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11.1.1. Aperçu historique

S’il nous paraît commun que le son est une variation de pression, issu d’un objet vibrant, qui se propage dans l’air et perçu par l’oreille, la description de ce mécanisme est le résultat de plusieurs siècles de recherche. En effet, les premières études sur les phénomènes sonores remontent au VIe siècle av. J.-C. avec l’école pythagoricienne qui s'est intéressée au fonctionnement des cordes vibrantes et a élaboré une échelle musicale1

. Par la suite, Aristote, le philosophe grec Chrysippe (281-208 av. J.-C.), l’architecte et ingénieur Vitruve au Ier siècle av. J.-C., ou encore le philosophe romain Boèce (480-524) définissaient déjà le son comme un

1 BRUNEAU Michel, DIDIER André, RISSET Jean-Claude, « SONS - Production et propagation des sons ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 12 juillet 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/sons-production-et-propagation-des-sons/, [consulté le 15/07/2016].

phénomène de nature ondulatoire, c'est-à-dire une perturbation oscillatoire qui se propage à partir d’une source1

. Cette idée est née de l’observation des ondes qui se forment à la surface de l’eau lorsque l’on jette un caillou.

Depuis l’Antiquité, les différentes réflexions menées sur ce sujet aboutirent au XVIIe siècle que le mouvement de l’air, généré par un corps dont la vibration est la source d'un son musical pur, est également vibratoire et de même fréquence que le mouvement du corps lui-même. On doit cette découverte au Père Marin Mersenne (1588-1648) exposée dans son Harmonie

universelle (1637), à Galileo Galilei (1564-1642) avec son Discours mathématiques concernant deux sciences nouvelles (1638), ou encore à Robert Boyle (1627-1691) qui montre

en 1660 la nécessité de la présence d’air pour la production et la transmission du bruit2

. Cependant, à la même époque, Gassendi (1592-1655) défend l’idée que le son est dû à un courant d’atomes émis par l’objet sonore. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que la théorie de la propagation sonore accède à sa structure mathématique3

grâce aux travaux d’Isaac Newton (1642-1727) ou de Leonhard Euler (1707-1783) entre autres. En effet, les découvertes de ces scientifiques vont permettre le développement de l’acoustique au XIXe siècle. Par exemple, le physiologiste et physicien allemand Herman von Helmholtz (1821-1894) analyse des sons complexes en s’appuyant sur les travaux de Joseph Fourier (1768-1830) qui en avait préalablement fait l’analyse mathématique. Citons encore les travaux d’Henri Victor Regnault (1810-1878) qui mesure la vitesse de propagation du son dans l’air, de Karl Rudolf Kœnig (1832-1901) qui propose pour la première fois la visualisation des vibrations de l'onde acoustique. John William Strutt, Lord Rayligh (1842-1919) synthétise les connaissances acquises dans son traité La théorie du son (1877 et 1885), posant ainsi les bases modernes de l’acoustique.

Après cette brève histoire de l’acoustique, nous nous proposons de décrire plus précisément ce qu’est le son, de comprendre en quoi il se distingue du bruit, pour envisager sa fonction et ses effets chez les êtres humains.

11.1.2. Description

Le son, ou le bruit, est une sensation auditive issue d’un mouvement vibratoire4. Pour qu’un son existe, il faut une source qui produit le son, un milieu qui transmet la vibration et

1 Id.

2 Il s’agit d’une expérience sur le rayonnement sonore d’une petite horloge enfermée dans une cloche de verre où il fit un vide partiel.

3 Id.

un récepteur, c’est-à-dire l’oreille et l’ouïe1

. À la fois un organe sensoriel de l’audition et d’équilibre, l’oreille se compose de trois éléments : l’oreille externe, l’oreille moyenne et l’oreille interne. C’est grâce à cette organe que l’on peut sentir et éprouver des sensations auditives. Parmi les cinq sens (la vue, l’odorat, le toucher, le goût), il renvoie à celui l’« ouïe » qui permet d’entendre, de percevoir les sons.

