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Les musiciens dans le Proche-Orient ancien …

Enfin, si l’on ignore le mode de transmission de la musique à la Préhistoire, on ne peut que supposer qu’il relevait d’un apprentissage oral, manière de faire qui a subsisté tout au long des siècles, jusqu’à nos jours encore pour l’apprentissage d’instruments, de chants et de styles musicaux traditionnels en Europe et dans le monde. On imagine que ce savoir spécial détenu par un maître se transmettait à l’élève qui écoutait, mémorisait et imitait2

. Au même titre que les familles de musiciens ont toujours existé, il est possible que dans les sociétés de la Préhistoire les hommes se transmettaient les savoirs musicaux de génération en génération, comme cela existe encore de nos jours. De même que dans les sociétés traditionnelles, ces musiques de tradition orale se présentent comme des œuvres collectives transmises trangénérationnellement, et qui symbolisent un lien social très fort et contribuent à renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe social ou identitaire3

.

Il y a 10 000 ans, un bouleversement majeur se produisit pour le devenir de l’homme. La découverte de l’agriculture contribue à l’émergence des premières sociétés sédentaires, basées sur l’activité agricole, dotées de structures sociales complexes. En effet, les premières grandes civilisations de la Mésopotamie organisent et régissent leur société de manière hiérarchisée, où chaque individu a une fonction spécifique. Mis à part ceux qui exercent une fonction étatique ou religieuse, les activités spécialisées (artisanales par exemple) se professionnalisent, dont la musique. Cet art tient une place spécifique et importante dans les sociétés mésopotamiennes qui offrent aux musiciens un statut professionnel, où une hiérarchisation prévaut selon leur fonction ou l’instrument joué.

1. 2. Les musiciens dans le Proche-Orient ancien

1.2.1. Dans les civilisations mésopotamiennes

Les divers sites archéologiques d’Ur, Ebla, Mari, Babylone, Uruk, Assur ou encore Ugarit, ont livré de multiples sources témoignant de plus de trois millénaires d’activité musicale : des

1 Cf. chapitre XII p. 196.

2 CLODORÉ-TISSOT Tinaig, KERSALÉ Patrick et TOSELLO Gilles, op. cit., p. 115. 3 Ibid.

lettres (correspondances administratives, économiques et juridiques), différentes archives (administratives, royales et religieuses), des textes littéraires et religieux, l’iconographie (bas-reliefs, sceaux-cylindres, stèles, peintures, statuaire), des vestiges d’instruments et quelques rares écrits relatifs à la théorie musicale. Ainsi, il apparaît que les Sumériens ont été les premiers à avoir développé une profession musicale organisée et représentée dans des images1

. Cette profession se pratique dans toutes les sphères sociales, non seulement de manière indépendante, mais aussi et surtout au service d’une instance étatique ou religieuse. Par ailleurs, il faut souligner que l’organisation de ces sociétés, la place et le rôle qu’elles donnent aux musiciens, les font entrer dans un régime que l’on peut qualifier de « subordonnés » (musiciens « au service de »), statut qui perdura jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en Europe.2

Ces civilisations de la Mésopotamie créent différents statuts spécifiques du musicien, selon que l’on soit un homme ou une femme. On distinguait ainsi les musiciens de cours, les musiciens de temples, les musiciens itinérants, les musiciennes concubines et les musiciens eunuques, chaque groupe disposant lui-même d’une hiérarchie. Ils n’étaient pas des individus solitaires et marginalisés, mais prenaient part à la vie de la Cité, concourant au bon fonctionnement de celle-ci. À l’époque paléo-babylonienne (2002-1595 av. J.-C.), on pensait que la musique était même nécessaire à la survie de la société. En effet, les Mésopotamiens craignaient que le bruit ambiant des villes très peuplées, généré par les diverses activités citadines, dérange les dieux et, par conséquent, menace les populations. Afin de calmer l’inquiétude ou la colère des dieux, la musique était perçue comme un moyen d’éviter tout cataclysme, faisant des musiciens des spécialistes indispensables à la survie de l’humanité3

. C’est pourquoi elle est présente non seulement à la cour et au temple, dans le domaine militaire, mais aussi chez de hauts dignitaires et des nobles, indispensable à leurs pratiques religieuses quotidiennes comme à leurs divertissements. En somme, la musique servait à diverses occasions et dans des contextes différents, quelle que soit la sphère sociale. Elle accompagnait même les défunts dans l’au-delà puisque des instruments de musique ont été retrouvés en contexte funéraire. Le plus bel exemple est le fameux cimetière royal d’Ur.

