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Bertaux semble nous rappeler que la façon de raconter un parcours n’inhibe pas un certain nombre d’événements et d’actes structurants ayant laissé des emprunts sur le parcours. Ces événements et actes structurants forment le noyau central stable. Pour l’auteur : « Ce qui est réellement arrivé constitue le noyau commun de toutes les formes de mise en intrigue de cette histoire. Or, ce noyau commun possède une structure, et

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cette structure est diachronique » (Bertaux, 2010, p. 77-78). La véracité conférée au récit de vie repose principalement sur la mise en contribution d’événements et d’actes marquants ainsi que sur leur ordre de déroulement qui a été, approximativement, retenu par le sujet. Certes, cette mémorisation est, à première vue, moins satisfaisante ou fiable, mais un travail continu et répété sur le récit de vie aide à reconstituer la structure diachronique apparemment déstructurée ou désordonnée. L’exhumation de cette structure diachronique garantit au moins une objectivité discursive. Il semble aussi normal que quelques problèmes de remémoration alimentent quelques distorsions qui se présentent à nous sous la forme d’incohérences. Quant à cette réalité, il est souhaitable de présupposer une bonne correspondance, dans l’esprit de l’auteur, que de soutenir l’idée selon laquelle le récit de vie déforme la véritable structure diachronique du parcours.

3.5.1 Structure diachronique et causalité séquentielle

Bertaux (2010, p. 78) part de l’idée que « ce qui est arrivé avant ne peut avoir été causé en aucune façon par ce qui est arrivé après ». Cette position de l’auteur attire davantage notre attention sur l’impérieuse nécessité de reconstituer l’ordre d’enchaînement d’événements ou d’actions, dans le but de parvenir à une meilleure compréhension de la causalité séquentielle. Le rôle de la reconstitution patiente de la structure diachronique est capital dans l’élucidation souhaitée d’enchaînements de causalité. Les enchaînements de causalité sont aussi indispensables dans la compréhension des mécanismes sociaux générateurs d’actions.

3.5.2 Structure diachronique du parcours et récit de vie

La spontanéité du récit de vie limite vraisemblablement la structuration linéaire et la cohérence interne. L’auteur nous conseille de faire usage de nos propres techniques graphiques pour représenter la structure diachronique d’un parcours. De même, il nous propose les récits croisés pour vérifier la cohérence diachronique d’un récit. Le choix de plusieurs acteurs aux statuts variés participait, dans notre étude, à une quête de

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cohérence diachronique générale des récits. L’idée de complémentarité des témoignages doit primer comme celle ayant trait aux backgrounds constructions, c’est-à-dire à la description du contexte ou de l’arrière-plan de tout récit. La réflexion sur la description du contexte et son rôle dans la compréhension du phénomène universel nous propulse, dans l’esprit de l’auteur, dans le problème de causalité historique qui n’est ni résolu ni ignoré, mais susceptible d’être éclairé partiellement.

3.5.3 Diachronie, chronologie, histoire et changement social

Bertaux soutient que l’effort de reconstruction diachronique est à privilégier, au détriment des rappels chronologiques exigeants. Cette réserve ne remet pas en cause l’intérêt d’une prise en compte du temps historique collectif et du temps biographique. Pour l’auteur, le temps historique est aussi le temps du changement social permanent. Cela justifie parfaitement cette idée : « Travailler à la reconstruction des structures diachroniques de parcours biographiques et à leur inscription dans le temps historique, c’est prendre progressivement conscience de l’impact sur eux des événements historiques et des processus de changement social » (Bertaux, 2010, p. 82).

L’auteur souligne que la connaissance des grandes lignes de l’histoire collective est importante. Il reste, cependant, à analyser de nombreuses médiations entre les grands processus de changement et les parcours individuels. Autant l’auteur conditionne la compréhension du récit de vie à la réinsertion dans l’histoire collective, autant il semble que cet auteur rattache la compréhension des phénomènes du changement social aux transformations des modèles culturels, voire aux façons d’agir.

