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Le profil du jeune apprenant

4.8 Plus on apprend jeune, mieux c’est ? La question de l’âge

4.8.2 Plus on apprend jeune, mieux c’est ?

Remise en question de la notion de période critique et des avantages des enfants dans l’apprentissage des langues

V. Murphy (2014) souligne que les recherches sur la question de l’âge dans l’apprentissage des langues étrangères et les compétences en langue étrangère donnent des résultats mitigés.

Elle indique qu’Edelenbos et al. (2006) suggèrent qu’une tendance à avoir plus de succès dans l’apprentissage de la langue étrangère peut être associée à un jeune âge de début. Par contre, V. Murphy (2014), citant Muñoz (2006), signale les résultats des études portant sur l’effet de l’âge sur l’apprentissage de l’anglais langue étrangère chez des enfants bilingues catalan/espagnol apprenant l’anglais à l’école dans le cadre du projet « Barcelona Age Factor (BAF) ». Des comparaisons systématiques ont été faites, selon l’âge du début de l’apprentissage de l’anglais, par rapport à de nombreuses variables, telles que la perception et la production de la langue étrangère, le lexique, la morphosyntaxe, les stratégies d’apprentissage et le développement de la production écrite. Les enfants qui avaient commencé plus tard ont obtenu de meilleurs résultats dans l’ensemble par rapport aux enfants qui avaient commencé tôt. Par ailleurs, dans l’ensemble, les apprenants plus jeunes n’ont pas dépassé les apprenants plus âgés en ce qui concerne les résultats, à quelques exceptions près, dans la perception auditive. V. Murphy (2014), citant Muñoz (2006), suggère que c’est l’interaction entre le niveau de développement cognitif de l’apprenant et la nature et la quantité d’exposition qu’ils reçoivent (qu’il agisse ou non de l’enseignement) qui

déterminera le moment auquel les apprenants plus jeunes rattraperont les apprenants plus âgés.

De même, V. Murphy (2014) cite García Mayo et García Lecumberri (2003), qui ont montré que la notion de « plus on apprend jeune, mieux c’est » (« younger is better » 2014 : 155) n’est pas étayée dans un contexte où la langue apprise est enseignée en tant que matière, et où la langue apprise est limitée en grande partie au contexte scolaire. De la même manière, V. Murphy (2014) cite Larson-Hall (2008), qui a trouvé que les japanophones qui ont commencé plus jeunes à apprendre l’anglais langue étrangère n’avaient pas de meilleurs résultats en morphosyntaxe par rapport aux apprenants qui ont commencé plus tard, ainsi que Marinova-Todd, Marshall et Snow (2008), qui soutiennent que les apprenants plus âgés peuvent avoir autant de succès que les apprenants plus jeunes dans l’apprentissage d’une langue étrangère. V. Murphy (2010) cite également Cenoz (2003), qui a étudié l’effet de l’âge sur la compétence, l’alternance des codes et les attitudes dans l’apprentissage de l’anglais langue étrangère chez des enfants bilingues (basque/espagnol). Ces enfants avaient commencé leur apprentissage à différents âges : 4 ans, 8 ans et 11 ans. L’étude a montré que les enfants plus âgés avaient de meilleurs résultats dans toutes les mesures de compétence en langue. Toutefois, les enfants plus jeunes avaient les meilleures attitudes (les plus positives) et la meilleure motivation.

M. Patkowski (1982) cite Burstall (1975) et Stern (1976), qui n’ont trouvé aucune différence dans la maîtrise de la langue seconde entre les enfants plus âgés et les enfants plus jeunes. Il rappelle que ces études ont comparé des enfants en contexte d’apprentissage formel des langues étrangères et en contexte scolaire. De même, L. Olson et S. Jay Samuels (1982) affirment que la relation entre l’âge et l’acquisition des langues favorisant les jeunes apprenants n’est valable que pour la première langue, et que, d’après les résultats de leur étude, les adultes auraient une meilleure prononciation en langue étrangère.

C. Snow et M. Hoefnagel Höhle (1982a) soutiennent elles aussi cette remise en question de la notion de la période critique pour l’acquisition des langues, suggérant que les enfants plus jeunes ne sont pas meilleurs que les enfants plus âgés et les

adultes dans l’apprentissage des langues étrangères. Elles notent que « in a laboratory study, it was found that the ability to imitate foreign words under controlled input conditions increased linearly with age. » (1982a : 84).

