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Syntaxe narrative

Dans le document LE DIEU DU JEUNE HOMME NU (Page 55-61)

1 - JEU DES ÉLÉMENTS DE BASE

1. Syntaxe narrative

A - Le schéma narratif de base

Pour tenter un montage des pièces les plus simples, dont on peut ensuite exploiter les virtualités logiques ou sémiotiques en visant une architecture narrative de plus en plus fine et articulée, je pars de la définition minimale du récit: un ensemble de deux

états et de leur relation. Si on l'envisage dans sa dynamique, la différence entre les états se saisit comme une transformation, où le faire régit l'être:

état initial (être) transformation (faire) état final (être)

Les composantes élémentaires que cette représentation présuppose sont l'être et le faire; en exploitant les quatre possibilités de leur articulation par deux, on obtient les quatre moments fondamentaux entre lesquels la transformation se décompose:

* faire faire

* être du faire * faire être * être de l'être

contrat (ou manipulation) compétence

performance

reconnaissance (ou sanction)

Ce paradigme (ensemble de possibilités) se projette dans un syntagme (un enchaînement réalisé, de type algorithmique2) pour constituer la forme d'un récit:

contrat compétence performance sanction

__ ...,. --4 ___ ___,

Cette structure peut se concevoir, à titre élémentaire, comme la représentation d'un projet de vie. Elle compose un schéma narratif de base qu'un nombre infini de récits de vie exploite, de façon pas forcément consciente, par reproduction ou transgression, expansion ou condensation, etc.

2 Algorithme, au sens moderne, ensemble des règles opératoires propres à un calcul (Petit Robert, 1973).

Tel qu'il se donne à lire, dans sa manifestation textuelle, un récit articule les événements qu'il raconte selon une chronologie (avec des formes complexes d'anticipations, retours en arrière, sommaires, etc. ). Le schéma qui en rend compte analytiquement est construit sur la base de présuppositions logiques qui remontent l'algorithme:

d'abord ... puis ... je me rapp<:llle que ... ensuite ... j'anticipe.... enfin

--->

0 ., ,-,�---')­

récit

schéma � � '\._____) '\.______..) �

(l'état final présuppose la performance, celle-ci la compétence, etc.)

8 - Les rôles

Si l'on revient au point de départ, à la combinaison d'états et de faire, on peut définir chacune de ces composantes de base: on envisage un état comme une relation structurale entre deux rôles, entre un sujet et un objet: S � 0 . La relation se définit selon deux types logiques: de conjonction (A) et de disjonction (V). Le faire est l'opération qui permet la transformation d'un énoncé de disjonction en un énoncé de conjonction (d'un manque à sa liquidation, par ex., ou inversement). Les énoncés de faire régissent les énoncés d'état.

Le sujet et l'ob1·et sont des r§les élémentaires que 1·ouent les()..e., o..�-t-1'

acteurs d'un récit, on les appell6l Cnaque récit du monde les met en scène dans des représentations figuratives spécifiques, décor, habillement, attributs, etc. Ce ne sont donc pas des entités philosophiques; ils ne sont définis que par leur relation: est sujet celui qui, ou ce qui, acquiert l'objet; est objet ce qui, ou celui qui, entre dans la visée d'un sujet (ils peuvent correspondre selon les textes à des personnages humains mais aussi bien à des concepts, etc.)3.

En plus du sujet et de l'objet, le schéma narratif présuppose

3 A. HENAULT, op. cil., tome 2, p. 48·49 donne un excellent exemple de cette relation: "Ce rapport Sujet-Objet pourrait s'illustrer, croyons-nous, par la relation de l'archer à sa cible. Pour la sémiotique, l'archer n'a d'existence en tant que Sujet que pour autant qu'il est orienté par la cible, soit qu'il la vise, soit qu'il l'atteigne ou qu'il l'ait atteinte. Quanl à l'objet de sa visée, figuré par la cible, il est en réalité fort abstrait et fort complexe. Atteindre le coeur de la cible, c'est, lors d'un concours, faire la preuve de sa qualité et par là même s'approprier une valeur (estime de soi, admiration du public, etc.} qui se surimpose à l'objet et fait de ce graphisme conventionnel, qu'est la cible, un objet de valeur. En posant cette notion à deux termes d'Objet (1} - de valeur (2), A. J. Greimas tend à marquer la double nature de l'objet: objective (puisque à distance du sujet} et subjective (la valeur n'existe que pour le Sujet, et se prouve comme telle parce qu'elle le met en mouvement}."

l'actant destinateur; il a pour rôle de faire faire (destinateur dans sa fonction manipulatrice) et d'évaluer le faire (destinateur dans sa fonction judicatrice), il intervient donc au moment du contrat et de la sanction. Le rôle du sujet se décompose lui-même en deux, en fonction du faire et de l'être: comme sujet du faire, on l'appelle

sujet opérateur, c'est le rôle de celui qui opère la transformation, c'est-à-dire qui acquiert ou perd l'objet en jeu; comme sujet de l'être, on peut l'appeler sujet-destinataire, il fait pendant au destinateur comme celui auquel ce dernier destine l'objet.

