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1.4 État de la question

2.1.4 Concept de changement

Tout en ayant à l’esprit l’idée que toute politique publique est, avant tout, une théorie du changement social, nous pensons qu’il soit opportun de revenir sur quelques théorisations du concept de changement par le truchement des conceptions de Muller (2005), de Chevallier (2005) et de Lascoumes (1996).

Retenons avec Muller (2005) ceci :

Aujourd’hui, la plupart des auteurs admettent que le changement est le résultat de l’interaction entre des acteurs qui disposent de marges de manœuvre et des mécanismes plus généraux qui constituent un cadre s’imposant à eux avec plus ou moins de rigueur (p. 164).

Pour mieux cerner cette citation de Muller, il importe de s’inscrire dans le canevas du référentiel qui extériorise la tension des intérêts dérivant des contraintes de la structure

34 Muller (2005) revient sur cette citation « Toute politique publique [écrivent ainsi Yves Mény et Jean-

Claude Thoenig] recouvre une théorie du changement social » in Yves Mény, Jean-Claude Thoenig, Politiques publiques, Paris, PUF, 1980, p.140.

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par le biais, d’une part, des cadres cognitifs et normatifs influençant et limitant l’action et la marge d’action des acteurs et, d’autre part, de la production cognitive et normative des acteurs sur la structure. Cette vision rend aussi compte de l’action publique exclusivement en termes de confrontation des intérêts et a essentiellement pour fondement les idées, les discours ou les récits.

Pour Muller, somme toute, la compréhension de l’implication des différents acteurs qui confrontent leurs intérêts spécifiques, dans les phases de formulation et de mise en œuvre des politiques, passe par le fait « qu’il faut resituer ces jeux d’acteurs dans un processus plus vaste (et plus complexe) par lequel ils vont participer à la construction de cadres cognitifs et normatifs constituant un niveau pertinent pour comprendre l’action publique » (Muller, 2005, p.155). Après cette première approche du changement, que pouvons-nous dire sur le même concept vu par Chevallier?

Par le canal de l’examen des rapports entre les « politiques publiques et le changement social », Chevallier (2005) a ouvert un horizon considérable dans l’entendement de la notion de changement social. Le point fait à propos du caractère extensible du changement social l’a conduit à l’appréhender de façon large ou étroite.

Ainsi, le changement, vu sous sa large extension, impliquerait une transformation lente, voire subtile et diffuse, des équilibres sociaux. Par contre, vu sous l’extension étroite, le changement serait assimilable à l’idée de « mutation profonde » avec des effets perceptibles et illustrant la rupture. Mieux que dans l’optique d’une dynamique permanente d’évolution, la rupture révolutionnaire ou l’extension étroite soulèverait l’épineux problème des indicateurs du changement. En d’autres termes, la question récurrente est de savoir comment s’opère le changement ou la question de la prédictibilité de changement.

Allant dans le sens d’une illustration poussée, l’auteur insiste sur la notion d’innovation sociale pour y arriver. C’est dans ce cadre que Chevallier (2005, p. 383) déclare que l’innovation sociale renverrait au « développement de pratiques sociales nouvelles qui, se

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situant en marge des représentations et des comportements dominants, introduisent des ferments d’évolution des sociétés ».

Comme pour le changement, l’innovation soulève, quant à elle, aussi bien la question du critère d’évaluation que du degré et de l’impact de la politique publique. Pour l’auteur, le changement social résulte toujours de l’intrusion d’un élément innovant dans l’état préexistant d’un corps social. De même, l’extension des pratiques innovantes prédispose inéluctablement au changement social.

Au-delà de ces ambigüités, la prise en compte du paramètre politique sociale amplifie davantage la difficulté d’appréciation de l’effet de l’action politique sur les mécanismes de changement et d’innovation.