« dans une étude en laboratoire, il a été constaté que la capacité à imiter des mots étrangers dans des conditions d’input contrôlées augmentait de façon linéaire avec l’âge. »

Dans une autre étude, C. Snow et M. Hoefnagel Höhle (1982b) affirment que les résultats ne confirment pas l’hypothèse de la période critique. Elles ont trouvé que l’acquisition de la langue seconde la plus rapide s’est produite chez les apprenants de 12 à 15 ans, et que la moins rapide s’est produite chez les apprenants de 3 à 5 ans. Elles en concluent : « At least as far as second language acquisition is concerned, then the conclusion must be drawn that a critical period extending from age 2 to age 12 does not exist. » (1982b : 108).

« Au moins pour ce qui concerne l’acquisition de la langue seconde, la conclusion devrait donc être tirée qu’une période critique allant de l’âge de 2 ans à l’âge de 12 ans n’existe pas. »

De même, L. H. Ekstrand (1982), qui a étudié l’effet de l’âge sur l’acquisition d’une langue seconde en contexte formel, dans le cadre du projet d’enseignement précoce d’une langue seconde « English without a book » en Suède, affirme que le développement cognitif général, l’apprentissage d’une langue seconde, les mécanismes d’apprentissage de base, la perception, l’imitation et l’apprentissage social s’améliorent tous avec l’âge. Ils sont aussi interreliés positivement. « Thus, there is simply no room for all optimal age and critical period theories which predict a drastic decline in L2 learning ability. » (1982 : 151).

« Il n’y a donc aucune place pour les théories de l’âge optimal et de la période critique qui prédisent un déclin radical de la capacité à apprendre une L2. »

Toutefois, d’autres chercheurs affirment que les apprenants plus jeunes ont des avantages. V. Murphy (2014) cite Pinter (2011), qui soutient que la qualité des

matériels utilisés dans le projet BAF de Muñoz (2006) n’a pas été évaluée et que d’autres recherches (elle cite Mihaljević Djigunović et Vilke, 2000) dans lesquelles l’input et l’enseignement étaient d’une grande qualité ont indiqué un avantage éventuel des apprenants plus jeunes par rapport aux apprenants plus âgés. V. Murphy (2014) cite Mihaljević Djigunović et Vilke (2000), qui ont comparé, dans le cadre d’un projet durant 8 ans en Croatie, des enfants plus jeunes (de 6 à 7 ans) apprenant l’anglais, le français, l’allemand ou l’italien, avec un groupe qui a commencé leur apprentissage de la langue étrangère à l’âge de 10 ans. Les apprenants plus jeunes étaient nettement plus compétents que les apprenants plus âgés en prononciation, orthographe et lexique et ils ont dépassé les apprenants plus âgés dans les tâches faisant appel aux processus d’apprentissage implicites.

Pour C. O’Neil (1993), lorsqu’il s’agit de comparer les apprenants enfants et adolescents/adultes, il est important de distinguer entre l’acquisition à court-terme (rapidité) et le niveau final d’acquisition. La plupart des études à court terme montrent que les apprenants adolescents/ adultes réussissent mieux que les enfants.

Il nous semble maintenant nécessaire de passer en revue les résultats de diverses études centrées sur la différence entre les apprenants enfants et les apprenants plus âgés par rapport aux différents facteurs de l’apprentissage des langues.

4.8.3 La phonologie

Les grandes capacités dont dispose un jeune enfant dans le domaine de la phonologie, c’est-à-dire pour la perception et la reproduction de phonèmes et de schémas intonatifs d’une langue, s’amenuisent très rapidement avec l’âge.

Jusqu’à l’âge de six mois, l’enfant serait capable de percevoir de multiples contrastes phonologiques. Mais au-delà de cet âge, son spectre auditif se réduit progressivement. C’est en effet sa langue maternelle qui conditionne très vite son oreille : il commence à percevoir les phonèmes en fonction des structures phonologiques de celle-ci. Par conséquent, l’enfant devient incapable de percevoir certaines oppositions, existant dans d’autres langues mais qui n’existent pas dans sa langue maternelle. Pour P.

