; 6) la date du règlement définitif de la demande ». Les raisons que nous invoquons un peu plus bas pour exprimer nos réserves pour l’admission de la 5ème date comme possible Dies ad quo sont valables pour justifier notre refus de considérer la sixième date citée comme opportune.

207 Ibid. 208

Voir dans le même sens O’CONNELL (D.P.), International Law, Londres, Stevens & Sons Ltd, 2ème édition, 1970, 2 volumes, 1278 pages, spéc., vol. II, p. 1116 ; WITTENBERG (J.-C.), « La recevabilité des réclamations devant les juridictions internationales », RCADI, vol. 41, 1932-III, p. 48.

 

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moment de référence pour l’appréciation de la continuité de la nationalité de l’individu par les tribunaux internationaux209.

131. Il a été enfin soutenu que l’action de protection diplomatique d’un Etat doit être considérée comme ne disposant plus de base légale si la personne protégée change de nationalité entre la date de la présentation de la réclamation étatique et le moment du prononcé du jugement210, voire même du moment où la réparation devient effective. Pousser aussi loin les limites de cette condition ne nous semble pas pour autant se justifier par rapport aux fondements de la règle. Comme nous l’avons indiqué, la raison principale de la consécration de cette dernière est d’empêcher un Etat de faire valoir la réclamation d’un individu qui a acquis sa nationalité par naturalisation après la date du dommage211. Le fait pour l’individu de devoir garder cette nationalité jusqu’à la date de la présentation de la réclamation peut s’expliquer par le besoin pour l’Etat requérant de disposer d’un intérêt pour agir au moment où il entame son action212. Nous ne trouvons pas nécessaire en revanche d’obliger la personne protégée de ne pas changer sa nationalité, par exemple s’il a changé le lieu de sa résidence, jusqu’à la date du prononcé de la décision finale la concernant qui en pratique peut s’avérer correspondre à un moment très éloigné de la date de la commission du fait illicite faisant l’objet de sa réclamation. Une telle extension de la règle restreindrait de manière injustifiée à notre sens la liberté individuelle de choisir d’aller s’installer ailleurs, ou de prêter allégeance à un Etat autre que son Etat national initial, d’autant plus que souvent l’acquisition d’une nouvelle nationalité est conditionnée par l’obligation pour l’individu de renoncer à son ancienne nationalité.

132. Concernant, en dernier lieu, l’exigence selon laquelle l’individu doit posséder la nationalité de la demande de manière continue entre les deux dates requises, son utilité a également été questionnée. Pour reprendre les termes d’un auteur :

       

209 WYLER (E.), La règle dite de la continuité de la nationalité dans le contentieux international, op.cit.,

p. 78 ; Voir dans le même sens DAILLER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), Droit international public, Paris, L.G.D.J, 8ème édition, 2009, spéc., p. 904

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Voir pour des exemples jurisprudentiels ayant retenu une telle solution, Minnie Stevens Eschauzier

(Grande-Bretagne c. Mexique), sentence du 24 juin 1931, RSA, Nations Unis, vol. V, p. 210 ; Affaire Stevenson (Grande-Bretagne c. Venezuela), sentence de 1903, RSA, vol. IX, p. 506. Voir dans le même

sens, JENNINGS (R.Y.), WATTS (A.) (sous la direction de), Oppenheim’s International Law, Londres, Longman, 9ème édition, 1992, p. 512 ;

211 Voir dans le même sens DUGARD (J.R.), Premier rapport sur la protection diplomatique, 7 et 20

avril 2000, Commission du droit international, Document A/CN.4/506 et Add.1, p. 261.

212

OHLY (D.Ch.), « A Functional Analysis of Claimants Eligibility », in LILLICH (R.) (sous la direction

de), State Responsibility for Injuries to Aliens », Charlottesville, University Press of Virginia, 1983, p.

