• Aucun résultat trouvé

1.2 Éléments du cadre organique de la recherche au Gabon

1.3.2 Des effets inhérents à l’instabilité institutionnelle et gouvernementale

La lecture du rapport de Fontvieille (1979) démontre que le rapport était un signe avant- coureur ou un signe annonciateur des situations qui suivront. Le rapport était établi à l’intention du gouvernement gabonais par l’UNESCO. Certes, le rapport visait à faire l’état des services existants au Gabon en matière d’archives, de bibliothèques et de centres de documentation. Cependant, le regard attentif posé sur les différents centres de documentation du CENAREST, structures après structures, nous plonge déjà dans cette nébuleuse situation qui nous interpelle toujours. Ce qui justifie, allusion faite au projet de construction d’une bibliothèque au CENAREST, ce constat sévère : « Malheureusement, il

19

est stoppé en raison de l’austérité qui est maintenant la règle dans les milieux du gouvernement gabonais » (Rapport Fontvieille, 1979, p.17).

Il faut constater, en plus, que l’éclatement des structures du CENAREST à travers la ville, voire à travers le pays, impliquerait, au-delà de la construction d’une bibliothèque commune, la construction de bibliothèques spécialisées par institut et par station de recherche. Lorsque l’on sait la place qu’occupent les bibliothèques dans la recherche, comment espérer faire de la recherche scientifique et technologique un levier du développement économique, social et culturel si les conditions fondamentales ou sine qua non étaient gérées avec peu d’attention?

Par la lettre n° 130/86/DGU/LB du 8 août 1986, Son Excellence Laurent Biffot, ambassadeur délégué permanent du Gabon à l’UNESCO, a sollicité l’envoi d’un consultant avec un mandat précis. Peut-on dire, sur la base de cette unique requête, que les autorités gabonaises présageaient déjà cette sorte de léthargie ambiante du secteur de la recherche scientifique au point de recourir à l’expertise de l’UNESCO? Comment comprendre, si tel n’en était pas le cas, la nécessité de produire un rapport sur la situation et les structures de recherche actuelles et, surtout, la pertinence des recommandations? Qu’on le veuille ou non, le rapport dressé par Hemptinne de l’UNESCO (1987) avait attiré l’attention des autorités gabonaises sur l’orientation à prendre et sur les enjeux à venir. Il en est de même du cahier d’accompagnement intégrant, entre autres, les projets du statut du Fonds national de la recherche scientifique et technologique de la République gabonaise et du décret portant attributions et organisation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Cette sorte de feuille de route qui n’avait pas omis les mécanismes de planification, de financement, de contrôle et d’évaluation répondait déjà aux heurts et aux dysfonctionnements soulevés ci-dessus. Cela a été le cas de quelques recommandations urgentes telles que

 la création du Conseil interministériel de la politique scientifique et technologique (CIPST);

 le dédoublement du CENAREST et la transformation de ce dernier en Fonds national de la recherche scientifique et technologique (FONAREST);

20  le point sur l’efficacité de gestion des instituts et des centres de recherche du Gabon. Ce travail d’audit a bénéficié du soutien des acteurs institutionnels dont Son Excellence, monsieur Moapa Walla, secrétaire d’État à la Recherche scientifique auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de monsieur J. B Moussavou, directeur de la recherche et de la coopération scientifique. Comment imaginer et comprendre, à la lecture de ce qui précède, qu’il n’ait pas pu répondre à la motivation salvatrice de départ des autorités gabonaises?

En dépit de son objet qui est l’enseignement supérieur au Gabon, le rapport Mignot (2002), réalisé à la demande de l’Union européenne, soulève des questions capitales en ce concerne le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, notamment les réformes organisationnelles, les programmations à court, moyen et long termes, les objectifs et les moyens ainsi que la gouvernance.

La lecture du rapport Mignot (2002) laisse vraisemblablement penser que l’Union européenne voulait mettre ou entraîner les autorités gabonaises dans l’action. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il est possible de comprendre les conditions posées par l’Union européenne, avant toute contribution. Il s’agissait précisément de

 la définition par le gouvernement d'un projet politique pour l'enseignement supérieur et la recherche accompagné de la mise en place d'un système efficace de gouvernance de ce dernier;

 la mise en place d'un système performant d'indicateurs de gestion (ce qui implique un système comptable transparent).

