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L’absence d’impact de la forme d’une société sur le régime juridque régissant les modes de protection de ses biens prévu par le droit international

« NATIONALITÉ » EN DROIT INTERNATIONAL

B. L’absence d’impact de la forme d’une société sur le régime juridque régissant les modes de protection de ses biens prévu par le droit international

297. Dans l’affaire de principe en matière de protection des sociétés en droit international, celle de la Barcelona Traction, la Cour internationale de Justice a insisté sur certaines des caractéristiques essentielles de la société anonyme, comme « la cohésion de [s]a personnalité juridique »412 et « le caractère limité de [la] responsabilité »413 de ses actionnaires afin de justifier sa solution selon laquelle ce type de société était un sujet de droit distinct des personnes qui la composent. Lorsqu’une telle société avait subi un préjudice qui lui était propre, l’Etat national de ses actionnaires ne pouvait par conséquent avoir aucun titre pour agir pour la réparation de celui-ci. La Cour a ensuite opposé au régime juridique applicable aux sociétés anonymes celui régissant les « sociétés dépourvues d’une personnalité morale indépendante »414, et semble avoir considéré que les Etats ne pouvaient agir sur le plan international qu’en faveur de groupements économiques qui disposaient d’« une existence indépendante », et au sein desquels « les intérêts des actionnaires peuvent être distingués de ceux de la société »415. 298. Dans l’affaire plus récente Diallo, jugée toujours par la Cour internationale de Justice

en 2007 (pour ce qui est l’arrêt sur les questions préliminaires) et en 2010 (pour ce qui est l’arrêt sur le fond), les deux sociétés dont la situation était au cœur du litige n’étaient pas des sociétés anonymes, mais des sociétés privées à responsabilité limitée, c’est-à- dire des sociétés de personnes « qui ne font pas publiquement appel à l’épargne et dont les parts obligatoirement uniformes et nominatives ne sont pas librement transmissibles »416

. Ces sociétés avaient été créées conformément au droit de l’Etat défendeur de l’espèce - la République démocratique du Congo. Sur la base du caractère

intuitu personae prononcé de ces entités, la Guinée a prétendu pouvoir exercer sa

protection diplomatique en faveur de celles-ci, au motif que leur unique gérant et associé ultime était M. Diallo, un ressortissant guinéen.

       

412

CIJ, Affaire de la Barcelona Traction, arrêt du 5 février 1970, op.cit., § 40, p. 34.

413 Ibid., § 42, p. 35. 414 Ibid., § 40, p. 34. 415

Ibid., § 46, p. 36.

416 CIJ, Affaire Ahmadou Sadio Diallo (Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt portant sur

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299. Toutefois, en reprenant l’une des affirmations des juges ayant statué dans l’affaire de la

Barcelona Traction, la Cour dans l’affaire Diallo a considéré que :

« “il est … inutile d’examiner les multiples formes que prennent les différentes entités juridiques dans le droit interne” (C.I.J. Recueil 1970, p. 34, par. 40). Ce qui importe, du point de vue du droit international, c’est de déterminer si celles-ci sont ou non dotées d’une personnalité juridique indépendante de leurs membres. L’attribution à la société d’une personnalité morale indépendante entraîne la reconnaissance à son profit de droits sur son patrimoine propre qu’elle est seule à même de protéger. En conséquence, seul l’Etat national peut exercer la protection diplomatique de la société lorsque ses droits sont atteints du fait d’un acte illicite d’un autre Etat. Afin de déterminer si une société possède une personnalité juridique indépendante et distincte, le droit international renvoie aux règles du droit interne en la matière » 417

.