Tout autour de nous est son, bruit, phénomène que l’on ne peut pas voir. Perçus par l’organe de l’ouïe, ils nous permettent d’appréhender notre environnement, le monde qui nous entoure, tout en réagissant à ceux-ci. En effet, l’organe auditif capte continuellement les différents sons qui nous parviennent et auxquels nous réagissons de différentes façons, nous mettant dans des états émotionnels aussi divers que la nature de ces sons. À leur écoute, ils peuvent nous aider à nous orienter, à nous alerter, à nous faire réagir, sursauter, ou encore nous émouvoir. Cela est le résultat d’une réponse de notre système nerveux et physiologique, qui nous conduit à avoir deux types de réactions que nous nous proposons de qualifier d’instinctive et de sensible. La première renvoie à une réaction « primaire » de défense pour la survie qui passe par la sensation de peur, d’alerte, d’agressivité, qui manifeste une perturbation de notre tranquillité, donc une menace potentielle. Cette réaction auditive primaire est également un moyen de s’orienter dans un environnement donné, aussi bien en milieu naturel qu’en milieu urbain, mais aussi d’orientation, afin de comprendre ce qui se passe pour pouvoir réagir (explosions, grêle, fracas, tonnerre, par exemple). La deuxième, sensible, renvoie aux pleurs, aux rires, à la musique, ou bien aux intonations de la voix des autres qui nous permet de comprendre leurs états émotionnels. À leur écoute, de manière générale, nous ne restons pas insensibles, il se produit une réaction physiologique, et ressentons par empathie l’état émotionnel entendu. Par exemple, lorsque l’on entend quelqu’un rire, nous nous mettons à sourire, voire à rire aussi, nous mettant dans un état de joie et de bien être. Au contraire, lorsque l’on entend quelqu’un pleurer, nous sommes touchés, attristés à notre tour, et nous le ressentons dans notre corps. Par ailleurs, au même titre que les autres sens, l’audition d’un son, quel que soit sa nature, ou d’une musique, peuvent renvoyer à un souvenir passé, agréable comme douloureux, grâce au puissant effet de la mémoire involontaire. Pensons à l’effet de la fameuse madeleine sur le narrateur dans le roman Du côté de chez Swann (1913) de Marcel Proust (1871-1922), les sons ou la musique peuvent avoir aussi cette effet de remémoration.

Donc, nous réagissons bien de manière instinctive et sensible aux sons, choses immatérielles et invisibles que l’on connaît grâce à l’ouïe. Selon John Dewey, cela s’explique

par le fait que « la connexion des tissus cérébraux avec l’oreille intéresse une partie du cerveau plus grande que celle relative à n’importe quel autre sens. »1

Aussi, il ajoute que nous entretenons un rapport à la fois proche et intime avec le phénomène sonore, qui met en vibration tout notre corps2

. Parce que les phénomènes sonores sont chargés de sens, de messages, ils agissent directement sur notre organisme qui y répond immédiatement de manière sensible (émotion) et intellectuelle (action) ; ils nous indiquent ce qui arrive et ce qui peut arriver, afin de réagir en conséquence selon les circonstances.

« Le son agit directement sur l’organisme comme une commotion. L’ouïe et la vue sont souvent classées ensemble comme les deux sens « intellectuels ». En réalité, la qualité intellectuelle de l’ouïe, quoique énorme, est acquise ; en elle-même l’ouïe est le sens de l’émotion. Sa portée et sa profondeur intellectuelle viennent de son lien avec le langage ; […]. […] Les sons peuvent exprimer des émotions directement. Un son est lui-même, de par sa nature propre, menaçant, plaintif, attristant, violent, tendre, soporifique. […] En raison des connexions de l’ouïe avec toutes les autres parties de l’organisme, un son a plus d’échos et de résonance que les données de n’importe quel autre sens »3

Par ailleurs, cette faculté sensorielle renvoie à une réalité que l’on ne peut pas voir, une matière invisible. Or, pour Platon, seul l’intelligence pure peut espérer contempler les Idées dont le monde matériel n’offre aux sens que de pâles copies4