1 WIORA Walter, op. cit., p. 48.

2 Notons que du XIXe siècle à nos jours, il existe encore des musiciens au service de l’État et de l’Église.

3 ZIEGLER Nele, « Le statut social des musiciens à l’époque paléo-babylonienne », Le statut du musicien dans

la Méditerranée ancienne: Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome, actes de la table ronde internationale tenue à Lyon, Maison de l’Orient et la Méditerranée (université Lumière Lyon 2) les 4 et 5 juillet 2008, Lyon,

Sibylle EMERIT éd., Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, « Bibliothèque d’Étude », n. 159, 2013, p. 48.

ZIEGLER Nele, « Les rois et leurs musiciens en Mésopotamie », Les sons du pouvoir dans les mondes anciens, Maria Teresa SCHETTINO et Sylvie PITTIA dir., Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2012, p. 25-45.

La plupart des musiciens appartiennent aux temples et/ou aux palais1

. Les chanteurs et les musiciens sont désignés par le terme nar et les lamentateurs par gala. En akkadien, ils sont nommés respectivement nâru et kalû. À la cour, la musique intervenait lors de banquets (funéraire, religieux, laïc ou pour fêter une victoire, un mariage), dans les rites religieux, et les divertissements profanes, tout en étant l’un des éléments de prestige du pouvoir. Les musiciens et les chanteurs, hommes libres et esclaves2

, faisaient partie du personnel palatial. Le nar/nâru travaille aussi bien à la cour qu’au temple, et maîtrise différents instruments, ce qui témoigne de grandes capacités musicales. L’une de ses plus importantes obligations est d’interpréter les hymnes divins et royaux3

. Profession hiérarchisée, on distinguait les nar/nâru des nar-tur ou nar-gibil, « jeune musicien, chanteur », placés sous l’autorité du nar-mah (sumérien) ou nargallum (akkadien), le chef de musique4

, le plus haut rang dans la hiérarchie musicale avec un statut social élevé et une situation matérielle aisée5

. Nommé par le souverain, celui-ci lui confie la direction de la vie musicale de la capitale. C’est-à-dire qu’il est responsable des musiciennes et des musiciens entretenus par le palais, de leur recrutement et de leur affectation à un poste, de l’organisation de l’apprentissage et qu’il décide du contenu des enseignements. C’est à lui que revient encore la gestion du stock d’instruments, celle des ensembles (chœurs et orchestre), ainsi que l’organisation des représentations6. Même s’il est un serviteur du roi, son rang équivaut à celui de ministre7 puisqu’il est autorisé à correspondre avec le souverain, et que ce dernier lui confie des missions diplomatiques8. Son lieu de travail et de résidence dans la capitale est le mummum, que Nele Ziegler traduit par « conservatoire ». Dans ce lieu de transmission des antiques traditions cultuelles sumériennes réservé aux hommes, des instructeurs y forment des musiciens, des danseurs et des clowns. Cette institution est aussi dédiée à la fabrication, à la réparation et au stockage des instruments9

. Ainsi, l’apprentissage de la musique est institutionnalisé, notamment à Mari (actuellement près de Abou Kamal en Syrie).

1 PRUZSINSZKY Regine, « Hommes, femmes et enfants dans la musique », La musique au Proche-Orient ancien:

instruments et statuts des musiciens, la musique dans la Bible et chez les Hittites, Nele ZIEGLER coord., Dossiers Archéologie et Sciences des origines n°310, Dijon, Faton, Février 2006, p. 40-41.

2 ZIEGLER Nele, op. cit., p. 25-45. 3 PRUZSINSZKY Regine, op. cit., p. 41. 4 Id., p. 41.

5 ZIEGLER Nele, « Le musiciens de la cour de Mari », La musique au Proche-Orient ancien: instruments et

statuts des musiciens, la musique dans la Bible et chez les Hittites, Nele ZIEGLER coord., Dossiers Archéologie et Sciences des origines n°310, Dijon, Faton, Février 2006, p. 36-37.

6 ZIEGLER Nele, « Le statut social des musiciens à l’époque paléo-babylonienne », op. cit., p. 50. ZIEGLER Nele, « Les rois et leurs musiciens en Mésopotamie », op. cit., p. 25-45.