300. Peu importe donc la forme que prend la société en droit interne. Qu’il s’agisse d’une société anonyme ou bien d’une société de personnes à responsabilité limitée418, un groupement sera considéré comme ayant une personnalité juridique distincte par rapport à ses associés en droit international s’il dispose d’une personnalité qui lui est conférée par un ordre juridique étatique. Pour reprendre une expression employée par les professeurs COMBACAU et SUR dans leur traité de Droit international public, toutes les sociétés ayant une personnalité juridique en vertu du droit interne de leur constitution bénéficient également d’une « personnalité internationale » qui peut être définie comme, « une qualité passive, qui leur permet de recevoir les droits et obligations résultant d’une activité interétatique à laquelle ils n’ont pas pris part » 419. 301. Une autre question qui pourrait tout de même se poser est celle de savoir si en cas de

présence d’une société à risque illimité, c’est-à-dire une société dans laquelle la responsabilité financière des associés pourrait être engagée au-delà de leurs propres

       

417 Ibid., § 61.

418 Voir pour une affaire arbitrale qui refuse également d’accorder la possibilité à l’Etat national des

actionnaires (l’Allemagne) d’une société de personnes à responsabilité limitée créée conformément à la législation de Venezuela, d’exercer une protection diplomatique en faveur de ses ressortissants pour les pertes subies par la société, Brewer, Moller & Co. (Second Case), sentence rendue en 1903, in RSA, vol. X, pp. 433-435, spéc. p. 435 : « Certainly under the protocol this Commission can not take jurisdiction of

a claim which is not owned by a German subject, and if, as has been stated, Pinedo, Garcia & Co. Were the owners in law of the property, and their German associates have only a right to an accounting for their contribution and profits, they are not legal owners of the debt or of any interest therein ».

419 COMBACAU (J.), SUR (S.), Droit international public, Paris, Montchrestien, 10ème édition, 2012, p.

320. En opposition justement à la « capacité internationale » ou encore à la « capacité d’exercice » qui permet « si elle est reconnue à ces nouveaux sujets…de participer eux-mêmes à l’activité juridique internationale », ibid.

 

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apports pour l’ensemble des dettes contractées par l’entreprise, ces associés ne devraient pas, en contrepartie à leur responsabilité accrue, pouvoir agir à l’encontre des tiers de leur société (un Etat étranger par exemple) qui seraient redevables vis-à-vis de celle-ci. 302. Il semble en effet découler des termes employés par la CIJ dans l’affaire Diallo précitée

que les juges ont pris en compte le caractère limité de la responsabilité de M. Diallo dans le cadre des sociétés congolaises qu’il a créées pour considérer que ce dernier ne disposait pas des droits qui lui étaient propres sur les biens appartenant à ces sociétés :

« La Cour fait observer que le droit international a maintes fois reconnu le principe de droit interne selon lequel une société possède une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. Cela demeure vrai s’agissant d’une SPRL qui serait devenue unipersonnelle dans le cas d’espèce. Dès lors, les droits et les biens de la société doivent être distingués de ceux de l’associé. A cet égard, l’idée avancée par la Guinée, selon laquelle le patrimoine de la société se confond avec celui de l’actionnaire, ne saurait se défendre en droit. En outre, il convient de noter que les responsabilités de la société ne sont pas celles de l’actionnaire. Dans le cas de la SPRL Africontainers-Zaïre, il est expressément indiqué dans ses statuts que « [c]haque associé n’est responsable des engagements de la société que jusqu’à concurrence du montant de sa participation » (article 7; voir aussi paragraphes 105 et 115 ci-dessus) » 420

.

Nous n’avons cependant trouvé aucun exemple jurisprudentiel tranchant clairement ce point juridique particulier.

303. A l’inverse, lorsqu’un groupement économique ne possède pas une personnalité juridique de droit interne, il se voit refuser la possibilité d’agir en tant qu’entité unifiée et autonome au niveau international. Cela se vérifie de manière quasi-constante dans la jurisprudence arbitrale concernant les partnerships ne disposant pas d’une personnalité juridique qui leur est propre. A titre d’exemple, dans l’affaire Mihaly International

Corporation c. Sri Lanka jugée par un tribunal arbitral constitué sous les auspices du

CIRDI en 2002, les arbitres ont considéré que :

       

