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Lukas Pairon : l’association Music Fund …

8.2.1. Aux origines de l’association Fondée par L. Pairon1

, Music Fund est une association humanitaire à but non lucratif. Elle collecte et répare des instruments, destinés à être envoyés dans des pays en développement ou en guerre. L’association comprend également des programmes de formation en lutherie.

En 2002, L. Pairon et son Ensemble Ictus ont répondu à la demande d’écoles de musique des territoires palestiniens occupés pour s’intéresser à la situation des musiciens et de leur formation. En se rendant sur place, ainsi qu’en Israël, les musiciens de l’ensemble réalisent des master classes et mettent en place un projet pédagogique afin d’y enseigner régulièrement la musique. Le programme développé à Gaza a été créé suite à la volonté de l’ONU fin 2010, et mené sous la direction de Colette Lucidarme2 pendant trois ans. Grâce à cette organisation mondiale, la présence des acteurs de Music Fund sur place a pu être possible, mobilisant divers équipes d'intervenants venant de Belgique, d’Allemagne et de France, avec certains spécialisés dans les pédagogies alternatives (Steiner, Frenet). Le programme consiste à assurer une formation d’enseignant dans les écoles primaires mis en place par l’ONU à Gaza. Il s’agit d’intervenir dans ces écoles pour encourager et former les instituteurs à utiliser la musique dans leur classe. L’accès à l’art est très limité par le régime en place. En effet, s’appuyant sur une interprétation extrémiste du Coran, le Hamas interdit de jouer ou d’écouter de la musique pour le seul plaisir, par peur de son effet fédérateur et vitalisant. Cependant, il la réduit à une fonction strictement utilitaire et limité à un cadre religieux, politique, ou encore lors d’occasions joyeuses3

. Cela dit, des artistes palestiniens bravent ces restrictions, tout comme

1 Né en 1958, il a effectué des études de philosophie à l’Université Internationale de Lugano en Suisse, et obtient une maîtrise en Science de l’Éducation, spécialité « politique de l’éducation », à Paris VIII. À l’issu de ses étude, L. Pairon travaille durant plusieurs années en tant que jeune chercheur dans le domaine de l’éducation des adultes et des programmes d’alphabétisation à l’UNESCO, à Paris, ainsi que pour le Ministère de la Culture de la Communauté française à Bruxelles. Dans les années 1980, il est à la direction artistique des programmes de danse et de musique contemporaine du Festival de Flandre, et crée une maison de production, Walpurgis, dédiée à la création de nouvelles œuvres d’opéra de chambre et de théâtre musical. En 1994, il crée le célèbre ensemble de musique contemporaine Ictus, à la tête duquel il resta jusqu’en 2012. Entre 2009 et 2012, Pairon a fondé et géré 3rdParty, un programme éducatif triennal entre de jeunes belges et des militants pacifistes et des droits de l’homme au Proche-Orient. Depuis 2013, il travaille à une recherche de doctorat à l’Université de Gand (UGent, programme de doctorat à la Faculté des Sciences Politiques et Sociales) sur les questions de la portée possible de certaines pratiques de la musique pour des jeunes vivant dans un environnement violent. (D’après https://www.rtbf.be/musiq3/actualite/musique/detail_la-matinale-invite-du-09-01-lukas-pairon?id=8733481)

2 Enseigne la pédagogie musicale auprès des professeurs du premier degré (les enseignants des écoles maternelles et primaires), du second degré (collège, lycée) et pour les étudiants du Centre de Formation de Musiciens Intervenants (CFMI) à l’Université Sciences Humaines et Sociales de Lille3 (pour le DUMI). Elle intervient également de manière complémentaire pour le master ARS (Art et Responsabilité Sociale), que dirige Marie-Pierre Lassus, avec un atelier de pratiques musicales collectives. C. Lucidarme prépare une thèse ayant pour sujet les influences du jazz sur la langue française à travers la chanson (Trenet, Nougaro...). 3 Cf. le mémoire M2 d’Amandine Godard réalisé sous la direction de Marie-Pierre Lassus, Lille 3.

Music Fund qui encourage la pratique de la musique en fournissant des instruments. Les

personnes qui subissent le conflit israélo-palestinien n’ont guère plus d’espoir, mais la musique peut les aider. Comme le rappelle C. Lucidarme, il y a peu de possibilités d’avenir pour les jeunes palestiniens. La pratique musicale peut alors être un moyen de survie, une aide psychologique, de conserver, d’une certaine façon, une part d’identité1

.

C’est ainsi que durant quatre ans, des musiciens sont allés œuvrer dans cette région conflictuelle du monde. Il n’était pas évident de mener à bien le projet dans la mesure où il y avait une pénurie matérielle et d’instruments. C’est alors que Lukas Pairon décide de fonder

Music Fund dans le but de collecter des instruments de musique, pour fournir et soutenir les

écoles de musique palestiniennes. Pour la réalisation de cette collecte, l’Ensemble Ictus s’est rapproché d’Oxfam2

Belgique en 2005.

