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Chapitre 3 : Question de recherche et méthodologie

3.2. Méthodologie

3.2.2. Stratégies de recherche

Malgré les nombreuses études déjà menées dans la région sur le mouvement zapatiste et leurs alliés, ma recherche est restée exploratoire en ce sens que je me suis plus intéressé aux groupes communautaires aujourd’hui en rupture avec le mouvement principal – voire en opposition avec celui-ci – qu’au mouvement zapatiste en tant que tel. Ces groupes sociaux sont généralement écartés des études sociales réalisées sur le mouvement zapatiste, et c’est pourquoi j’ai cherché à questionner, nuancer, voire relativiser, les approches parfois trop exclusives aux

seuls ressortissants du mouvement « officiel ». Le choix de me concentrer davantage sur ces groupes en rupture avec le mouvement principal a aussi été motivé par le refus ferme des zapatistes et leurs alliés à participer à toutes études universitaires ou journalistiques, et ce, depuis les années 2003 et de façon plus définitive à partir de 200941. L’impossibilité de travailler avec ces groupes directement reliés au mouvement principal m’a donc orienté vers ceux qui ont fait le choix de se distancier de ce dernier – ceux n’appliquant alors pas de manière systématique cette règle – ou encore ceux n’adhérant pas aux principes du zapatisme.

Il a été important, au cours des quatre mois qui ont marqué mon ethnographie, de ne pas me limiter à un seul groupe communautaire, et ce, dans le but de pouvoir me donner des éléments de comparaison entre les nombreuses dynamiques sociales qui marquent la vie des différents groupes dans la région. Toutefois, j’ai fait le choix de me concentrer sur une municipalité en particulier, et ce, pour trois raisons principales. Tout d’abord, le travail entamé dans les premiers mois de mon arrivée à San Cristóbal de Las Casas, avec des organismes de la société civile et du gouvernement, m’a progressivement orienté vers la région des Hautes-Terres. La seconde raison est due au fait que je n’ai jamais eu connaissance de groupes communautaires complètement en rupture avec le mouvement zapatiste ; contrairement à certains groupes de Las Abejas, qui avaient alors connu de nombreuses divisions dans les dernières années. Si les groupes de Las Abejas sont présents dans plusieurs municipalités des Hautes-Terres, ils sont toutefois particulièrement actifs dans celle de Chenalhó, où se trouve la communauté à l’origine du groupe (Tzajalchén), la table directrice de l’organisation principale (Acteal), et la plupart des chefs-lieux des groupes en rupture avec cette dernière. De plus, il existe dans cette même municipalité un groupe zapatiste, dans la localité de Pohló, qui a été particulièrement actif dans la région lors des premières années du mouvement. Tout comme je l’ai montré dans le chapitre précédent, cette forte concentration de regroupements « en résistance » au sein de la municipalité tranche avec la présence historique du parti PRI et de plusieurs autres groupes politiques combattant parfois très violemment l’implantation de la résistance dans la municipalité. Cette présence de nombreux regroupements,

41 Malgré les nombreuses retombées positives des intérêts universitaires et journalistiques sur la lutte révolutionnaire, les zapatistes ont fait le choix de refuser quasi-systématiquement toute recherche de ce type sur leur territoire. Ce choix est facilement explicable par le fait que de nombreux universitaires et journalistes venaient mener leurs recherches dans les communautés et ne donnaient généralement aucun suivi. Aussi, les informations, parfois orientées vers les paradoxes, les difficultés et les faiblesses de la vie quotidienne de la résistance ont souvent permis au gouvernement (qui n’était bien sûr pas la cible première de ces études) de décrédibiliser le mouvement.

aux affiliations politiques très différentes, a été une composante particulièrement fertile pour mettre en lumière la complexité de l’articulation de ces différents projets politiques au sein d’une même région et parfois au sein d’une même communauté. Une des questions primordiales de ma recherche était alors de comprendre l’articulation de ces différents projets politiques, et des dynamiques locales provoquées par de telles articulations. Il s’agissait non seulement de comprendre comment certains groupes ont tenté de poursuivre une stratégie de lutte en contradiction radicale avec les partis politiques quels qu’ils soient, mais aussi de comprendre comment d’autres se disant toujours de « la résistance » ont tenté de réhabiliter certaines relations avec le gouvernement local ou étatique. L’aspect qui me paraissait alors le plus intéressant était bien entendu la manière dont certains groupes ou individus allaient « manœuvrer » à l’intérieur des institutions et des projets gouvernementaux, parfois seule possibilité pour assurer la survie du groupe, tout en conservant une posture idéologique proche de la lutte révolutionnaire. Enfin, la dernière raison m’ayant convaincu de me concentrer sur la municipalité de Chenalhó tend essentiellement à la faisabilité de la présente recherche – liée en partie aux contraintes de temps et à la complexité déjà très grande de l’étude d’une municipalité et de ses particularités. La présence de très nombreux groupes politiques et religieux aux idéologies diverses, et les dynamiques sociales souvent propres et particulières au contexte historique de la municipalité m’ont encouragé à réaliser un travail plus en profondeur dans cette région précise du Chiapas.

Sur les quatre mois consacrés à mon terrain, j’ai passé un mois sur San Cristóbal de Las Casas pour rentrer en contact avec les diverses organisations travaillant de près ou de loin avec le mouvement zapatiste. J’ai ensuite passé les trois mois suivants à réaliser des allers-retours et des séjours plus ou moins longs dans plusieurs communautés de la municipalité de Chenalhó. La majorité du temps a été passée dans plusieurs communautés et avec des groupes appartenant à la mouvance de Las Abejas A.C.. Pendant plusieurs semaines, il m’a aussi été possible de partager le quotidien d’un petit groupe de protestants dans une communauté historiquement réputée pour avoir été le cœur de l’opposition aux zapatistes. Cette exploration au cœur d’une communauté « historiquement paramilitaire », a été intéressante pour mieux comprendre « l’autre côté » de l’histoire insurrectionnelle de la région – un côté souvent écarté des études sociales s’intéressant principalement au mouvement zapatiste et à leurs alliés. Grâce au Centre des Droits Humains Fray Bartholomé de Las Casas (CDHFBC) et des brigades d’observation civiles, j’ai également eu l’occasion de partager le quotidien d’un groupe appartenant à la SCLA. De manière plus

ponctuelle, je me suis rendu dans d’autres communautés de Chenalhó afin d’y rencontrer les dirigeants des différents groupes Abejas de la région. Ainsi, les acteurs rencontrés sont aussi bien issus de la résistance et des mouvances alignées sur les préceptes de la résistance promu par les cadres zapatistes, que des mouvances plus dissidentes, voire contestataires aux idéologies zapatistes. Concentrant le pouvoir municipal, et donc les différents acteurs du gouvernement municipal et des groupes politiques proches de ce dernier, le chef lieu de Chenalhó a aussi été un lieu où je me suis souvent rendu au cours de la collecte des données. Avec le conflit opposant des groupes paysans de Chenalhó avec des groupes de Chalchihuitán, il m’a été impossible de retourner dans les communautés dans les dernières semaines de mon terrain. Après avoir constaté l’ampleur des projets migratoires dans les différentes communautés de la région, j’ai toutefois décidé de consacrer les derniers instants de mon terrain aux organismes présents sur San Cristóbal traitant des thématiques migratoires dans les Hautes-Terres. Dans cet ordre d’idée, le travail réalisé avec ces organismes a moins été une recherche complète centrée sur leurs actions qu’un travail exploratoire pour me permettre d’éclairer l’analyse de mes propres données.