420

CIJ, Affaire Ahmadou Sadio Diallo (Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt portant sur le fond du 30 novembre 2010, Rec., 2010, p. 689, § 155. Voir dans le même sens, l’arrêt portant sur les exceptions préliminaires du 24 mai 2007, Rec., 2007, § 63: « Le droit congolais attribue à la S.P.R.L. [société privée à responsabilité limitée] une personnalité juridique indépendante et distincte de celle des associés, notamment en ce que le patrimoine des associés est complètement séparé de celui de la société, et que ceux-ci ne sont responsables des dettes de la société qu’à hauteur de leur apport à celle-ci. Il en découle que les créances et les dettes de la société à l’égard des tiers relèvent respectivement des droits et des obligations de celle-ci. Ainsi que l’a souligné la Cour dans l’affaire de la Barcelona Traction : « Tant que la société subsiste, l’actionnaire n’a aucun droit à l’actif social » (Recueil 1970, p. 34, par. 41.) Ceci demeure la règle fondamentale en la matière, qu’il s’agisse d’une S.P.R.L. ou d’une société anonyme ».

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« the suggested partnership between Mihaly (USA) and Mihaly (Canada)

which did not have a separate juridical personality of its own distinct from its members, neither acquired dual or joint nationality, nor was any of the partners divested of its original US or Canadian nationality. The existence of an international partnership, wherever and however formed, could neither add to, nor subtract from, the capacity of the Claimant, Mihaly (USA), to file a claim against the Respondent for whatever rights or interests it may be able to substantiate on the merits in connection with the proposed power project in Sri Lanka, upon fulfillment of the other requirements of ICSID jurisdiction. The fact remains undisputed that the designated Claimant in the case at bar is unmistakably Mihaly (USA) eo nomine and not the Mihaly International or Binational Partnership (USA and Canada) » 421

.

Le même tribunal a rajouté un peu plus loin dans sa solution :

« This proposition is confirmed by ICSID long-standing practice as is amply

demonstrated by the decision in Klöckner v. Cameroon (ICSID Case No. ARB/81/2), where all the three Klöckner Corporations (Germany: Klöckner Industrie-Anlagen GmbH; Belgium: Klöckner Belge S.A.; and Netherlands: Klöckner Handelsmaatschappij B.V.) were named as co-claimants » 422

. 304. Les arbitres ont tout de même assorti ce principe d’une exception selon laquelle rien

n’empêchait un Etat partie à la Convention CIRDI de conclure un contrat avec un consortium international ne disposant pas d’une personnalité juridique en vertu du droit interne d’un autre Etat qui prévoirait que le premier Etat considère son cocontractant comme une personne morale distincte par rapport aux membres qui le composent423

. 305. Dans le même sens, le tribunal des différends irano-américain a toujours refusé de

connaître des réclamations portées par des partnerships en leur propre nom424. La

       

421 CIRDI, Mihaly International Corporation c. Sri Lanka, sentence arbitrale du 15 mars 2002, Aff. n°

ARB/00/2, § 22, p. 148.

422 Ibid., § 25, p. 149. Cette solution s’inscrit en outre dans la continuité d’une jurisprudence arbitrale

beaucoup plus ancienne. Voir notamment, dans le même sens, Affaire Ruden & Co, sentence rendue le 26 février 1870, in LAPRADELLE (A. de) et POLITIS (N.), Recueil des arbitrages internationaux, Tome deuxième, 1856-1872, Paris, Pedone, pp. 589-593 ; Shufeldt (Guatemala c. Etats-Unis d’Amérique), sentence rendue le 24 juillet 1930, in RSA, vol. II, p. 1097 ; Affaire Adolph Deutz and Charles Deutz (A

Co-partnership) (Etats-Unis c. Mexique), sentence rendue le 17 avril 1927, in RSA, vol.IV, p. 472.

Pourtant, le compromis conclu entre les Etats-Unis et le Mexique applicable dans cette affaire permettait la protection des partnerships. Le fait alors que ce soient les membres de celui-ci qui faisaient l’objet de la protection de la part des Etats-Unis s’explique peut-être par le fait que le partnership auquel ils prenaient par ne pouvait pas être considéré ayant la nationalité américaine.

423423 CIRDI, Mihaly International Corporation c. Sri Lanka, op.cit., § 25. Sur cette question voir aussi

infra, § 2.

424 Voir entre autres, Chas T. Main International c. Khuzestan Water and Power Authority, sentence

 

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condition selon laquelle les sociétés américaines ou iraniennes souhaitant porter plainte respectivement à l’encontre de l’Iran ou des Etats-Unis devaient disposer d’une

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