S’efforçant de répondre à la question « les politiques publiques seraient-elles un vecteur du changement? », Chevallier indique que deux schémas tentent d’y répondre : l’un voit les politiques publiques comme un moteur déterminant du changement social; alors que l’autre l’assimile à un catalyseur ou un accompagnateur du changement social.

Malgré cette double lecture, l’auteur admet que les politiques de réforme administrative siéent davantage au changement. Chevallier (2005, p. 386)rappelle que « […] si ces politiques se présentent comme des politiques institutionnelles, visant à agir sur l’organisation administrative, elles ont inévitablement des effets induits sur les équilibres sociaux et sont bel et bien génératrices de changement social ».

Abordant la question « les politiques publiques seraient-elles alors un apprentissage du changement? », l’auteur admet l’idée selon laquelle les politiques publiques émergeraient d’une situation problématique, c'est-à-dire d’un constat de carence, d’une insatisfaction ou d’un dysfonctionnement à combler ou à redresser. C’est d’ailleurs ce qui lui fait dire que « toute politique est dès lors potentiellement porteuse de changement, dans la mesure où elle vise à corriger un dysfonctionnement social, à atteindre un meilleur équilibre social » (Chevallier, 2005, p. 387). Restant dans cette logique, les politiques publiques impliqueraient une conception du changement, c'est-à-dire une représentation

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du problème, qui lui donnerait corps et vie, tout en rendant politiquement traitable le problème construit.

Au-delà de la conception du changement, toute politique publique ferait la promotion du changement, au point où Chevallier reconnaîtrait l’impérieuse nécessité d’allier l’application effective et l’expérimentation souhaitée pour une promotion. Mieux, comme il le rappelle si bien, « l’expérimentation est conçue comme un levier de promotion et d’apprentissage du changement social » (Chevallier, 2005, p. 390).

L’auteur appréhende le changement de manière large ou étroite et retient que le problème des indicateurs de changement se pose avec acuité, aussi bien pour le changement que pour l’innovation. À cet effet, il fait habilement le lien entre l’innovation et le changement. Pour Chevallier, les politiques publiques seraient, en fonction des circonstances, un moteur déterminant du changement ou un accompagnateur de celui-ci. Il retient avec fermeté que les politiques de réforme administrative incarneraient davantage le changement, comme l’application effective et l’expérimentation de la politique publique feraient sa promotion.

Enfin, la spécificité de Lascoumes (1996), au sujet du concept de changement, semble ne pas se limiter au point qu’il accorde à l’existence des réseaux d’interactions spécifiques et au rôle des intermédiaires (textes, instruments techniques, humains et compétences, monnaie dans un contexte hétérogène) qui, par ailleurs, mettent en relation les acteurs et la production des significations communes.

Il postule que le transcodage35 permet, entre autres, la construction des problèmes et la

structuration de l’intervention, le regroupement et la transférabilité des activités et des informations dans un code différent. Pour lui, transcoder serait rendre gouvernable, ajuster, coder différentes représentations et intérêts en présence, une sorte de

35« La signification que nous donnons à la notion de “transcodage” s’inspire de celle de “traduction” utilisée

par Michel Callon, dans la mesure où ce processus concerne une activité de production de sens par mise en relation d’acteurs autonomes et transaction entre des perspectives hétérogènes » Lascoumes (1996, p.335- 336).

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mobilisation alliant négociation et compromis. Le changement se ferait dans une sorte de continuité et sous l’influence de l’état antérieur.

Même si le problème de prévisibilité du changement36 semble être la constance dans

toutes les approches y relatives, la distinction entre le changement social, de façon globale, et le changement organisationnel permet de retenir quelques ébauches descriptives ou opérationnelles du changement.

Au regard de la non-prévisibilité du changement et de notre préoccupation de recherche, ce concept sera régulièrement énoncé, mais sans pour autant que nous lui consacrions la place centrale avant la critique des résultats. En vue de boucler notre effort de définition des concepts, avec la mise en lumière du concept d’acteur, que pouvons-nous dire au sujet de la gouvernance?