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Chapitre 4. Qui sont les Montréalaises propriétaires d’entreprises ?

4.1. Leur statut matrimonial

Comme l’indique encore Béatrice Craig dans sa synthèse sur l’histoire de l’entrepreneuriat féminin depuis 1500, le mythe de la jeune veuve devenue entrepreneure pour assurer un revenu familial pour ses enfants ou pour gérer la transmission des affaires familiales entre le décès de son mari et l’accès à la majorité de son fils aîné persiste86. Pourtant, au tournant du XXe siècle, les femmes mariées et célibataires forment près de la

moitié des entrepreneures nord-américaines87. Entre 1875 et 1885, à Albany (New York),

sur l’ensemble des femmes d’affaires, Susan Ingalls Lewis compte certes 40 % de veuves, mais aussi 33 % de femmes mariées et 25 % de célibataires88. Edith Sparks, quant à elle,

relève le fait que, à San Francisco, entre 1890 et 1920, les veuves composent « the largest proportion of gainfully occupied women employed in the proprietorship »89. Elle ajoute, cependant, que si les célibataires forment 42 % des femmes propriétaires en 1890, ce taux chute à 20 % en 1930 et qu’en 1890, les femmes mariées composent un peu moins du quart

86 Béatrice Craig, Women and Business Since 1500, pp. 110-111.

87Ibid.; Melanie Buddle, The Business of Women : Marriage, p. 1; Susan Ingalls Lewis, Unexceptional Women, p. 36; Edith Sparks, Capital Intentions, p. 68.

88 Susan Ingalls Lewis, ibid., p. 38. 89 Ibid., p. 69.

de l’ensemble de l’entrepreneuriat féminin90. Peter Baskerville note, quant à lui, qu’en

1891, un tiers des femmes d’affaires à Victoria et un quart de cet ensemble à Hamilton sont composés de femmes mariées91. Melanie Buddle souligne qu’en Colombie-Britannique, en 1901, ce sont 40 % des entrepreneures qui sont mariées tandis que 35 % d’entre elles sont veuves ou divorcées et que ces taux à l’échelle du Canada sont, respectivement, de 25 et 37 %92. Pour la ville de Québec au tournant du XXe siècle, André Roy fait le constat d’une proportion encore plus grande de femmes mariées dans son échantillon de commerçantes : 65,8 % contre 6,8 % de veuves et 27,4 % de célibataires93.

En 1971, pour le Canada comme en Colombie-Britannique, l’écart se creuse entre les femmes mariées et les veuves puisqu’elles représentent respectivement 60 % et 20 % de l’entrepreneuriat féminin94. À la fin des années 1980, Pierre Collerette et Paul G. Aubry affirment, quant à eux, que 72 % des femmes d’affaires québécoises vivent avec un conjoint (mariage ou union de fait), un taux qui est encore à 60 % pour l’ensemble du Canada95. Comme Béatrice Craig, ils démentent le mythe de l’héritière comme modèle majoritaire dans l’entrepreneuriat féminin. En plus des données sur le statut matrimonial des femmes d’affaires qu’ils étudient, ils estiment par ailleurs à 43 % la proportion d’entrepreneures qui ont acheté leur entreprise (surtout dans le commerce de détail) et à 30 % celle des femmes qui l’ont elles-mêmes fondée (surtout dans les services)96. Hélène Lee-Gosselin et Monica Belcourt affirment, dans le même sens, que la majorité des entrepreneures achètent ou fondent leur entreprise contre une minorité qui en hérite d’un

90 Ibid., p. 64.

91 Peter Baskerville, A Silent Revolution, p. 207.

92 Melanie Buddle, The Business of Women : Marriage, p. 31. 93 André Roy, La faillite, le commerce et le crédit, pp. 72-73. 94 Melanie Buddle, The Business of Women : Marriage, p. 31.

95 Dina Lavoie, Les entrepreneures; James DeCarlo et Paul R. Lyons, « A Comparison of Selected Personal Characteristics of Minority and Mon-Minority Female Entrepreneurs », Journal of Small Business Management, vol. 17, no 4, 1979, pp. 22-30; M.A. Humphreys et J. McClung, « Women Entrepreneurs in Oklahoma », Review of Regional Economics and Business, vol. 6, no 2, 1981, pp. 1-21; R.D. Hisrich et Candida Brush, « The Women Entrepreneur. Implications of Family, Educational and Occupational Experience », dans Hornaday J.A., J.A. Timmons et K.H Vesper, dir., Frontiers of Entrepreneurship Research, Wellesley, Mass., Babson College, Center For Entrepreneurial Studies, 1983, pp. 255-277. cités dans Pierre Collerette et Paul G. Aubry, Femmes et hommes d'affaires, p. 53.

père ou d’un conjoint (entre 6 et 21 % selon les études)97.