« En voyant l’extrême précarité dans laquelle travaillaient les musiciens là-bas, j’ai commencé à préparer la première collecte. À l’époque, Ictus n’avait aucune expérience dans ce genre d’action, mais nous nous sommes lancés grâce à un partenariat avec Oxfam-Solidarité. Nous avons organisé une première collecte en avril 2005 qui a eu un succès fou. Il nous a tout de suite paru évident qu’il faut créer une organisation autour de cette action, et que la collecte des instruments de musique pour les pays en difficulté ne peut aucunement être une fin en soi. » 3

Comme le souligne L. Pairon, les personnes qui donnent leurs instruments de musique se séparent d’un objet qui leur est cher, c’est donc un cadeau que font les donneurs aux populations qui en bénéficient4

. Curieux de savoir ce que vont devenir leurs instruments, les donateurs peuvent être informés de l’endroit où ceux-ci sont partis à l’aide d’un numéro d’identification attribué pour chaque instrument collecté.

« Chaque instrument est un tissu d’émotions et de souvenirs : le donateur lui-même en a joué, ou bien ses enfants, ou un membre de la famille décédé. Ainsi, le don d’instrument n’est pas considéré comme un adieu mais plutôt le début d’une nouvelle relation. Chacun veut savoir où son instrument est arrivé, qui en joue, comment ces gens-là vivent. Avec l’instrument, le donateur voyage mentalement dans les zones de conflit ou d’extrême pauvreté. »5

1 « Les Orchestres sociaux au Moyen Orient, l’expérience de « Music Fund » », Colloque Le Jeu d’Orchestre :

éthique et création en milieu carcéral, 18 et 19 novembre 2013, Université Lille 3.

2 ONG créée en 1995, Oxfam a pour objectif de contribuer à l’élaboration de solutions durables contre la pauvreté et l’injustice dans des zones de catastrophes ou en guerre.

3 KUBIK Suzana, « Dix ans de Music Fund : un instrument, une formation, une vie », France Musique, 2015, disponible via http://www.francemusique.fr/actu-musicale/music-fund-fete-dix-ans-111567 [consulté le 18/09/2016]

4 « Les Orchestres sociaux au Moyen Orient, l’expérience de « Music Fund » », Colloque Le Jeu d’Orchestre :

éthique et création en milieu carcéral, 18 et 19 novembre 2013, Université Lille 3.

5 GORIS Gie, « La musique adoucit les mœurs. Ou pas », Mondiaal Nieuws, 2013, trad. par Marlies Dens et Rita Dooms, disponible via http://www.mo.be/fr/artikel/la-musique-adoucit-les-moeurs-ou-pas [consulté le 29/10/2013]

8.2.2. Démarche

Depuis, les nombreuses campagnes de collectes et les dix-huit points de collecte permanents dans six pays européens ont permis de réunir 5 000 instruments, dont 2 500 ont été restaurés et offerts1

. Généralement, les collectes sont organisées par différents acteurs du monde musical tels des orchestres, des maisons d’opéra2

, des festivals, ou encore les municipalités, les centres culturels, des mécènes privés3

.

Après la collecte, les instruments sont vérifiés et réparés, grâce à un réseau de facteurs et de restaurateurs d’instruments. Depuis 2013, c’est le centre de réparation et d’initiation à la lutherie installé à Marche-en-Famenne qui s’en charge. S’il est primordial d’envoyer des instruments en bon état, il est fondamental d’en assurer le bon entretien sur place. C’est pourquoi Music Fund s’est donc concentré sur la formation de techniciens réparateurs autochtones afin d’assurer la pérennité de la pratique musicale.

L’association s’est alors lancée en 2006 dans des ateliers d’initiation à la restauration, au métier d’accordeur et à la fabrication d’instrument de musique4

. À l’issu des workshops,

Music Fund invite des élèves à suivre une formation en Europe dans les ateliers d’experts

luthiers. En offrant ainsi un savoir-faire spécialisé, l’association permet de maintenir l’autonomie des écoles de musique partenaires au programme, ce qui est précieux pour le développement musical de la structure bénéficiaire.

Pour L. Pairon, l’objectif est bien de « […] fournir un savoir-faire et des outils à nos partenaires pour qu'ils puissent rapidement voler de leurs propres ailes. Par contre, nous suivons les réparateurs-facteurs d’instruments qui se forment grâce à Music Fund et leur proposons des stages de perfectionnement pour faire évoluer leur métier. »5

Il ajoute que cette initiative permet de créer des emplois, des formations ayant un impact social sur la communauté. Devenir facteur d’instrument, musicien ou encore enseignant donne aux bénéficiaires un statut social en accédant à un métier qui leur offre de nouvelles perspectives pour l’avenir. Cela est d’autant plus valorisé dans le contexte d’une région en conflit ou en voie de développement.

