• Aucun résultat trouvé

Statut du musicien romantique …

5.2. Statut du musicien romantique

5.2.1. Contexte

D’après R. L. Pajares Alonso, avec la disparition du patronage musical ecclésiastique et aristocratique, le musicien professionnel au début du XIXe siècle, libre de mener sa carrière, entre définitivement dans le nouveau marché économique qui, en revanche, l’expose à une insécurité économique. Le sociologue Pierre-Michel Menger souligne que ce changement dans le système d’organisation de la vie musicale, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, ont conduit au développement de nouvelles formes rémunérées d’activité à destination d’un public plus large, modifiant également les conditions de professionnalisation des musiciens : essor des concerts publics payant, revenus procurés par l’édition des partitions (œuvres originales, transcriptions, arrangements), alimentation en œuvres nouvelles, développement de l’enseignement musical, multiplication des prestations orchestrales et instrumentales qui font circuler les œuvres3

. Tout cela concourt à fournir des commandes aux compositeurs, les opéras peuvent être particulièrement lucratifs4

, et de l’emploi aux interprètes. De plus, les progrès techniques dans l’impression musicale et la facture instrumentale entraînent des

1 MCWILLIAM Neil, MÉNEUX Catherine, RAMOS Julie, « Introduction », p. 27.

2 Cf. TOLSTOÏ Léon, Qu’est-ce que l’art ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 1°éd., Librairie Perrin, 1931.

3 MENGER Pierre-Michel, « Le génie et sa sociologie. Controverses interprétatives sur le cas Beethoven »,

Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57e année, n°4, 2002, p. 967-999, disponible via http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_2002_num_57_4_280089 [consulté le 10/04/2016].

modifications sur le marché de la musique, selon Hans Erich Bödeker, grâce notamment à l’essor de l’édition musicale, aux changements esthétiques et juridique de l’œuvre musical, processus de commercialisation qui apporte en l’occurrence une certaine autonomie au compositeur1

. En effet, les œuvres des compositeurs sont de plus en plus protégés par des droits d’auteurs versés lors de l’exécution de celles-ci, droits gérés dès 1851 en France avec la création de la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM). Enfin, si les débuts de la critique musicale remontent au XVIIIe siècle, elle se développe en même temps que la presse écrite. Présente dans les journaux généralistes, la critique musicale finit progressivement par avoir sa presse spécialisée (revues, journaux) où littéraires, instrumentistes, compositeurs ou musicologues peuvent y trouver une source de revenu complémentaire à leurs activités principales.

5.2.2. Un musicien nouveau

Au début du XIXe siècle, un genre nouveau de musicien apparaît. Animé par l’émancipation du système de patronage musical et par les idées de la Révolution Française, il rejette l’académisme et impose de plus plus ses œuvres, ou celles des autres, à son nouvel auditoire qu’est la société bourgeoise2

, qui elle-même entretient une pratique amateur de la musique. Aussi, comme les autres artistes, il ne crée plus pour gagner sa vie, mais il la gagne pour pouvoir créer3

. D’ailleurs, le métier de musicien n’est plus systématiquement transmis de père en fils comme auparavant, mais il devient une vocation. Ainsi, n’importe qui ayant cet appel de l’art, quel que soit l’origine de son milieu social, peut devenir artiste. À cet égard, bon nombre de musiciens proviennent des classes moyennes ou bourgeoises, ayant reçu une éducation musicale au sein du cercle familial pour se perfectionner en vue d’une carrière professionnelle dans les nombreux Conservatoires qui ont proliféré au XIXe siècle.

Cette nouvelle approche du métier accorde aux musiciens un nouveau statut à leur profession que N. Heinich qualifie de vocationnel, en parlant de personnalités devenues artistes par vocation4

. Ayant abandonné définitivement son étiquette d’artisan subordonné, le musicien, comme les autres artistes, est perçu comme un être possédant un don inné et habité par l’inspiration qui le rendent capable de donner une vision personnelle du monde, de ses

1 BÖDEKER Hans Erich, VEIT Patrice, WERNER Michael dir., Le concert et son public. Mutations de la vie

musicale en Europe de 1780 à 1914 (France, Allemagne, Angleterre), Paris, Éditions de la Maison des

Sciences de l’Homme Paris, 2002.

