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Le profil du jeune apprenant

4.7 L’enfant et les stratégies 1 Les stratégies de l’enfant

4.7.5 Les stratégies de l’adulte

Pour ce qui concerne l’input, ou les données que fournissent les adultes aux enfants, C. O’Neil (1993) nous rappelle que l’on ne s’adresse pas de la même façon aux jeunes enfants qu’aux adultes. L’exemple extrême de cette adaptation du langage est le « parler bébé », dans lequel l’adulte modifie la syntaxe, le lexique et la phonologie. « …Il semble qu’ils adaptent également ce qu’ils disent du point de vue prosodique, comme s’ils s’adressaient à un adulte sourd en quelque sorte. » (1993 : 208).

Des chercheurs qui ont observé les caractéristiques de la langue présentée aux enfants ont relevé que celle-ci semble simplifiée, répétitive et idéalisée. Citant J. Landes (1975), C. O’Neil (1993) note que la langue adressée aux enfants est « simple, comprenant peu de transformations, de multiples interrogations et des phrases courtes qui sont articulées plus clairement et qui ont une accentuation et une intonation exagérées ». Des recherches ont relevé qu’il y avait « deux fois plus de transformations » et « dix fois plus de propositions subordonnées dans le discours des adultes. » (1993 : 208).

- Ralentir son débit, mais de façon naturelle et employer des phrases courtes

Cette adaptation peut être observée chez les adultes qui s’adressent aux jeunes enfants. Citant J. Landes (1975), C. O’Neil (1993) rappelle les recherches de P. Broen (1972), qui ont trouvé que « les mères s’adressaient à leurs enfants de vingt et un mois en utilisant en moyenne 69,2 mots par minute, avec les enfants de cinq ans elles utilisaient 86,2 mots par minute, alors qu’en parlant à d’autres adultes dans la conversation ordinaire la moyenne était de 132,4 mots par minute. » (1993 : 209). Dans le contexte de l’enseignement d’une langue étrangère, il est donc tout à fait naturel que l’enseignant ralentisse son débit en s’adressant à des enfants. Il pourrait alors présenter aux enfants des enregistrements à un débit moins rapide qu’un échange entre adultes. Cependant, C. O’Neil (1993) nous rappelle que ces enregistrements devraient conserver les caractéristiques de la langue naturelle. Elle propose également la possibilité d’utiliser des enregistrements faits par des enfants, ce qui permet de présenter une langue qui garde ses caractéristiques naturelles et qui encourage, en outre, l’identification et une relation affective positive à la LVE. (1993 : 209).

Pour ce qui concerne l’emploi de phrases courtes, C. O’Neil (1993) cite J. Landes (1975), qui cite les travaux de S. Granowsky et W. Krossner (1970), qui ont trouvé que « la longueur moyenne des phrases dans la langue des adultes était de 13,50 mots, alors que dans la langue adulte-enfant elle était de 8,17 mots. Ce résultat a été trouvé avec des enfants de cinq à six ans. » (1993 : 209).

Citant J. Landes (1975), C. O’Neil (1993) énumère des stratégies qu’emploient les mères avec leurs enfants : « la répétition de l’input (des données), l’incitation, la proposition de modèles, la correction et l’expansion de ce que dit l’enfant. » (1993 : 210).

Dans l’incitation, l’adulte montre à l’enfant qu’il veut que l’enfant dise ou répète quelque chose, et l’invite à le faire (par exemple, Est-ce que tu peux dire… ?). Dans l’expansion, l’adulte reproduit (mais pas exactement) la phrase exprimée par l’enfant, mais en y ajoutant quelque chose (par exemple, si l’enfant dit « Je peux de l’eau ? », l’adulte lui répond en disant : « Ah, tu veux boire de l’eau ? »). L’expansion permet aussi de vérifier la communication, de voir si l’adulte a bien compris ce que l’enfant a voulu dire. Pour C. O’Neil (1993), les expansions remplissent donc « une fonction phatique », elles servent à maintenir l’interaction et encourager l’enfant à parler à nouveau. (1993 : 211). Selon W. O’Grady (2005), les parents utilisent souvent la technique de la reformulation. Même s’ils ne corrigent pas explicitement les erreurs de leurs enfants, leurs reformulations leur fournissent le bon modèle.

Certains comportements ou rituels non verbaux sont également mis en œuvre par les mères (et les enseignants en maternelle ou primaire) pour guider l’enfant dans l’acquisition. Par exemple, l’adulte qui lit un livre illustré avec un enfant attire l’attention de l’enfant sur les objets ou les personnages représentés en les montrant du doigt ou en invitant l’enfant à les nommer.

Pour C. O’Neil (1993), « la nature même du discours de la salle de classe crée un univers particulier pour les élèves, où la parole de l’enseignant est omniprésente. » (1993 : 211).

C. O’Neil (1993) distingue entre deux types de discours en classe : le discours didactique, qui aide l’apprenant à comprendre ou apprendre la langue (échos, expansion, répétitions, reformulations, modelage linguistique, questions, incitations ou utilisation de la langue maternelle) et le discours organisationnel qui concerne la gestion de la vie de la classe (routine quotidienne, réalisation de taches, gestion du temps, etc.). (1993 : 212).

Expansion : on répète ce que dit l’apprenant en y ajoutant quelque chose. Modelage : on lui fournit un modèle (une nouveauté) qu’il doit reproduire. Incitation : « prompting »

En « langue maternelle comme en langue étrangère, l’enfant a besoin de l’interlocuteur pour construire sa compétence. » (1993 : 212).