Quoique conscient de l’engagement du ministre de l’Enseignement supérieur en exercice, l’Union européenne semblait remettre en cause la cohésion souhaitée entre les acteurs de la tutelle et ceux des institutions sous tutelle. Ce regard critique est mieux illustré par ce qui suit :

Une telle structure trahit, en dépit de la très haute qualité de certains des membres qui l'animent, la faible capacité du ministère à impulser une véritable politique de l'enseignement supérieur et de la recherche. […] Le ministère, d'ailleurs, ne dispose d'aucun des leviers nécessaires à la définition

21

et la mise en œuvre d'une politique qui lui soit propre (Rapport Mignot, 2002, p. 8).

Force est donc de constater que, concrètement, certaines incohérences dans l’organigramme du Ministère et une mauvaise interprétation des prérogatives de chacun par rapport à l’autonomie des Institutions rattachées rendent malaisé le rôle indispensable d’impulsion, de contrôle et d’évaluation qui incombe aux Services centraux16 (rapport Bourdon Forum « CURIE », 2005, p.

8).

Comme les précédents, le rapport établi par Bourdon pour le compte du Forum « CURIE » (2005) du ministère des Affaires étrangères de la France revenait, quant à lui, quelques années auparavant, sur les diverses fortunes connues par le secteur de la recherche scientifique, sur ses rattachements aux départements ministériels17 et ses changements

d’appellations successifs. Ce rapport a l’avantage de refaire l’histoire de l’enseignement supérieur au Gabon et du CENAREST entre autres. Une telle histoire met en valeur, en effet, la volonté politique du Gabon de se doter de ses propres structures nationales d’enseignement et de recherche, mais aussi les divers balbutiements dans l’organisation du secteur de la recherche scientifique. C’est dans ce contexte que la partie gabonaise a exprimé le souhait de développer la recherche au niveau national durant la Conférence Castafrica, organisée par l’UNESCO en 1974. Au sortir de cette conférence, le Gabon s’est doté d’un haut-commissariat à la recherche scientifique qui sera érigé en ministère en 1976, puis confié à un organe spécialisé, le CENAREST, au cours de la même année.

Cet organe spécialisé, jusque-là indépendant, sera dès lors aux prises avec des dysfonctionnements justifiés par ses rattachements ministériels et ses changements d’appellations successifs comme nous le présentions déjà. Pour ce qui est du rapport Forum « CURIE » (2005) seulement, on pouvait en dénombrer déjà cinq entre 1983 et

16 Par services centraux, nous devons entendre les unités (secrétariat général, directions et autres services)

d’unministère ou de la tutelle.

17 Le CENAREST, autonome dès sa création, aurait connu, entre 1983 et 1999, cinq rattachements et

22

1999. Cette instabilité institutionnelle sera plus marquée durant la période non prise en compte par le rapport.

De l’an 2000 à 2014, le CENAREST aurait connu plus de neuf18 modifications de tutelle,

neuf ministres dont deux reconductions et une vice-première ministre. Cette instabilité gouvernementale était manifeste par les remaniements gouvernementaux ainsi que par les changements des intitulés du ministère responsable de la recherche. Le rattachement le plus élevé au sein de la hiérarchie gouvernementale aura été son appartenance à la vice-primature, ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature, de la Recherche et de la Technologie en 2006.

En dehors de l’instabilité gouvernementale, le CENAREST a enregistré, durant cette période, trois commissaires généraux19. Depuis plus de dix ans, l’histoire du CENAREST

semblait rattachée au destin de l’ADERE20. Il serait, par ailleurs, important de rappeler que

l’établissement public aurait apparemment été assimilé à une propriété privée de certains partis ou de leaders dits de l’opposition radicale (MORENA et PGP), avant de confier la gestion de l’ADERE. Ces mécanismes de gestion seraient une expression de la pratique de la géopolitique à la gabonaise.