2 HEINICH Nathalie, L'élite artiste, excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Éditions Gallimard, 2005.

3 Ibid.

propres sentiments comme ceux de l’humanité. Incompris et marginalisé par ses contemporains, il vit plus ou moins dans la misère et en marge de la société, œuvrant pour la postérité. Il s’agit là de l’image du génie romantique et de l’idéalisation de sa singularité artistique1

, dont les œuvres revêtent un caractère mystique et religieux. Conscients de leur nouveau statut, les artistes cherchent à s’instituer en une sorte d’élite aristocratique et à conquérir leur place au sein de la démocratie bourgeoise2

, grâce à la reconnaissance de leur talent et de leur travail, notion qui est dorénavant valorisée au XIXe siècle. De plus, cette ascension sociale de l’artiste fut favorisée par le déclin de la religion dans la société occidentale de cette époque, remplacée par la foi en l’art et la science3

.

Le système de patronage musical étant tombé en désuétude dans la plupart des pays européens (il subsiste encore dans les pays germanophones), musicien, compositeurs comme interprètes virtuoses dépendent professionnellement des maisons d’opéra et des salles de concerts, ainsi que des institutions d’enseignement musical, publiques comme privées. D’ailleurs, une distinction commence à s’opérer entre le compositeur et l’interprète. Ce dernier est de plus en plus au service du compositeur (perçu comme un génie) qui lui confie l’interprétation de ses œuvres.

D’autre part, si le nombre de maîtres de chapelle ecclésiastique a fortement diminué, le titre de Kantor subsiste encore dans les pays germaniques, tandis que les organistes d’églises situés dans des villes moyennes ou petites peuvent être à la fois maître d’école. Cependant, les cours germaniques conservent encore le titre de kapellmeister, dont la fonction principale, majoritairement profanes, est de d’organiser et de diriger les concerts de la cour, allant de l’opéra au répertoire symphonique. Dans les villes apparaissent des ensembles chorales ou instrumentaux amateurs.

Par ailleurs, le XIXe siècle connaît une prolifération importante des orchestres professionnels, l’une des principales source d’emploi pour la plupart des instrumentistes avec l’enseignement, dont la plupart sont issus de familles de musiciens4

. Cependant, à mesure que les œuvres orchestrales sollicitent toujours plus de musiciens – la complexité grandissante des partitions et l’effectif orchestral important rendent la direction depuis le premier violon de plus en plus difficile – la figure du chef d’orchestre finit par s’imposer à partir des années 1860. Jusqu’à cette décennie, il n’y avait pas réellement de professionnels pour assurer exclusivement ce rôle comme on le connaît de nos jours. Les chefs d’orchestre étaient souvent

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Ibid.

des compositeurs, comme Louis Spohr (1784-1859), Carl Maria von Weber (1786-1829), Hector Berlioz (1803-1869), Felix Mendelssohn (1809-1847) ou encore Richard Wagner (1813-1883), qui marquèrent les débuts d’une profession, dont Hans von Bülow (1830-1894) est considéré comme le premier à avoir fait carrière1

. De plus, les chanteurs et les instrumentistes virtuoses solistes sont adulés du public. Ils effectuent de nombreuses tournées, aussi bien dans les grandes salles de concert que dans les salons, où les instrumentistes présentent aussi bien leurs propres compositions que celles des autres. Les chanteuses lyriques, les pianistes et les violonistes sont les grandes vedettes du public, dont certains connaissent une gloire qui leur permet d’atteindre une situation sociale élevée. Franz Liszt fut l’une de ces personnalités idolâtrées par ses « fans » au début de sa carrière de pianiste virtuose. Cependant, marqué par la pensée de Lamennais et de Saint-Simon qui réfléchissent à la fonction sociale de l’art, Liszt s’est progressivement éloigné des salons mondains pour se tourner vers le peuple.