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Structure et archéologie

Dans le document LE DIEU DU JEUNE HOMME NU (Page 51-54)

Il - QUESTIONS EN DÉBAT

3. Structure et archéologie

Dès la fin de son premier article, et à partir de l'opposition que son analyse a dégagée comme structurante, J.-P. Vernant ouvre l'enquête vers la recherche historique, sociologique, en se demandant pourquoi Hésiode consacre cette place centrale à la justice. Il s'interroge sur les problèmes sociaux nouveaux, vers le v11• siècle, auxquels la réécriture du mythe pouvait suggérer une réponse. Il en situe la visée pragmatique à deux niveaux, personnel et politique: une leçon qu'Hésiode donnerait à son frère, petit agriculteur comme lui, qu'il invite à renoncer à l'hybris des faux procès, aux querelles familiales injustes, et à se mettre au travail. Une leçon aussi adressée aux rois pour les inviter à arbitrer avec justice les procès et permettre ainsi aux agriculteurs l'abondance des fruits de la terre. Agriculture et souveraineté apparaissent alors comme deux fonctions solidaires; seul le recours à la justice peut prémunir le monde présent de la menace du chaos.

Dans son troisième article, où il insiste, à côté de la visée interpellative du mythe, sur la finalité d'illustrer l'origine commune des dieux et des hommes, J.-P. Vernant fait le point de

ses accords et divergences antérieurs avec une analyse de V. Goldschmidt et veut poursuivre le dialogue de la recherche. Tandis que V. Goldschmidt se référait à la structure de la théologie grecque traditionnelle, qui distingue à côté des dieux, les démons et les héros et les morts, J.-P. Vernant avait privilégié la structure du système de tripartition fonctionnelle. Sollicité de s'engager, pour répondre, sur la question de l'intention de l'auteur, J.-P. Vernant sort alors du récit lui-même pour confronter sa visée interne avec d'autres mythes d'Hésiode et se centre sur le rapport entre la pratique naissante du culte héroïque et la place qu'Hésiode fait aux héros dans sa classification. L'archéologie a montré la réutilisation de sépultures mycéniennes à des fins religieuses; un culte des héros est à cette époque en train de se mettre en place et fait surgir des questions nouvelles auxquelles la pratique religieuse encore flottante ne semble pas répondre assez clairement, en particulier celle de la distance entre les dieux et les hommes mise en cause par une célébration religieuse sur la tombe d'un mortel d'autrefois. Où se situent donc les héros par rapport aux dieux immortels et aux défunts ordinaires? Par sa classification, dont il . n'invente pas les termes mais qu'il systématise, Hésiode prendrait en charge cette question nouvelle à laquelle son mythe pourrait alors être une tentative de réponse.

J.-P. Vernant revient sur des réserves antérieures, grâce à une attention aux différentes perspectives temporelles des récits et des pratiques. J'aimerais souligner aussi au passage çette attention aux points de vue parce qu'elle me paraît une revendication essentielle des études narratologiques actuelles, dont la pertinence se mesure d'emblée ici à l'enjeu soulevé. Pour l'époque d'Homère elle-même, J.-P. Vernant n'exclut plus l'existence d'un culte naissant des héros même si l'épopée n'attribue aucune signification religieuse à ceux-ci qu'elle chante comme princes ou simples guerriers. Le poète en effet se transporte et transporte ses lecteurs dans le temps qu'il raconte, il se fait le contemporain des héros dont il célèbre les exploits. Au contraire, vus du présent de la pratique cultuelle, les héros apparaissent comme des personnages d'un temps révolu, ils appartiennent à une humanité différente de celle des mortels qui les honorent. Ils constituent la race divine des héros, race disparue dont les seules traces d'existence restent les tombeaux. Il semble qu'Homère, fugitivement, adopte ici et là cette seconde perspective mais il ne se risque qu'une seule fois, "s'évadant en quelque sorte de sa propre temporalité"1s, à parler des héros comme de demi-dieux. Or c'est bien ainsi que les nomme 1 5 Ibid., p. 104.

Hésiode qui adopte, lui, la perspective temporelle qui est celle du culte héroïque, rejetant cette race pourtant toute proche des hommes dans un passé aboli où dieux et hommes n'étaient pas encore séparés. J.-P. Vernant peut assurer ainsi une affirmation antérieure; Hésiode, qui se situe entre Homère et le culte de la cité, fait figure de précurseur théologique. Même si dans son mythe il n'est pas encore question d'un culte, les héros apparaissent pour la première fois dans le cadre d'une classification des puissances surnaturelles où prennent place dieux, démons, morts, héros.

Très finement J.-P. Vernant précise que l'enquête sur le milieu sociologique et ses pratiques permet de mieux définir le cadre religieux dans lequel il faut situer le texte pour éclairer ses intentions, mais sans que ni sa logique ni même sa finalité ne coïncident exactement avec cette réalité. Cela ouvre à la nécessité d'une réflexion profonde et nuancée sur les modalités des rapports entre texte et contexte.

Au terme du parcours, on peut conclure à regret peutêtre -que les informations extérieures n'interviennent pas dans l'effort de structuration du texte lui-même mais permettent de saisir mieux la vigueur de certains de ses traits ou la pertinence de son système par l'enjeu que lui confère le fait de s'adresser à des vies particulières, de parler au milieu des questions d'un groupe social et religieux. Le relief d'un texte est en effet souvent souligné par le jeu de proximités et d'écarts qu'il entretient avec un donné, jeu qu'on peut tenter de lire aussi en termes structuraux une fois que l'enquête historique ou sociologique, seule apte à le faire, a fourni les éléments du réel à construire en objet d'analyse.

Cette traversée, un peu serrée, de trois articles de J.-P. Vernant m'a permis d'esquisser les contours d'un espace où je vais déployer mes lectures de l'évangile de Marc: celui d'une approche structurale et anthropologique d'un mythe d'origine. La richesse de cette analyse réside avant tout pour moi dans la mise en évidence des multiples plans de la réalité humaine et religieuse que le mythe permet de structurer. Les points de discussion repérés au passage indiquent d'emblée qu'une telle méthode ne va pas sans problèmes ni débats. C'est donc dans un champ de recherche à la fois très prometteur et très discuté que je pénètre. Je vais l'introduire maintenant plus systématiquement à travers un long regard sur la sémiotique d'A. J. Greimas.

Dans le document LE DIEU DU JEUNE HOMME NU (Page 51-54)