7 ZIEGLER Nele, « Le statut social des musiciens à l’époque paléo-babylonienne », op. cit., p. 50.

8 Selon N. Ziegler, il peut aussi bien intervenir dans l’organisation de mariages princiers comme dans les négociations de paix.

La situation des musiciennes est différente de celle de leurs collègues masculins. Elles étaient instruites dans une autre structure appelée bît tegêtim, que N. Ziegler traduit par « maison des joueuses de lyres », sorte de conservatoire pour former les femmes appartenant au harem1

. En effet, une majorité d’entre elles vivent au palais, dans la mesure où la plupart y sont nées – fruit des relations que le roi entretenait avec ses concubines. Le reste du harem se compose de prisonnières de guerre ou de cadeaux. Le statut de ces femmes semble être celui d’esclave, la plupart d’entre elles sont formées, sous la supervision et l’autorité du

nar-gal/nargallum, pour devenir des musiciennes compétentes. Les différents termes qui

existaient pour désigner ces dernières montrent qu’une hiérarchie prévalait également parmi elles : munus-nar-tur pour « jeune musicienne », nar-munus (sumérien)/nârtum (akkadien) pour « musicienne », et au Ier millénaire munus-nar-gal pour « la grande musicienne »2

. Elles avaient pour fonction d’être au service du roi, voire d’en devenir la concubine ; d’autres étaient destinées à être offertes en cadeau à des souverains étrangers ou à de hauts dignitaires3

. À ce propos, la correspondance royale qui nous est parvenue révèle que les musiciennes et les musiciens étaient des « présents » très recherchés4

. Les musiciennes sont appelées à jouer de la musique d’agrément, profane, en orchestre, mais aussi à intervenir dans le culte quotidien palatial, notamment auprès de la reine pour accomplir des rites religieux. Enfin, elles sont sollicitées lors de grandes fêtes religieuses où elles sont associées à leurs collègues masculins pour participer à la réalisation des litanies cultuelles5.

De tous ces éléments, nous comprenons que les souverains, mais aussi les nobles, portaient un grand intérêt à la musique et au personnel dédié à cette activité, de par l’éducation musicale et instrumentale reçue durant leur enfance. N. Ziegler imagine que la pratique musicale faisait partie des qualités attendues d’un « honnête homme », comme au siècle des Lumières6

. Ce fut le cas par exemple du roi Shulgi au IIIe millénaire av. J.-C., ou Yasmah-Addu au XVIIIe siècle av. J.-C.7

Dans le culte religieux, un groupe hiérarchisé de musiciens professionnels faisait partie du personnel du temple. On distinguait ainsi le gal (prêtre lamentateur), le gala-mah (chef des prêtres lamentateurs), le gala-tur (apprenti prêtre lamentateur), gala-mah-lugal (chefs des

1 ZIEGLER Nele, Les musiciens et la musique d’après les archives de Mari, Florilegium marianum IX, Mémoire de NABU 10, Paris, 2007, p. 77-19.

2 PRUZSINSZKY Regine, « Hommes, femmes et enfants dans la musique », op. cit., p. 41.

3 ZIEGLER Nele, « Le statut social des musiciens à l’époque paléo-babylonienne », op. cit., p. 58-61. 4 PRUZSINSZKY Regine, op. cit., p. 36.

5 ZIEGLER Nele, « Le statut social des musiciens à l’époque paléo-babylonienne », op. cit., p. 58-61. 6 ZIEGLER Nele, « Les musiciens de la cour de Mari », op. cit., p. 36.

7 ZIEGLER Nele coord., La musique au Proche-Orient ancien: instruments et statuts des musiciens, la musique

dans la Bible et chez les Hittites, Dossiers Archéologie et Sciences des origines n°310, Dijon, Faton, Février

prêtres lamentateurs du roi), le gala-lugal (prêtre lamentateur du roi), gala-lugal-ra-us-sa (prêtre lamentateur qui suit le roi) et le gala-ma-da-ab-us (prêtre lamentateur du second rang). Le terme gala, ou hakû en akkadien, désigne celui dont la spécialité est le chant, le chant de lamentation et de prière. Ces prêtres lamentateurs jouent pour le culte, prennent part à la remise des offrandes aux dieux1

et aux festivals annuels, lors d’occasions précises telles que la construction d’un temple ou lors de rites funéraires2

. Dans le temple, le gala-mah est celui qui a un statut plus important que les autres – au-dessus de lui se trouve le sanga, le grand prêtre, qui peut être en même temps gala. Le gala-mah a, par ailleurs, d’importantes responsabilités administratives supplémentaires, comme de superviser les rites et les cultes pour des particuliers par exemple. De même, il doit gérer les instruments du temple3

.

