• Aucun résultat trouvé

Le développement du langage chez l’enfant

2.1 Le développement du langage

Dans le premier grand courant théorique, celui du behaviorisme, des chercheurs tels que Ivan Pavlov (1849 – 1936) et Burrhus Frederic Skinner (1904 – 1990) ont mis l’accent sur le rôle du conditionnement dans le comportement d’un individu, en insistant sur l’influence des récompenses et des punitions. Pour les béhavioristes, ce qui compte, ce sont les contingences de renforcement. Si une action de l’individu donne lieu à une conséquence bénéfique, cette dernière renforce positivement l’action, qui va donc s’installer durablement. Par contre, si une action donne lieu à une conséquence néfaste, elle est renforcée de façon négative et va disparaître du répertoire des actions de l’individu. Skinner a appliqué les théories behavioristes à l’acquisition du langage. Selon son approche dite comportementaliste (ou béhavioriste), l’enfant acquiert le langage dans une sorte de « bain de langage », par imitation, en écoutant et en reproduisant ce que dit l’adulte. Lorsque l’enfant

commence à reproduire des mots compréhensibles, ses tentatives sont renforcées positivement par ses parents ou l’adulte référent. Le modèle de Skinner repose donc sur l’imitation par l’enfant des modèles qui lui sont proposés dans son environnement, par une démarche d’essais, d’erreurs et de récompenses successives.

L’approche béhavioriste a eu ses heures de gloire, mais elle a également fait l’objet de critiques pour sa vision réductrice du langage. Comme le dit C. Bolotte, professeur de philosophie à l’I.U.F.M. des Pays de la Loire, « c’est ne pas reconnaître la spécificité du langage, comme activité psychique complexe et le réduire à un simple comportement ; l’enfant, par ailleurs, ne sait pas qu’il apprend, par manque de détermination des compétences travaillées, des actes de langage en jeu ». H. Vanthier (2009) quant à elle remet en question la notion de l’acquisition dans le bain linguistique, en soulignant que « le trait d’humour du linguiste Alain Bentolila sur les risques de noyade dans le bain de langage montre à l’évidence les limites d’un apprentissage par imprégnation. » (2009 : 33).

Le deuxième grand courant que nous évoquerons ici concerne une approche innéiste ou maturationniste de l’acquisition du langage, postulée par le linguiste américain Noam Chomsky (né en 1928). Chomsky a radicalement remis en question la perspective béhavioriste de l’acquisition du langage. Pour lui, l’acquisition du langage ne peut pas être réduite à un répertoire de réponses à des stimuli. En effet, un jeune enfant est capable, avant tout enseignement formel, de produire une phrase cohérente qu’il n’a jamais entendue auparavant. Chomsky a donc formulé, dans les années cinquante, une nouvelle approche selon laquelle le développement du langage est un processus programmé à partir d’un dispositif inné, suivant un ordre fixe. Chomsky postule qu’un enfant dispose de règles grammaticales innées et qu’il n’imite pas quand il apprend à parler. En effet, il apprend à parler en formulant des hypothèses sur les règles de grammaire, à partir d’un ensemble d’exemples entendus de façon régulière. L’enfant teste ensuite ces hypothèses en les utilisant. Chomsky a avancé l’idée d’une grammaire universelle : pour lui, les langues, bien que différentes, présentent des principes sous-jacents uniformes.

L’approche innéiste de Chomsky a été elle aussi vivement critiquée car elle a fait l’impasse sur le rôle des interactions dans le développement du langage. D’après C.

Bolotte, « il y a bien un ordre d’acquisition, un processus constant de développement, mais il se fait dans les échanges avec l’entourage, dans cette interaction ; le langage repose sur des dispositifs neurologiques innés, nécessitant une médiation culturelle et sociale ».

Le troisième courant sur lequel nous nous attarderons est issu des travaux du psychologue suisse Jean Piaget (1896 – 1980). Piaget s’est penché sur le développement cognitif des jeunes enfants. Selon l’approche piagétienne, dite constructiviste ou cognitiviste, le développement cognitif est le fruit d’interactions complexes entre la maturation du système nerveux et celle du langage. Cette maturation dépend des interactions sociales et physiques entre l’enfant et le monde qui l’entoure. Piaget postule que l’enfant construit ses premiers raisonnements en agissant sur son environnement. Ces structures cognitives (Piaget les appelle aussi des schèmes de pensée), qui sont au départ complètement différentes de celles de l’adulte, s’intériorisent progressivement pour devenir de plus en plus abstraites.

Piaget distingue quatre stades de développement où émergent des capacités cognitives particulières.

Au stade sensorimoteur (de la naissance à environ 2 ans), l’enfant découvre le monde qui l’entoure par le biais de ses mouvements et de ses sensations. Il palpe, lance ou met dans sa bouche chaque nouvel objet pour en comprendre les caractéristiques, suivant une démarche d’essais et d’erreurs. Au milieu de ce stade, il comprend que les objets continuent d’exister même quand ils ne sont plus dans son champ de vision.

Au stade pré-opératoire (2 ans à 6-7 ans), caractérisé par l’avènement du langage, l’enfant devient capable de penser en termes symboliques (se représenter les choses à partir de mots ou de symboles). Il développe des capacités telles que transformer, inventer, imiter et réaliser des actes fictifs. Par exemple, lors d’un jeu, une trousse peut devenir un téléphone. Pendant cette période, l’enfant saisit les notions de quantité et d’espace et la distinction passé/ présent/ futur, même s’il reste centré sur le présent. Selon Piaget, sa pensée est « égocentrique » en ce qu’il conçoit les situations uniquement de son propre point de vue, ignorant l’existence de l’autre. Vers la fin de

cette phase, l’enfant apprend à se décentrer de l’ « ici » et du « maintenant », mais sa pensée concerne encore les choses concrètes, même si celles-ci sont éloignées dans l’espace et dans le temps.