En effet, depuis la création du CENAREST, aucun commissaire général ne serait issu du corps des chercheurs; ils seraient tous enseignants-chercheurs et viendraient, par conséquent, du corps des enseignants. Il en était de même, malgré les récents changements, des coordinateurs scientifiques et techniques et des directeurs et directeurs adjoints des instituts de recherche.

18 En date du 28 janvier 2014, dans le cadre du gouvernement du professeur Daniel Ona Ondo, ce ministère

est redevenu le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

19 Les trois commissaires généraux appartenaient à une formation politique dite de la majorité présidentielle,

dont deux d’une même province. Pour être précis, en dehors du positionnement particulier du commissaire général actuel, voire des deux premiers, les commissaires généraux du CENAREST seraient originaires de la province de la Nyanga, une des neuf provinces du Gabon, et seraient presque tous de l’ADERE.

20 Alliance des démocrates républicains, Parti politique gabonais de l’opposition devenu le parti de la

23

En plus de ce constat capital sur l’instabilité institutionnelle et gouvernementale, le rapport soulignait, avec force, l’inefficacité des structures techniques de la recherche scientifique et la nécessité de revisiter le cadre légal en vigueur. Le passage ci-après l’expose bien :

Il convient certainement de se féliciter de l’intérêt manifesté par le pays pour promouvoir une véritable activité de recherche axée sur le développement économique, social et culturel. Malheureusement, par suite de l’inefficacité des structures techniques précitées, le ministère chargé de la Recherche scientifique n’a pas pu jusqu’ici jouer pleinement son rôle de coordination des programmes nationaux et de contrôle de l’ensemble des activités scientifiques(rapport Forum « CURIE », 2005, p. 6).

Même si à ce stade les limites structurelles pouvaient en plus expliquer globalement les premiers heurts, le souci d’une réforme effective se posait déjà avec acuité. On pouvait par conséquent comprendre ce qui suit :

Un des résultats auxquels le rapport a abouti fait dire que les insuffisances de la recherche scientifique laissent clairement apparaître que la voie du progrès passe par des réformes significatives(rapport Forum « CURIE », 2005,p . 10).

Pour y arriver, les orientations ci-après ont été retenues pour donner un sens à la réforme :

 planifier les grands axes thématiques au niveau national;

 créer des conseils scientifiques tant pour le CENAREST que les établissements permettant la sélection des différents projets;

 rénover les structures et équipements;

 améliorer la coordination, la gestion et le financement.

Comme les rapports précédemment cités, la réflexion menée par le docteur Posso21

(2010) retrace une histoire endogène du CENAREST de la période précoloniale à la mise en place de la recherche au Gabon. Mais, les positions les plus expressives et déterminante sont été celles qu’il a appelées le conflit « Ministères-CENAREST », l’absence d’unicité de

21 Le docteur Paul Darius Posso est le premier directeur de l’Institut des recherches en écologie

tropicale(IRET), dernier institut créé au sein du CENAREST. Le docteur Posso est l’un des derniers témoins de l’ère du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français au Gabon. Il l’a dirigé jusqu’en octobre 2005.

24

la recherche, le nomadisme de la recherche, la faible contribution financière de l’État, l’absence des équipes de recherche ainsi que la validité et le financement des projets de recherche. Ce regard rétrospectif critique sur la recherche et le secteur de la recherche scientifique fait le point sur son enlisement et aboutit ainsi à quelques orientations susceptibles de la redynamiser.

Ainsi, il est plausible de remarquer que les lectures du rapport de Fontvieille (1979), de l’UNESCO (1987), du rapport Mignot (2002), du rapport Forum « CURIE » (2005) et de celui du docteur Posso tentent d’illustrer l’ampleur de l’impact de l’instabilité gouvernementale et institutionnelle sur le fonctionnement des institutions de recherche. Ils ont, par ailleurs, le mérite de proposer les orientations que suivraient les éventuelles réformes. Il importe de retenir que cette construction du problème ne s’arrête pas avec les effets liés à l’instabilité institutionnelle et gouvernementale.