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63. Afin de pouvoir distinguer clairement les différentes hypothèses dans lesquelles une personne privée pourra se prévaloir des droits prévus par un traité de protection des investissements étrangers, nous construirons notre démonstration en tenant compte de la manière dont les clauses pertinentes de ces traités sont présentées. Toutes ces conventions annoncent dans un premier temps qu’elles visent à protéger aussi bien les individus ayant la nationalité de l’un des Etats contractants que les « sociétés » d’un tel Etat qui ont réalisé, ou dans certains cas ont voulu et tenté de réaliser, un investissement sur le territoire d’un autre Etat contractant. A l’instar du droit international général, ces instruments admettent donc que lorsque c’est une société qui est titulaire d’un investissement, c’est sa propre personnalité juridique et par conséquent sa « nationalité », et non pas celles des personnes qui la composent ou qui détiennent son capital, qui conditionnent sa capacité pour agir en protection d’un tel investissement. La société, de la même manière lorsque c’est un individu qui est titulaire de l’investissement faisant l’objet d’un litige, sera alors perçue et protégée dans sa singularité par le droit international.

64. L’un des objectifs principaux poursuivis par les Etats industrialisés dans le cadre de leurs discussions et négociations pour la conclusion des traités de protection des investissements avec les pays en développement était toutefois celui de garantir une protection aussi complète que possible pour l’ensemble des droits et intérêts financiers de leurs ressortissants situés à l’étranger. Or, fonder cette protection sur le seul lien de propriété direct entre une société et un bien, tel que défini par les règles de droit international général, n’était pas toujours suffisant pour atteindre cet objectif. Beaucoup d’investissements à l’étranger étaient en effet financés, en totalité ou en partie, par les ressortissants d’un Etat ayant le statut d’actionnaires ou associés d’une société créée en vertu de la législation d’un autre Etat qui possédait formellement l’investissement réalisé. Les intérêts économiques des détenteurs des parts sociales d’une telle société risquaient alors de rester hors de portée de la protection d’une convention conclue par

 

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l’Etat de nationalité de ces derniers et l’Etat hôte de l’opération finale. Pour éviter cela, beaucoup d’accords ont conféré la capacité pour agir en protection d’un investissement réalisé sur le territoire d’un Etat contractant, non pas seulement aux profit des propriétaires directs de celui-ci ayant la nationalité d’un autre Etat contractant, mais également au profit de tout ressortissant qui contrôlait indirectement un tel investissement via une société intermédiaire. Cette extension conventionnelle de la notion du titulaire d’un investissement a été en grande partie à l’origine du phénomène d’instrumentalisation des traités de protection évoqué plus haut. Le capital d’une filiale constituée dans un Etat B, via laquelle un investissement a été réalisé dans l’Etat A, peut en effet être détenu par une autre société créée dans un Etat C, qui peut être contrôlée à son tour directement ou indirectement par d’autres personnes morales rattachées respectivement à la juridiction des Etats D, E, F etc. Or, comme le plus souvent la nationalité de ces différentes entités sera déterminée sur la base du lieu de leur constitution, si les Etats B, C, D, E et F ont tous conclu des traités bilatéraux de protection des investissements avec l’Etat A, toutes ces entités pourraient potentiellement porter une réclamation contre l’Etat A au sujet du même investissement120. La société via laquelle ce dernier a été réalisé se présente alors non plus comme un investisseur unique et singulier, mais comme représentant les intérêts d’une pluralité d’investisseurs.

65. Si nous nous plaçons du seul point de vue du titulaire d’une requête arbitrale, que ce soit un individu ou une société, celui-ci sera considéré dans sa singularité pour le besoin de sa protection par le droit international (Partie I). Lorsqu’en revanche, avec un peu plus de recul, on tient compte du fait qu’une société requérante agissant en protection d’un investissement fait en effet partie d’un groupe d’entreprises multinational, au sein duquel d’autres composantes de celui-ci disposent également de la capacité pour agir en protection de ce même investissement, on ne peut que constater que le droit international se retrouve à la fois dépassé et piégé par la fiction de la personnalité juridique distincte qu’il reconnaît à chaque société créée conformément à un droit étatique. A l’épreuve d’une telle pluralité d’investisseurs potentiels (Partie II), il faut

       

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Sur la question de la multiplication des actions contentieuses coordonnées au service des mêmes intérêts, voir GAILLARD (E.), « L’avenir des traités de protection des investissements », in Ch. LEBEN (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, pp. 1027-1047 ; BEN HAMIDA (W.), « L’arbitrage Etat-investisseur face à un désordre procédural : la concurrence des procédures et les conflits de juridiction », AFDI, vol. 51, 2005, pp. 564-602 ; voir ici

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s’interroger sur une évolution du droit consistant, pour s’adapter aux nouvelles réalités économiques, à ne reconnaître la capacité pour agir sur le plan international qu’aux seules sociétés réellement rattachées à l’économie de l’Etat de leur constitution.

Première Partie :

L’investisseur protégé dans sa singularité par le droit international

Deuxième Partie :

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PARTIE I

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L’INVESTISSEUR PROTÉGÉ DANS SA

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