. Au XVIIIe siècle, George Berkeley (1685-1753) affirme que si nos sens nous apportent un ensemble de représentations et d’impressions sur le monde, ils ne sauraient nous assurer de l’existence réelle de la matière5

. Donc, pour lui, les éléments qui composent notre univers – qu’il s’agisse de l’étendue, du mouvement, de la couleur, de la saveur, du son – n’ont aucune existence en dehors de l’idée ou perception que nous en avons6

. David Hume (1711-1776) affirme aussi que notre rapport au monde est tout entier subordonné à l’expérience. S’il déduit qu’il faut faire confiance aux sens, nous devons nous méfier des inférences liées à l’habitude ou au raisonnement7

. La posture empirique de Hume montre que le sens dérive du sensible, et que l’idée, le concept est une image affaiblie des impressions sensibles8

. C’est ainsi qu’Emmanuel Kant (1724-1804) fut l’un des premier à proposer une théorie de la connaissance fondée sur l’analyse des liens entre le sensible et le rationnel.

1 DEWEY John, L’art comme expérience, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2010, trad. par Jean-Pierre Cometti et al., p. 388.

2 Id., p. 388-389.

3 Id., p. 389-391

4 CLÉMENT Élisabeth, DEMONQUE Chantal, HANSEN-LØVE Laurence, KAHN Pierre et al., La philosophie de A à Z, Paris, Hatier, 2000, p. 409.

5 Ibid.

6 Selon G. Berkeley, seul Dieu est l’unique source de ce qui existe et de ce que nous percevons. 7 Id., p. 409.

8 GUIBET-LAFAYE Caroline, « Histoire de l’esthétique », Grand dictionnaire de la philosophie, Michel BLAY dir., Paris, Larousse, 2003, p. 972.

Cependant, contrairement à la pensée de ces auteurs qui s’appuient sur les cinq sens, Denis Diderot (1713-1784) propose une autre approche de ces facultés sensorielles. Selon le philosophe français, il n’existe pas cinq sens avec une hiérarchisation où la vue et l’ouïe en seraient le sommet, mais un seul sens, le toucher, diversement modifier. Dans sa conception de la musique et du son, Michel Onfray rejoint cette idée originale de présenter les sens : « Autrement dit, nous touchons le monde, nous touchons la matérialité du réel qui est particulaire, atomique, avec l’œil, l’oreille et, à égalité, avec la peau, le nez, la bouche... »1

Selon lui, si les sons, qu’ils soient d’origines humaine ou naturelle, se distinguent par leur immatérialité, ils se doublent d’une hypermatérialité2

.

« Car le son n’est pas une idée, ni un concept, ni un noumène. C’est une vibration d’ondes. La même logique rend compte du cri du nourrisson, du chant de l’oiseau, du vent dans les arbres de la forêt, du murmure d’un ruisseau ou du fracas des cataractes, de la berceuse de la mère du râle d’un mourant... L’acousticien dit la vérité de la musique, de son essence : vibration mécanique, propagation de son élasticité par le milieu, variation de pression, mécanique ondulatoire, mesure scientifique par sa grandeur logarithmique, le décibel, etc.

De sorte que la musique est une invisibilité agissant par la matérialité des ondes. »3

Enfin, Francis Wolff présente le son comme le résultat d’un événement dû au mouvement d’un corps physique qui entraîne une vibration de l’air, élément nécessaire à la production sonore4

. Cela dit, l’auteur précise que le son n’est pas toujours audible en citant l’exemple du sourire qui ne fait pas de bruit. Si un lien existe entre son et événement, notion qu’il reprend dans La philosophie du son (1994) de Roberto Casati et Jérôme Dokic, cela semble moins évident entre son et objet.