En outre, ces métiers étaient très prisés dans la mesure où ils offrent un emploi stable, un statut social relativement élevé, et ils passaient même pour être plus difficiles que l’art du scribe4

. Selon les termes de Regine Pruzsinszky, les musiciens étaient l’élite qui servait la glorification et l’amour propre des classes dirigeantes5

. Il est à noter que les fonctions de

nar/nâru et de gala/hakû pouvaient être exercées par une seule et même personne, professions

qui se transmettaient de père en fils depuis le IIIe millénaire av. J.-C., période où les temples et les palais semblent assurer l’enseignement, oral, de la musique. À partir du IIe millénaire, l’apprentissage, qui dure trois ans, peut se faire en dehors de ces institutions, comme dans les écoles de scribes par exemple, où l’on apprenait les techniques de chant et l’enseignement des hymnes6. Lorsque le chef de musique attribue un poste, le musicien était assuré d’une survie matérielle et se voyait généralement octroyer un domaine. Dans le cas des musiciennes, une telle nomination leur accordait un entretien par l’attribution de rations, et elles étaient sélectionnées pour servir comme musiciennes dans un palais ou chez de hauts fonctionnaires ; elles pouvaient aussi être données en mariage à des musiciens. Dès lors, on comprend que le chef de musique avait une emprise directe sur les conditions matérielles des musiciens et de leurs familles7

.

1 SHEHATA Dahlia, « Status and organisation of babylonian lamentation priests », Le statut du musicien dans la

Méditerranée ancienne: Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome, actes de la table ronde internationale tenue à Lyon, Maison de l’Orient et la Méditerranée (université Lumière Lyon 2) les 4 et 5 juillet 2008, Lyon, Sibylle

EMERIT éd., Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, « Bibliothèque d’Étude », n. 159, 2013, p. 69-84.

2 Source: « Mésopotamie », Encyclopédie Larousse, disponible via http://www.larousse.fr/encyclopedie/ musdico/M%C3%A9sopotamie/169103 [consulté le 04/12/2013].

3 SHEHATA Dahlia, op. cit., p. 69.

4 PRUZSINSZKY Regine, « Hommes, femmes et enfants dans la musique », op. cit., p. 42. 5 Id., p. 45.

6 PRUZSINSZKY Regine, « Hommes, femmes et enfants dans la musique », op. cit., p. 42. 7 ZIEGLER Nele, « Les rois et leurs musiciens en Mésopotamie », op. cit., p. 25-45.

Quant aux musiciens indépendants, c’est-à-dire les musiciens de rue tels que les saltimbanques, les baladins, les amuseurs ou encore les montreurs d’animaux1

, ils connaissent des conditions de vie beaucoup plus précaires, même si certains réussissent à se faire admirer du public sans être de rang social élevé2

. Mais ces derniers semblent être méprisés des autres musiciens à cause de leur statut et niveau d’instruction moins élevé. Ce sont des danseurs acrobatiques, qui peuvent toutefois exercer leur fonction dans le culte ou les métiers du divertissement pur, parfois recrutés ponctuellement dans les palais.

La musique est aussi présente dans la sphère militaire puisque des musiciens accompagnaient les armées en campagne. En s’appuyant sur la poésie lyrique de l’époque paléo-babylonienne (première moitié du IIe millénaire av. J.-C.) et du monde assyrien (XeVIIe

siècles av. J.-C.), les travaux de Sophie Démare-Lafont3

montrent que les armées de l’ancien Orient incluaient l’utilisation du sonore (cris et chants) dans l’exercice de leurs fonctions : cris de guerre lors de l’assaut, chant de victoire sur le lieu même de la bataille ou lors d’une cérémonie de triomphe. Selon l’auteur, ces péans avaient sur le champ de bataille une valeur à la fois incantatoire pour demander la protection du dieu national, et d’intimidation face à l’ennemi4. Lors des victoires, des chants de réjouissances et des hymnes de louanges étaient également entonnés, et les défilés se faisaient en musique. En cas de défaite, celle-ci était déplorée par un chant de lamentation5.