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« Dans la plupart des affaires où un tribunal international a déclaré, in

expressis verbis, qu’une réclamation devait être « continuellement »

nationale, dès l’origine jusqu’à sa présentation, il avait en fait à décider de la question de savoir si une réclamation possédait ou non la nationalité de l’État requérant soit à l’une ou l’autre, soit à l’une et l’autre, des deux dates critiques […] Rares et controversées ont été les affaires où un tribunal s’est trouvé confronté avec une réclamation qui possédait la nationalité requise à chacune des deux dates critiques, mais qui, entre ces deux dates, avait perdu ou réacquis une telle nationalité »213.

S’inscrivant dans la continuité de ce raisonnement, nous approuvons la présomption établie par la Commission du droit international dans le cadre de son projet sur la protection diplomatique du caractère continu de la nationalité d’un individu s’il est établi que ce dernier possédait la nationalité de l’Etat requérant à la fois à la date de son préjudice qu’à celle de la présentation officielle de la réclamation par l’Etat agissant en sa faveur214.

133. Dans le cadre du contentieux mixte en matière d’investissements, les raisons qui justifieraient la reprise de la règle de la continuité de la nationalité seraient de nature un peu différente. Le risque d’abus ne résulterait plus du fait pour un Etat d’accorder sa nationalité à un individu dans le but de pouvoir exercer une pression diplomatique sur un autre Etat ayant adopté certaines mesures préjudiciables à l’encontre de cet individu. La situation que la règle de la continuité viserait à éviter serait, à l’inverse, celle consistant pour un individu de postuler pour l’obtention de la nationalité ou bien pour le statut de résident d’un Etat dans le but de pouvoir se prévaloir des traités de protection signés par ce dernier et profiter ainsi d’un régime international de protection de ses investissements situés dans un Etat tiers plus favorable à celui qui lui était applicable auparavant. Pour reprendre un raisonnement tenu par le juge Moore concernant le contentieux de la protection diplomatique, mais transposable aussi pour le contentieux mixte en matière d’investissements, le risque est qu’un investisseur :

« pourrait s’adresser successivement à une douzaine de gouvernements, à qui il pourrait prêter allégeance […] Dans un tel système, le gouvernement

       

213 BRIIGGS (H. W.), « La protection diplomatique des individus en droit international : la nationalité des

réclamations », Annuaire de l’Institut de droit international, Bâle, septembre 1965, vol. I, pp. 72-73.

214 Voir l’article 5§3, al. 1 du Projet d’articles sur la protection diplomatique de 2006, Annuaire de la

 

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tenu pour débiteur ne saurait jamais quand l’affaire serait réglée. Tous les gouvernements ont donc intérêt à limiter de telles prétentions »215.

Un tel risque, même s’il ne peut pas être exclu totalement, paraît dans les faits assez circonscrit. Les conditions imposées par les Etats en matière de naturalisation ou de résidence comportent systématiquement des exigences visant à s’assurer de l’installation durable de l’individu sur le territoire de l’Etat concerné et de son intégration effective à la collectivité, comme notamment celle d’un séjour prolongé sur place, la maîtrise de la langue nationale, l’exercice d’une activité professionnelle ou économique dans l’Etat en question etc. Une carte de résidence, et encore moins une nationalité, ne peuvent donc pas, en règle générale, être obtenues facilement et de manière accélérée. Or, même si un Etat, pour des raisons opportunistes, décide d’accorder un statut de résident ou même sa nationalité à certains investisseurs étrangers, dans le but par exemple d’attirer des capitaux vers son territoire, un autre moyen pour priver d’effet une telle allégeance au niveau international serait celui qui consiste à démontrer l’absence de liens de rattachement réels et effectifs entre un tel individu et son « nouvel » Etat d’allégeance216.

134. Malgré cela et afin sans doute de parer tout risque d’abus de ce type, la Convention de Washington de 1965 ayant institué le CIRDI a repris la règle de la continuité de la nationalité du demandeur tout en l’adaptant pour les besoins du contentieux arbitral mixte217.

B) La version particulière de la règle de la continuité de la nationalité prévue par

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