Guberina (1991), il s’agit d’une sorte de filtre ou de « crible phonologique » (1991 : 67).

C. O’Neil (1993), citant A. Guiora et W. Acton (1979), parle de « la facilité apparente avec laquelle les jeunes enfants peuvent assimiler une prononciation authentique dans une langue étrangère, lorsqu’ils sont dans son environnement naturel, et l’apparente inhabilité de presque tout le monde, une fois passée la barrière magique de dix à douze ans, d’assimiler une prononciation authentique dans une langue étrangère, quelles que soient les conditions d’acquisition. » (1993 : 171).

H. Seliger, S. Krashen et P. Ladefoged (1982) ont étudié l’acquisition d’une prononciation native et l’accent étranger chez des immigrés adultes par rapport à leur âge d’arrivée dans le pays d’accueil (aux États-Unis ou en Israël). Ils ont montré que la puberté pourrait constituer un tournant décisif dans la capacité à apprendre des langues et ont confirmé que les accents étrangers ne peuvent pas être facilement surmontés après la puberté. De même, S. Oyama (1982a) a examiné l’existence d’une période sensible pour l’acquisition du système phonologique d’une langue non-native, chez des immigrés nés en Italie et habitant dans la zone métropolitaine de New York, qui avaient appris l’anglais à leur arrivée aux États-Unis. Son étude a montré la relation entre l’âge du début de l’apprentissage et le degré d’accent. S. Oyama (1982b) a également examiné la relation entre l’âge du début de l’apprentissage et la compétence de compréhension orale. Elle conclut que « There is evidence, then, that there is a strong age effect, not only on the ability to speak a second language with a convincing accent, but also on the ability to understand it effectively. » (1982b : 45). « Il existe donc de l’évidence de l’effet important de l’âge, non seulement sur la capacité à parler une langue seconde avec un accent convaincant, mais aussi sur la capacité à la comprendre effectivement. »

Elle note que les sujets qui avaient commencé à apprendre l’anglais avant l’âge de 10 ans avaient tendance à ressembler aux locuteurs natifs pour ce qui concerne leur capacité à comprendre du discours masqué. Par contre, ceux qui avaient commencé au début de l’adolescence s’écartaient des niveaux natifs et ceux qui avaient commencé

après la mi-adolescence ont obtenu des résultats moyens nettement inférieurs en compréhension.

Dans le domaine de la phonologie, C. Hagège (1996), cité par H. Vanthier (2009), fait un constat intéressant, concernant non pas les capacités de perception, mais plutôt les inhibitions corporelles liées à la puberté, qui constitueraient un frein au développement des capacités articulatoires de l’enfant. Pour lui, les articulations des sons d’une langue sont des « gestes sociaux » ou des gestes culturels qui appartiennent à la culture d’une communauté, tout comme les autres gestes. Les membres d’une communauté acquièrent dès l’enfance les habitudes articulatoires de leur langue maternelle. C. Hagège postule que l’acquisition des gestes culturels, aisée et naturelle chez le jeune enfant, deviendrait plus difficile à partir de l’âge de 7 ans. Afin de produire les sons d’une langue étrangère, l’apprenant est obligé de réaliser de nouveaux gestes articulatoires : placements de la langue, des lèvres, du nez et des mimiques. Selon C. Hagège, le jeune enfant (jusqu’à l’âge de 7 ans) n’aura pas d’inhibitions dans la réalisation de ces gestes. En revanche, un enfant plus âgé, surtout à partir de la puberté, sera plus soucieux de son image sociale et craindra par conséquent « le regard du groupe habitué par la culture dominante du lieu à d’autres mouvements du visage dans lesquels il reconnaît son identité. » (2009 : 41).

Quelles en sont les conséquences pour l’enseignement d’une langue étrangère aux enfants ? A l’âge où l’enfant commence cet apprentissage, il est déjà conditionné par le filtre de sa langue maternelle, au travers duquel il va percevoir et donc articuler les phonèmes de la langue étrangère. Comme le dit H. Vanthier (2009), « Certains chercheurs estiment qu’à l’âge de 5 ans, la ‘surdité’ aux langues étrangères est déjà fortement installée ; d’autres considèrent que c’est au-delà de 10 ans que la fossilisation des aptitudes non stimulées devient difficilement réversible. » (2009 : 40).