Le système de correspondances entre acteurs du récit et rôles actantiels est souple: un rôle peut être tenu par plusieurs acteurs, un unique acteur peut remplir différents rôles. L'analyse permet de quitter l'unité de grandeur du personnage pour être attentive à la construction narrative d'une identité qui cache ses transformations sous la permanence du nom propre.

C - Les programmes narratifs

Mais aucune oeuvre littéraire ne correspond à une structure élémentaire. Les récits combinent des programmes narratifs en déployant des structures polémiques et des structures hiérarchiques.

Des structures polémiques:

a) un objet peut mettre en rivalité deux sujets: sujet

-->

objet ; ___ anti-sujet

La conjonction de l'un avec l'objet implique la disjonction de l'autre sauf si le type d'objet permet une communication participative (le savoir, par ex., ne se perd pas d'être communiqué; de même, la multiplication des pains traite la nourriture de façon isomorphe à la parole prêchée).

b) un sujet peut être tendu entre deux objets:

objet--- sujet ---1anti-objet

c) un sujet peut être pris entre deux destinateurs: destinateur anli-destinateur

d) un destinateur peut mettre en concurrence deux sujets (on en revient à a) si c'est pour un même objet):

destinateur

sujet ✓--- ';,anti-sujet

---➔

Pour produire des récits, on peut envisager toutes les combinaisons possibles de ces cas élémentaires. Les oppositions, et les affrontements auxquels elles donnent lieu, peuvent d'ailleurs se résoudre de façon conflictuelle (proprement polémique) ou transactionnelle (lutte des classes, donne pour exemple A. J. Greimas, opposée au contrat social4).

Des structures hiérarchiques:

L'acquisition d'un objet peut nécessiter celle d'objets antérieurs (temporellement. et logiquement: les trois cheveux d'or du diable pour récupérer ensuite la princesse). En fonction de la hiérarchie entre les objets, on distinguera donc entre programme d'usage (où l'objet visé correspond à l'acquisition de la compétence) et programme principal (où l'objet visé est l'objet principal, acquis par la performance).

A tout moment, une des composantes du récit peut se déployer elle-même en un algorithme narratif complet (un récit de vocation peut se concevoir comme un contrat développé en récit entier, et inversement, tout un évangile peut s'observer comme le moment de la sanction d'un schéma narratif hiérarchiquement inférieur, présupposé mais non raconté; il correspond alors à la reconnaissance de l'identité du sujet).

D - Les modalités

Les objets en jeu dans les programmes d'usage correspondent à des modalités élémentaires, conditions de réalisation du faire principal: devoir, vouloir, pouvoir, savoir. Au contrat correspondent l'objet devoir-faire, communiqué au sujet par le destinateur, et la réponse du sujet comme acquisition de l'objet vouloir-faire. A la compétence correspond l'objet pouvoir-faire et/ou savoir-faire (l'épée ou la ruse, en fonction des cultures ou de la psychologie, le

cheval de Troie, par ex., combinant l'un et l'autre)s.

Il faut préciser encore que ces composantes de base peuvent apparaître dans les récits sous forme affirmée ou niee; logiquement, ou plutôt sémiotiquement (parce que l'analyse ne se situe pas au niveau de la logique pure mais d'une syntaxe textuelle), chaque modalité se déploie eri système à quatre termes, en fonction de relations de contradiction et de contrariété:

contrariété . .

devoir faire <.---�➔, devoir ne pas faire

(prescrit) ColJl / î (interdit)

rii <l;Cf.•

'olJ ne pas devoir ne pas faire

(facultatif)

>

ne pas devoir faire

(permis)

Ainsi, un sujet pourra: devoir faire et ne pas vouloir ne pas faire, etc. En pensant toutes les combinaisons possibles, on vise une typologie des héros, comme sujets dans leur rapport à l'action. Dans la diachronie d'un récit, on peut observer un parcours du sujet: instauré par le destinateur qui, dans son rôle manipulateur, lui communique le devoir et en fait un sujet virtuel, qualifié par le vouloir, . actualisé par le savoir et/ou le pouvoir, réalisé par l'acquisition de l'objet grâce au faire, . reconnu, et souvent récompensé, par le destinateur dans son rôle judicateur. A chaque étape correspondent un rôle actantiel spécifique et un statut actantiel qui comprend la mémoire des positions antérieures.