- L’adaptation du contenu

Pour ce qui concerne le type de phrases, C. O’Neil (1993), citant J. Landes (1975), évoque les résultats d’une étude de l’input adressé aux enfants, menée par R. Brown et al., dans les années soixante à Harvard. « 50% du corpus était constitué de phrases déclaratives, affirmatives, à la voix active pour tous les enfants. Il y avait par ailleurs de 20 à 35% de phrases interrogatives et de 5 à 20% de phrases négatives, selon les enfants. » (1993 : 213).

Le discours pédagogique avec les jeunes enfants comporte aussi une quantité importante de phrases impératives.

- Les questions

C. O’Neil (1993) remarque que les questions sont très fréquentes dans les échanges avec les enfants, beaucoup plus fréquentes que dans les échanges entre adultes et elle avance l’hypothèse que ceci viendrait peut-être de ce qu’on ne considère pas les enfants comme des interlocuteurs valables. Il s’agirait plutôt de gérer ou d’influencer le comportement des enfants. (1993 : 214).

Citant B. Grandcolas (1980), C. O’Neil (1993) souligne combien il est difficile d’échapper à la centralité de l’enseignant. Selon Grandcolas, il suffit de regarder et d’écouter un élève qui répond à un autre. « …la direction du regard, l’intonation de la réponse traduisent une demande de confirmation sur le plan de la forme. » (1993 : 215).

Dans la situation pédagogique, la forme de la réponse prime trop souvent sur le sens. L’enseignant sait presque toujours d’avance ce que vont répondre les élèves et ne

s’intéresse pas à l’exactitude factuelle des réponses. Pour l’enseignant, les questions visent donc le plus souvent à faire réemployer ce qui vient d’être appris (une structure ou du lexique), tandis que les élèves se prennent réellement au jeu. « (…) l’intonation de ces questions est différente de celle qu’on aurait dans une autre situation, et (…) souvent le professeur ‘n’entend’ pas une réponse qui ne correspond pas à ce qu’il attend. » (1993 : 215).

Ce qui fausse donc la communication en classe de langue, c’est la pratique de poser des questions qui cherchent plus à vérifier des connaissances qu’à obtenir des informations inconnues. Ce modèle de communication s’appelle le modèle IRF (initiation, response, feedback) ou initiation, réaction et retour.

Comme le remarque A. Pinter (2011), qui cite Sinclair et Coulthard (1975), le modèle « initiation, response, feedback » est un modèle de discours souvent observé en classe de langue. C’est l’enseignant qui dirige l’interaction et les questions sont de type « display » (2011 : 189), c’est-à-dire que l’enseignant connaît la réponse, mais vérifie si l’apprenant la connaît.

Par exemple :

Initiation : De quelle couleur est ce stylo ? Réponse : Rouge.

Feedback : Très bien.

Pour que la communication soit plus authentique, il faudrait que l’intérêt porte plus sur le contenu du message que sur la forme. Cette conception de la communication est fondée sur le principe du déficit d’information (information gap), selon lequel on interagit pour combler un manque d’information. Dans la vie réelle, nous communiquons pour découvrir ce que nous ignorons. Dans la classe de langue étrangère, il est important de garder cette dimension authentique de la communication.

Dans le cas de l’enseignement des langues étrangères aux enfants, on pourrait créer les conditions d’une communication réelle dans les jeux tels que « Jacques a dit » ou « Kim », dans lesquels l’attention des enfants est détournée de la forme linguistique et

centrée plutôt sur le contenu des messages ou sur l’activité, même si les messages restent assez simples. Mais pour C. O’Neil (1993), qui cite A. Maley (1980), il ne s’agit pas d’expression spontanée, car l’enfant n’a pas l’occasion de « s’exprimer avec facilité dans la nouvelle langue, ‘à sa façon’ et dans une situation non contraignante. » (1993 : 216).

- La répétition

Elle joue un rôle très important dans l’acquisition. Comme le dit C. O’Neil (1993), qui cite J. Landes (1975), « Il est frappant de voir combien de fois un enseignant répète ou reformule une question, parfois immédiatement après l’avoir posée. Le silence est mal toléré et l’enseignant préfère le remplir avec sa propre voix ou bien il s’aperçoit que sa première question est trop difficile ou incomplète. » (1993 : 217). En répétant, l’enseignant modifie certains éléments de sa phrase, tels que l’intonation ou l’ordre des mots.

- La fréquence

Y aurait-il une relation directe entre la fréquence d’occurrence des formes dans l’input et leur acquisition (intake) ? En général, on peut croire que les enfants retiendront les formes qui sont les plus récurrentes en classe. Par exemple, pour ce qui concerne le lexique des animaux, les enfants que nous avons pu observer retiennent plus facilement les mots chat et chien, qu’ils entendent plus souvent dans le cadre des échanges informels en classe, que les mots singe et ours. La fréquence de présentation est donc une aide importante à la mémorisation. Cette observation doit être nuancée. Pour C. O’Neil (1993), qui cite J. Wagner-Gough et E. Hatch (1975), « on ne peut pas prédire l’acquisition sur la seule base de la fréquence. Les formes qui ont un contenu sémantique faible, qui sont faiblement accentuées, et qui ont une variété de formes et de fonctions prendront plus longtemps à apprendre, malgré la fréquence avec laquelle elles apparaissent dans le discours adressé à l’apprenant. » (1993 : 218).

Elle note que ce sont les mots accentués ou lexicaux qui sont les mieux retenus. Elle cite les observations faites par R. Brown et U. Bellugi dans l’étude des enfants de

Harvard. Ils ont remarqué que « lorsque les enfants répétaient une phrase dite par leur mère, ils opéraient une réduction et ne reproduisaient en fait que les mots accentués », c’est-à-dire les mots qu’on pouvait entendre le plus clairement. (1993 : 219).