Pourtant, des exceptions existent apparemment. Certains apprenants qui commencent l’étude d’une langue étrangère à l’âge adulte parviennent à une maîtrise phonologique parfaite. Certains chercheurs, comme G. Neufeld (1979), cité par O’Neil (1993), rejettent donc l’hypothèse de Lenneberg et postulent que la capacité à apprendre des langues étrangères ne décroît pas avec l’âge et que « la disparité des performances des

enfants et des adultes peut s’expliquer principalement par des facteurs sociaux et psychologiques qui sont indépendants des capacités psycho-linguistiques. » (1993 : 171).

Il est également intéressant de noter, parmi les exceptions, ce que certains auteurs ont relevé dans le domaine de la phonologie, concernant les capacités de l’enfant et de l’adulte. H. Vanthier (2009), citant D. Goanac’h (2006), remarque que de meilleures capacités de reproduction des sons ont été relevées chez l’adulte, « étant donné que certaines difficultés rencontrées chez les jeunes enfants peuvent en outre relever de difficultés articulatoires et/ou attentionnelles inhérentes à leur niveau de développement et à leur capacité de concentration. On retrouve d’ailleurs ces difficultés aussi bien en langue maternelle qu’en langue étrangère. » (2009 : 40). Pour A. Pinter (2011), si l’on ne peut pas nier l’avantage dont disposent les enfants pour parvenir à un accent presque natif et à une prononciation authentique, il faudrait signaler que de nombreuses recherches ont montré que des apprenants plus âgés, même adultes, sont capables de maîtriser un accent et une prononciation presque natifs, s’ils sont motivés et bénéficient d’un enseignement formel. A. Pinter (2011) cite l’exemple des études menées aux Pays-Bas par T. Bongaerts et ses collègues. Ces études portaient sur des apprenants adultes qui avaient commencé à apprendre l’anglais à l’âge de 12 ans, à raison de deux heures par semaine, dans des cours assurés par des enseignants non-natifs. Ils avaient continué à apprendre l’anglais à l’université (où ils avaient bénéficié d’un enseignement formel de la prononciation et de la phonologie) et après leurs études, ils avaient passé un an en Grande-Bretagne. Les résultats des tests réalisés dans le cadre de ces études ont été surprenants : certains apprenants avancés avaient atteint le niveau linguistique d’un locuteur natif. Citant Bongaerts (1999), A. Pinter (2011) évoque trois raisons qui pourraient expliquer cette réussite : « Firstly, it is of vital importance to them that they should sound native ; secondly, they have continued access to massive amounts of authentic input ; and thirdly, they had focussed training in phonetics, targeting the differences between their L1 and L2 systems » (2011 : 59).

« Premièrement, il est indispensable pour eux de parler comme des natifs ; deuxièmement, ils ont un accès permanent à des quantités énormes d’input

authentique ; et troisièmement, ils ont reçu un entraînement axé sur la phonétique, ciblant les différences entre le système de leur L1 et celui de la L2. »

C. Muñoz (2009) signale que dans les situations d’enseignement des langues étrangères, l’input en L2 est limité non seulement en termes de quantité et d’intensité, mais il peut aussi être limité en termes de qualité. Elle précise que l’input peut être de qualité insuffisante du point de vue phonologique si les apprenants reçoivent de leurs enseignants un input caractérisé par un accent étranger et elle postule, citant Flege (1991), qu’en dépit d’un âge précoce de début de l’apprentissage d’une L2, les apprenants ne seront pas capables de percevoir et de produire correctement les sons de la L2 s’ils ont reçu de l’input caractérisé par un accent étranger.

V. Murphy (2010) cite García Lecumberri et Gallardo (2003), qui ont examiné la relation entre l’âge dans l’apprentissage de l’anglais langue étrangère et la prononciation en anglais, chez des enfants bilingues (basque/espagnol) qui avaient commencé leur apprentissage à différents âges. Les chercheurs soutiennent que l’âge auquel un apprenant commence son apprentissage de l’anglais langue étrangère ne constitue pas un élément facilitateur pour l’acquisition des sons de la langue étrangère. D’après V. Murphy (2010), cette conclusion est particulièrement intéressante étant donné que de nombreuses recherches ont suggéré que si la période critique existe, c’est pour la phonologie.