3.5.4 Reconstitution de l’évolution de la composition des groupes de

cohabitation

Bertaux (2010) part de l’idée que chaque individu mène plusieurs vies partielles et que chacune a ses lieux, sa temporalité et, mieux, ses logiques de développement. Dans le cadre des parcours biographiques, les références à l’histoire ou aux composantes de la vie,

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voire leurs interférences, sont régulières. Mais, une attention particulière est portée aux lieux où ils s’entrecroisent afin de suivre les articulations ou les oppositions des logiques, à première vue, indépendantes.

3.5.5 Recherche d’indices

L’analyse, au cas par cas, d’entretiens biographiques dans une enquête sociologique, ne vise pas à comprendre les logiques des personnes interviewées. Par contre, elle vise à retrouver dans leurs récits les traces de mécanismes et de processus sociaux. Certes, les traces peuvent être discrètes, mais une lecture continue et répétée devrait nous y conduire. Car, chaque lecture est révélatrice de nouveaux contenus sémantiques. Pour Bertaux (2010), les significations d’un texte sont à la lisière des horizons de l’auteur et de l’analyste. La connaissance préalable du terrain de recherche est un atout dans l’identification des traces de processus sociaux. Pour Bertaux, cela signifie que la bonne analyse est garantie par notre niveau de connaissance, notre imagination et notre rigueur.

Pour Bertaux (2010, p. 88), « tout récit de vie orienté vers les contextes sociaux des pratiques comporte nécessairement nombre d’indications intéressant le sociologue. Mais, on ne peut s’attendre à ce que des phénomènes sociaux soient décrits comme tels par le sujet ».

Nous savons certes que la spontanéité du narrateur et les limites de la mémoire ne nous renseignent que partiellement. Mais, la relecture nous aide à identifier les quelques mécanismes sociaux ayant laissé des emprunts dans l’une des expériences de vie de la personne interviewée. Ces marques sur l’expérience de vie sont considérées comme des indices dont nous avons tenté de rechercher les significations sociologiques, c’est-à-dire la recherche de leurs référents sociohistoriques. L’auteur rappelle que les indices peuvent être brillants, voire cachés et apparemment banaux. Mais, il nous conseille de porter une attention aux indices de fonctionnement73 qui sont différents de ce que nous connaissons.

73 Pour Bertaux (2010, p. 88), ces indices de fonctionnement seraient rattachés aux personnes, aux relations

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En guise de conclusion, l’auteur réitère le fait que chaque indice est considéré comme un drapeau indiquant une richesse dissimulée.

Bertaux ne semble pas, in fine, trop dans la prescription des techniques d’analyse standardisée, ce qui peut permettre de justifier effectivement le croisement continu entre son approche et la grille d’analyse de Muller. Il soutient que l’imagination sociologique et la créativité prennent le pas dans la compréhension du social-historique. Pour lui,

seul cet esprit pourra, à partir de lectures répétées d’un même récit et de repérage, indices en son sein, engendrer des idées (hypothèses en gestation), les laisser mûrir puis y revenir, les examiner et les affiner, les retenir quand il passera à la lecture d’un autre récit, comparer, garder seulement les meilleures idées, et les assembler en modèle de l’objet social étudié (Bertaux, 2010, p. 93).

Cette partie sur les instruments et les stratégies d’analyse nous a permis d’aborder,

- l’analyse concomitante et au cas par cas, tout en faisant des rappels sur les différents paliers d’un phénomène, la retranscription des corpus, la structure diachronique de l’histoire reconstituée;

- les retours sur la réalité à multiples ordres, la structure diachronique des événements biographiques, la structure diachronique et la causalité séquentielle, la structure diachronique du parcours et le récit de vie, le rapport diachronie, la chronologie, l’histoire et le changement social;

- le point sur la reconstruction de l’évolution de la composition des groupes de cohabitation.

Ce rappel peut sembler long, mais il reste important pour canaliser notre analyse. Que devons-nous dire maintenant au sujet des étapes de l’analyse comparative des corpus transcrits?