Au stade des opérations concrètes (6-7 ans à 11-12 ans), l’enfant devient capable d’envisager des événements qui surviennent en dehors de sa propre vie. Il commence à s’ouvrir au monde extérieur et s’y intéresser, et à raisonner de manière concrète en empruntant à sa propre expérience du monde. A ce stade, il peut aborder, grâce à un certain degré d’abstraction, des disciplines telles que les mathématiques, où il peut résoudre des problèmes avec des nombres, coordonner des opérations dans le sens de la réversibilité, mais toujours concernant des phénomènes observables. La coopération, la décentration et la prise en compte de l’autre caractérisent ce stade. Enfin, au cours du dernier stade, celui des opérations formelles (à partir de 11-12 ans), l’enfant développe les capacités à faire des raisonnements par hypothèses et déductions et à établir des relations abstraites. Ces capacités seraient généralement maîtrisées autour de l’âge de 15 ans. A la fin de ce stade, l’adolescent peut alors, comme l’adulte, utiliser une logique formelle et abstraite. Il peut également se mettre à réfléchir sur des probabilités et sur des questions morales comme la justice.

Selon Piaget, l’action et l’expérience du monde jouent un rôle prépondérant dans l’élaboration des processus cognitifs. L’enfant construit ses connaissances de son environnement en fonction non seulement de ses perceptions et des enseignements, mais aussi sur la base des expériences et des découvertes qu’il fait en agissant sur les objets.

La notion piagétienne des stades de développement fixes et séquentiels, à travers lesquels tous les enfants progressent a été l’objet de plusieurs critiques. Comme le dit H. Vanthier (2009), d’autres psychologues comme H. Wallon (1999) et J.-S. Bruner (1983) ont mis l’accent sur le rôle des influences sociales et environnementales. Selon H. Wallon, les facteurs biologiques, affectifs et sociaux sont nécessaires, complémentaires et inséparables du développement de l’enfant. L’enfant est en effet un être fondamentalement social, qui développe son intelligence à travers ses interactions avec les adultes qui l’entourent et le guident. En effet, tout enfant a

besoin, pour son développement affectif et intellectuel, d’une relation intime, chaleureuse et stimulante à son environnement. En l’absence de cette relation, l’enfant peut souffrir de problèmes de raisonnement, de motivation et d’attachement.

Pour H. Vanthier (2009), « l’expérience brute ne suffit pas au développement, elle doit être soumise à l’exercice de l’intelligence discursive, qui va permettre de nommer le monde et de sortir l’expérience de la subjectivité du moment. C’est elle la véritable source de la connaissance, puisqu’elle permet d’organiser, de différencier, de rompre avec la situation concrète. L’objet de connaissance doit être représenté, construit, interprété. Le langage étant le pivot de ce processus, il a donc un rôle modelant et structurant pour le cerveau. » (2009 : 20).

De même, pour le psychologue russe Lev Vygotsky (1896 – 1934), le développement d’un être humain est trop complexe pour être défini par des stades tels que proposés par Piaget. Vygotsky a accordé une importance beaucoup plus grande que Piaget aux influences sociales et environnementales sur le développement cognitif de l’enfant. Si pour Piaget, le développement cognitif de l’être humain était un processus dont la motivation première provenait de l’intérieur de l’individu, Vygotsky considérait qu’il provenait plutôt de l’extérieur de l’individu. Ce contraste de points de vue est souligné si l’on oppose la conception piagétienne de l’enfant en tant que « petit scientifique » qui expérimente et explore le monde, à la conception vygotskienne, qui voit l’enfant comme un « petit apprenti » qui reçoit de ses professeurs le soutien dont il a besoin dans les situations d’apprentissage.

Enfin, le quatrième courant que nous aborderons s’inspire justement de cette conception vygotskienne de l’acquisition du langage. Le psychologue américain Jérôme Bruner (né en 1915), a rejeté le modèle innéiste chomskyen, mettant quant à lui l’accent sur le caractère social et interpersonnel du langage. Il a fondé son approche interactionniste sur la conception selon laquelle le langage est un outil social de communication qui sert à établir des relations entre les individus. Selon cette position, l’interaction entre l’enfant et un environnement stimulant et bienveillant est le moteur de l’acquisition du langage. L’enfant n’apprend pas tout seul à développer son langage, il le fait en interaction avec les adultes (ou les plus grands) qui

l’entourent, ses partenaires privilégiés dans son apprentissage. Bruner postule que l’enfant rend compte qu’il peut faire des choses avec le langage : demander, accepter, refuser, désigner. Pour H. Vanthier (2009), l’enfant « n’entre dans le langage que quand il comprend que le langage sert à faire, avec des mots, quelque chose qui a du sens et qui lui permet d’agir sur son environnement. » (2009 : 33).

H. Haeffele et M. Weiss (2003) soulignent eux aussi le rôle de l’adulte dans le développement du langage chez le jeune enfant. Pour eux, « Le jeune enfant apprend à parler parce qu’il est plongé dans un monde de paroles. La langue est devant l’enfant et il doit la conquérir. Pour cela, il faut qu’il profite de la coopération bienveillante des adultes qui lui fournissent les ensembles linguistiques adaptés au moment où ils lui font défaut. Les mêmes ensembles doivent apparaître avec une certaine fréquence pour que l’enfant puisse se les approprier par une démarche d’essais et d’erreurs, l’adulte rectifiant les erreurs par la bonne forme. …(En général, il stimule et aide l’enfant à se dépasser un peu, se situant donc dans la zone proximale de développement (Vygotsky). » (2003 : 34).