Dans la vie quotidienne, on retrouve des chants d’amour, de travail, des berceuses, des chansons à boire. L’art des sons pouvait également intervenir dans les actes médicaux. Les Mésopotamiens considéraient la maladie comme une punition envoyée par les divinités. Pour l’éloigner, ils avaient alors recours à la magie, accompagnée de musique et de danse6

. D’autre part, le recours à la musique dans des actes médicaux, est un fait que l’on retrouve au sein de nombreuses civilisations de cette époque comme dans l’Égypte antique, où le musicien professionnel se caractérise par la polyvalence ses compétences musicales.

1 Id., p. 65.

2 ZIEGLER Nele, « Le statut social des musiciens à l’époque paléo-babylonienne », op. cit., p. 63.

3 Enseignant-chercheur à l’Institut de l’Histoire du Droit (IHD) de l’Université Paris II Panthéon-Assas. 4 DÉMARE-LAFONT Sophie, « De bruit et de fureur. Le péan dans la culture politique du Proche-Orient ancien »,

Les sons du pouvoir dans les mondes anciens, Maria Teresa SCHETTINO et Sylvie PITTIA dir., Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2012, p. 193-208.

5 ZIEGLER Nele coord., La musique au Proche-Orient ancien: instruments et statuts des musiciens, la musique

dans la Bible et chez les Hittites, Dossiers Archéologie et Sciences des origines n°310, Dijon, Faton, Février

2006, p. 3 et 60-67.

6 ZIEGLER Nele et CHARPIN Dominique, « La musique pour guérir », La musique au Proche-Orient ancien:

instruments et statuts des musiciens, la musique dans la Bible et chez les Hittites, Nele ZIEGLER coord., Dossiers Archéologie et Sciences des origines n°310, Dijon, Faton, Février 2006, p. 55.

1.2.2. Dans l’Égypte antique

Bien qu’aucune théorie musicale ne nous est parvenue à ce jour, nous savons que la musique de l’ancienne Égypte avait une place importante grâce à l’iconographie des tombes et des temples, des descriptions de scènes musicales sur sarcophages, papyri, objets, statues, statuettes ou encore amulettes. À cela s’ajoutent les textes hiéroglyphiques, hiératiques, démotiques et grecs retrouvés non seulement dans les papyri, les stèles, statues et instruments de musique, mais aussi dans les légendes des représentations iconographiques sur les murs des tombes et des temples. Toutes ces sources nous permettent de connaître le nom des instruments, les titres accordés aux musiciens, et le vocabulaire des actions musicales qui décrit les répertoires et les techniques de jeu1. Ainsi, nous savons que la musique avait une fonction sociale, cultuelle et politique2. D’après les travaux de l’égyptologue Sibylle Emerit, hommes et femmes étaient libres de se consacrer entièrement à la musique. Parmi eux, on comptait également des musiciens étrangers, des enfants et des nains3. Du peu que les égyptologues savent sur la question de l’enseignement de la musique, il se faisait par tradition orale. Celui-ci était assuré dans des structures équivalentes à nos conservatoires, rattachées aux temples et aux palais, et supervisées par un directeur et des inspecteurs. Les instructeurs, portant le titre de sbȝ (seba) y enseignent la musique et la danse. Les élèves formés dans ces institutions sont destinés à exercer leur art au palais ou au temple. Cela dit, l’apprentissage musical pouvait être initié au sein de la cellule familiale où le métier se transmet de père en fils, ou de mère en fille.

Dans les premiers temps de l’ancienne civilisation égyptienne, la musique était surtout utilisée dans le culte des divinités, avant que sa pratique ne se généralise à toutes les manifestations de la vie publique et privée. En s’appuyant sur l’iconographie, S. Emerit identifie au moins douze catégories d’artistes : chanteurs, harpistes, joueurs de luth, de lyre, de longue-flûte, de double clarinette, de hautbois, de double-hautbois, de trompette, de tambourin, comme des percussionnistes et des rythmiciens4

. Par ailleurs, il a été possible

1 EMERIT Sibylle, « Music and musicians », UCLA Encyclopedia of Egyptology [en ligne], Willeke Wendrich éd., Los Angeles, 2013, disponible via http://eprints.cdlib.org/uc/item/6x587846 [consulté le 28/06/2016]. 2 Id., p. 3.

3 Selon Dominique Dasen, les personnes de petite taille ont toujours appartenu au monde du spectacle et des saltimbanques. DASEN Dominique, « Des artistes différents ? Nains danseurs et musiciens dans le monde hellénistique et romain », Le statut du musicien dans la Méditerranée ancienne: Égypte, Mésopotamie,

Grèce, Rome, actes de la table ronde internationale tenue à Lyon, Maison de l’Orient et la Méditerranée