E - La dimension cognitive et la véridiction

Avec le savoir, une nouvelle distinction est à poser entre savoir faire et savoir sur le faire. Le savoir faire est une variante du pouvoir faire. Le savoir sur le faire prend une ampleur beaucoup plus grande; il est en jeu principalement dans les deux moments du contrat et de la sanction, comme savoir qui peut mobiliser la décision (persuasion lors du contrat) et comme savoir qui évalue l'action (interprétation lors de la sanction). Mais plus encore, une quête cognitive peut accompagner, en la surplombant, la quête d'objets pratiques, pragmatiques, dans les récits de la littérature

5 Dans une structure polémique, le pouvoir vs anti-pouvoir correspond à la dénomination plus anthropomorphe de l'adjuvant vs opposant qu'une première représentation du schéma actantiel, encore proche des catégories héritées de V. Propp, avait proposées sur la base d'analyses de contes populaires, cf. infra, note 44 p. 77. L'application du modèle à d'autres types de récits a nécessité des dénominations plus abstraites.

(en particulier dans les évangiles, avec les récits de miracle, l'acquisition du savoir, du croire, est au moins aussi importante que la transformation somatique). Dans les discours des sciences sociales, le savoir devient même l'objet principal. L'élargissement des corpus analysés a mené ainsi peu à peu la sémiotique à considérer la dimension cognitive comme une composante autonome des textes.

Pour ouvrir une fenêtre sur la suite, de façon tout à fait simple:

- En deçà de la sémiotique de l'action, la sémiotique des passions ajoutera à cet édifice, et en particulier aux modalités du faire, des modalités de l'être. Cela la conduira à introduire un niveau, logiquement premier, comme un socle à la construction: celui des préconditions du

sens.

- Au-delà de la sémiotique de l'action, la sémiotique de l'énonciation envisagera l'instance de production que présuppose l'énoncé objet: un faire (énoncer) et un sujet du faire (qui se dédouble en deux rôles, selon les pôles de la persuasion ou de l'interprétation: l'énonciateur et l'énonciataire). L'écart entre l'énoncé et l'acte qui l'a produit nécessite, pour les passages, des procédures de débrayage/embrayage. Le débrayage permet de penser, à partir des acteurs, lieux, temps de l'énoncé, un "je, ici, maintenant" de l'énonciation, non représenté dans le discours, sinon ponctuellement par quelques traces qui servent d'indices de son existence textuelle, un être de papier (pas historique, pas un être de chair).

On a donc ajouté à l'antagonisme des programmes et à leur hiérarchie une distinction de qualité, en fonction du type d'objet, c'est-à-dire selon les valeurs visées dans la quête de ces objets: on distingue des programmes narratifs pragmatiques (ou somatiques), qui recouvrent des transformations pratiques sur les corps et dans le monde; des programmes narratifs cognitifs, qui recouvrent des transformations intellectuelles, de l'ordre du savoir.

Ces transformations touchant au savoir réclament elles­ mêmes des modalités particulières susceptibles de rendre compte des valeurs et des procédures de la véridiction, en particulier du secret et du mensonge en jeu dans les textes. C'est la combinaison de l'être et du paraître, non en soi, mais modalisant une valeur, qui fournit un modèle (toujours sur le même principe de l'éclatement d'une opposition en une structure à quatre pôles, éventuellement six si on ajoute un neutre, ni. .. ni. .. , et un complexe, soit...soit...).

secret·

'"" r

non-�araître

paraître

Par exemple, les catégories être et paraître roi (vrai), ne pas être et paraître roi (mensonger), ne pas être et ne pas paraître roi (faux), être et ne pas paraître roi (secret), peuvent rendre compte du jeu de la dérision dans le procès de Jésus; sans doute faudrait-il combiner deux de ces modèles au moins, en fonction des points de vue, et des différences de sens à reconnaître à la royauté: roi mensonger, couronné mais d'épines, dans le geste carnavalesque des soldats qui affichent ce qui pour eux est une prétention mensongère de Jésus, mais à travers lequel s'avoue, comme son envers inséparable, le savoir du texte qui reconnaît le roi secret dans cet homme affublé mais qui porte royalement l'injure... Sans doute est­ ce plus compliqué encore.

Le terrain de la véridiction est important mais le modèle difficile à manier; les éléments de base, être et paraître, risquent toujours d'induire des questions ontologiques, qui ne sont pas du ressort de la sémiotique.

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