8.2.3. Les instruments de musique comme aide humanitaire ?

Persuadée que la musique est un instrument de développement humain, Music Fund

1 Source: http://www.musicfund.eu/index-fr.html [consulté le 18/09/2016]

2 En 2006, l’Opéra de Lille était à l’initiative d’une collecte d’instruments pour Music Fund. 3 KUBIK Suzana, op. cit.

4 Source: http://www.congoforum.be/upldocs/Music%20Fund%20Kinshasa.pdf [consulté le 18/09/2016] 5 KUBIK Suzana, op. cit., ibid.

procure des instruments à des populations en situation de fragilité et de vulnérabilité qui en ont besoin. À ce propos, L. Pairon précise :

« L’enseignement et la pratique musicale à eux seuls ne suffisent ni à prévenir les conflits ni à promouvoir le développement économique. Mais un enseignement musical bien structuré peut jouer un rôle fondamental dans l’édification ou dans la reconstruction d’une société, parce que celle-ci met alors l’accent sur la culture et n’est pas focalisée sur la misère engendrée par la guerre ou la pauvreté. »1

De plus, il nous faut préciser que si Music Fund fournit des instruments essentiellement occidentaux en tout genre, elle n’a aucune prétention d’importer la musique occidentale. Au contraire, dans la mesure où certains de ces instruments ont été adoptés dans la musique traditionnelle ou populaire de certaines régions du monde, l’association offre uniquement ce dont les écoles de musique partenaires au programme ont besoin pour leur pratique musicale.

Avec l’idée initiale de fournir des instruments de musique aux écoles de musique palestiniennes, Music Fund a étendu son action aux pays vivant une situation de conflit ou de en voie de développement. Elle fournit les écoles de musique qui se trouvent dans le besoin pour se procurer des instruments de musique, et ce à travers le monde, pour veiller à l’autonomie des musiciens. Aujourd’hui Music Fund est présente sur quasiment tous les continents : Palestine (Naplouse, Ramallah, Gaza), Israël (Nazareth), Mozambique (Maputo), République Démocratique du Congo (Kinshasa), Haïti (Cap Haïtien), Maroc (Tétouan). Par ailleurs, elle parraine l’association française La Banda de Musica qui œuvre à Oaxaca au Mexique, et soutient également trois projets en Belgique (Bruxelles, Gand) à vocation sociale autour des dons d’instruments et la pratique instrumentale. En effet, l’association a collaboré durant l’été 2015 avec la prison de Marche-en-Famenne pour y proposer des stages de lutherie, reconduit en septembre 2016 consacrer cette-fois à la fabrication d’un ukulélé2

. Toujours en Belgique, elle s’implique dans les centres de réfugiés de la Croix Rouge en y envoyant des instruments de musique, afin de permettre aux musiciens réfugiés de pratiquer et d’enseigner la musique3

. Aussi, Music Fund prévoit à l’horizon de 2017 d’intervenir en Asie, notamment avec des écoles de musique au Vietnam et en Birmanie4

.

Permettre la pratique musicale, le développement de son enseignement et l’émergence d’une vie culturelle autour de la musique dans des régions où on ne s’y attend pas, telle est la ligne directrice de Music Fund. En assurant la pérennisation de l’entretien des instruments

1 GORIS Gie, op. cit.

2 POËS Nicolas, « Music Fund entrepose 2 500 instruments à Marche », LaMeuse.be, publié le 26 septembre 2016, disponible via

http://www.lameuse.be/1680967/article/2016-09-26/music-fund-entrepose-2500-instruments-a-marloie [consulté le 18/09/2016]. 3 Ibid.

parmi les populations bénéficiaires, elle permet la création d’emplois autour de la musique et une alternative éducative pour des enfants à l’avenir incertain. Cependant, dans un pays comme la Palestine où toutes formes musicales non conformes au régime du Hamas sont interdites, il semble difficile d’y créer des emplois en lien avec la musique dans la mesure où la moindre manifestation musicale ou concert nécessite l’autorisation du régime. Au demeurant, des artistes palestiniens pratiquent, de manière plus ou moins confidentielle, le rock ou le rap, genre musicaux aux textes engagés, comme moyen de résistance. De plus, si le programme de Music Fund à Gaza est terminé, le projet doit se poursuivre courant 2016 en Europe. Trois enseignants gazaouis ont été choisis pour y venir parfaire leur formation et devenir à leur tour formateurs à Gaza auprès de nouvelles équipes de jeunes professeurs d'écoles.

Cette volonté d’apporter la musique là où on ne l’attend pas est aussi celle du compositeur français N. Frize qui investit différents lieux de la vie quotidienne ou institutionnels sous forme de résidence pour y aboutir à une création originale avec le concours des personnes vivant, travaillant ou habitant dans ces espaces. Il sort la musique contemporaine des traditionnelles salles de concerts pour l’installer dans des espaces institutionnels, publics ou de travail. Sa démarche artistique l’a conduit dans des établissements pénitentiaires. La réalité de ces milieux fermés et ses expériences artistiques l’ont amené à s’engager depuis plusieurs années auprès de la population carcérale, tout en menant une réflexion sur leur condition de détention, allant même jusqu’à créer des emplois dans deux établissements pénitentiaires.