« Les sons ne sont pas des qualités5 des objets mais des événements. Car ce qui produit le son, ce n’est pas l’objet lui-même, mais le mouvement de l’air ou de quelque autre fluide. […] Les sons ne nous disent pas comment sont les objets et ne nous disent qu’indirectement ce qui arrive, mais ils nous indiquent directement comment cela arrive. Les sons, objets propres de l’ouïe, sont, dans l’ordre des événements, analogues aux couleurs, objets propres de la vue, dans l’ordre des choses. Les sons, du moins les sons audibles, sont donc pour nous des indices des événements. »6

Ces événements sonores non seulement nous informent sur ce qui se passe mais nous mettent aussi en alerte, éveille ou réveille en nous à tout moment notre système d’alarme

1 ONFRAY Michel, CLÉMENT Jean-Yves, La raison des sortilèges : entretiens sur la musique, Paris, Pluriel, 2015, p. 177-178.

2 Id., p. 25-26.

3 Id., p. 26-27.

4 WOLFF Francis, Pourquoi la musique ?, Paris, Fayard, 2015, p. 31. 5 Souligné dans le texte.

biologique1

. L’univers sonore a donc une dimension émotionnelle, dont on ne peut voir les objets et qui nous oblige d’être à l’écoute, comme l’animal, dans l’attente d’un événement, selon Wolff. Il ajoute qu’à cette tension de l’écoute succède la détente du retour au calme ou à la régularité, à la reconnaissance du familier2

. À ce propos, il écrit :

« Cette opposition de la tension de l’être vivant face aux événements inattendus et de la détente face aux événements attendus ou au repos du monde est fondatrice de la plupart de nos émotions que nous pouvons éprouver à l’écoute d’une musique. »3

Après ces considérations phénoménologiques autour du phénomène sonore, penchons-nous à présent sur celui-ci à la lumière de la physique.

11.1.3. Définition

Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, le son résulte de la vibration d'un corps solide, liquide ou gazeux qui constitue la source sonore, dont l’origine peut être produite par un choc, un frottement, une variation de pression ou encore une stimulation électrique. Cela correspond aux différents sons qui nous entourent au quotidien issu des activités de l’homme, de la nature, de la voix humaine, des instruments de musique. Dès lors, cette vibration, produite par un corps sonore, est transmise à l’air ambiant auquel elle impose une variation de pression sans qu’il y ait déplacement de matière, mais seulement transmission d’énergie de proche en proche. En effet, la vibration provoque le déplacement des particules autour de l'objet qui s’entrechoquent avec les particules voisines pour revenir à leur point de départ. Ces variations de pressions, appelées ondes sonores, sont semblables aux vibrations de la source sonore qui leur a donné naissance. Notons que selon la température de l’air ambiant, le son se propage à des vitesses différentes – plus la température est élevée, plus le son se propage rapidement. À température ordinaire, c’est-à-dire entre 15° et 20), il se déplace de 340 mètres par secondes.

Par ailleurs, et selon sa nature, le son peut avoir des fréquences et des amplitudes variables. C'est ainsi que l’on distingue les sons purs, qui ont une onde de type sinusoïdale, des sons complexes qui ont une onde plus complexe qu’une sinusoïde. Le son se caractérise par son intensité, sa hauteur – c’est-à-dire la différence entre deux notes – son timbre (qualité spécifique d'un son) et sa durée. Grâce à ces caractéristiques, on peut distinguer un son musical d’un bruit. « Un bruit est composé d’une succession rapide et irrégulière de sonorités

1 Id., p. 32.

2 Ibid.

distinctes éclatant par secousses, tandis que la sensation musicale apparaît à l’oreille comme un son parfaitement calme uniforme et invariable. »1

Cette distinction a déjà été décrite par von Helmotz en 1868. C'est parce que « […] : la sensation du son est due à des mouvements rapides et périodiques du corps sonore, tandis que celle du bruit est due à des mouvements non périodiques. »2

Enfin, précisons qu’un son musical n’est pas pur mais complexe. C’est un son fondamental qui se décompose en partiels, c’est-à-dire une somme de sons purs, constitués de fréquences appelées harmoniques. Ce sont tous ces éléments qui constituent le timbre spécifique d’un instrument, d’une voix.

Mais à présent, intéressons-nous à l’organe qui rend possible de percevoir la multitude de sons que constitue l’environnement sonore dans lequel nous baignons constamment, d’abord envisager d’un point de vue historique puis anatomo-fonctionnelle.