Le constat s’avère assez similaire en ce qui concerne Montréal pour la période 1920-1960 : si les veuves forment une grande proportion d’entrepreneures féminines (propriétaires de petits commerces enregistrés dans les annuaires Lovell), les femmes mariées prennent le dessus dès le milieu des années 1930 (graphique 15). Plus précisément, durant la première décennie de notre étude (1920-1930), les célibataires constituent quelque 40 % de ce groupe, tandis que les veuves en forment entre 30 et 35 % et les femmes mariées entre 25 et 30 %. Cette répartition est semblable à celle relevée pour l’ensemble du Canada en 190198. À partir de 1935, en revanche, alors que les célibataires représentent toujours 40 % des femmes propriétaires, plus de la moitié sont mariées et le taux de participation des veuves descend en dessous de la barre des 10 % et ce, jusqu’en 1955, ce qui ressemble plutôt à la situation canadienne en 197199. Dans l’annuaire de 1960, le statut matrimonial est rarement indiqué, ce qui donne des proportions différentes avec près de 53 % de femmes dont le statut matrimonial est inconnu. Aucune donnée n’est accessible pour Montréal pour les années ultérieures. Comparativement à ce groupe de femmes propriétaires d’entreprises stricto sensu, le groupe des femmes à la direction d’entreprise, à Montréal, en 1951, est composé de 42 % de célibataires, de 20 % de veuves et de 38 % de femmes mariées. Dix ans plus tard, ces proportions passent, respectivement, à 30, 16 et 54 %. Finalement, les veuves forment un groupe important d’entrepreneures montréalaises (propriétaires de commerces de détail et d’établissements de service) jusqu’en 1930, mais deviennent, par la suite, beaucoup plus minoritaires. Ce mouvement se fait à l’avantage des femmes mariées puisque le groupe des célibataires constitue une proportion relativement identique durant toute la période. En revanche, les veuves sont, proportionnellement, plus présentes au sein de la direction d’entreprise, mais cette représentation tend à diminuer entre 1951 et 1961 alors que le taux de femmes mariées augmente, contrairement à celui des célibataires qui diminue également. Ainsi donc, quelle

97 Hélène Lee-Gosselin et Monica Belcourt, « Les femmes entrepreneures », pp. 56-88, pp. 65-68; J. Grisé et Hélène Lee-Gosselin, Les femmes propriétaires-dirigeants de la région de Québec (03) : mythes et réalités, Québec, Laboratoire de recherche, Faculté des sciences de l’administration, Université Laval, 1987; Dina Lavoie, Les entrepreneures. cités dans Hélène Lee-Gosselin et Monica Belcourt, « Les femmes entrepreneures », pp. 56-88, pp. 65-68.

98 Melanie Buddle, The Business of Women : Marriage, p. 31.. 99 Ibid.

que soit la décennie, les veuves sont loin de représenter l’unique modèle entrepreneurial féminin. Les dénonciations de ce mythe de l’entrepreneure héritière, évoquées plus haut, valent donc aussi pour Montréal au XXe siècle. Nous reviendrons de manière plus détaillée sur notre interprétation des origines de ce mythe dans les chapitres 7 et 8.

Graphique 15. Répartition des femmes propriétaires et des femmes à la direction d’entreprise selon leur statut matrimonial, en pourcentage, Montréal, 1901 et 1971

Sources : Annuaires Lovell 1920-1960 et recensements du Canada, 1901-1971100

Un second élément à souligner est la proportion relativement grande de femmes mariées dans l’entrepreneuriat féminin montréalais. Jusqu’en 1930, elle est assez similaire à celle de leurs homologues des autres villes américaines et canadiennes, soit entre 25 % et 30 %. Dès 1935, ce taux grimpe à plus de 50 % et le reste jusqu’en 1955. Nous retrouvons cette même proportion de femmes mariées sur l’ensemble des entrepreneures canadiennes en 1971. Ces similitudes entre les proportions de femmes mariées dans l’entrepreneuriat à Montréal et celles constatées dans les autres villes nord-américaines et canadiennes du début et de la fin du XXe siècle sont étonnantes au vu de la différence de système légal. En effet, dans les autres provinces canadiennes, comme aux États-Unis, les Married Women’s Property Laws (MWPLs) — qui donnent pleine capacité juridique aux femmes mariées — sont adoptées dès la fin du XIXe siècle et permettent donc aux femmes mariées d’agir

100 Les données relatives au Canada sont tirées de la thèse de Melanie Buddle. Melanie Buddle, The Business of Women : Gender.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

pleinement dans les échanges capitalistes101. En revanche, au Québec, selon le Code civil

adopté en 1866, les femmes mariées sont considérées comme incapables juridiquement et le restent jusqu’en 1964102.

Plus précisément, le Code civil de 1866, considère que la femme, par le mariage, même en séparation de biens, ne peut plus « donner ou accepter, aliéner ou disposer entre vifs, ni autrement contracter, ni s’obliger, sans le concours du mari dans l’acte, ou son consentement par écrit »103. L’exception de la marchande publique, cependant, peut expliquer la participation des femmes mariées à l’entrepreneuriat en dépit de son incapacité juridique. En effet, une fois autorisée, de manière expresse ou présumée, par son mari à exercer cette profession, elle « peut, sans [son] autorisation […], s’obliger pour ce qui concerne son négoce, et en ce cas, elle oblige aussi son mari, s’il y a communauté entre eux »104. Une seconde exception, qui permet possiblement d’interpréter la hausse de la proportion de femmes mariées dans l’entrepreneuriat en 1935, est la modification du Code civil adopté en 1930 et qui vise la protection des biens réservés de la femme mariée, autrement dit, des produits du travail personnel de l’épouse et des biens acquis avec ceux- ci105. Cette reconnaissance du travail des femmes mariées et de la nécessité pour elle de garder le contrôle des biens qu’il génère peut avoir joué favorablement autant au niveau de l’entrepreneuriat des femmes mariées en tant que tel que dans leur enregistrement dans les annuaires de commerce.

En revanche, ce n’est qu’en 1964, par le Bill 16, que la femme mariée obtient « la pleine capacité juridique, quant à ses droits civils, sous la seule réserve des restrictions

101 Peter Baskerville, A Silent Revolution, p. 5.

102 Article 986 (1866), Titre III : Des obligations, Section I : de ce qui est nécessaire pour la validation des contrats dans Paul-André Crepeau et John E.C. Brirley, Code civil – Civil Code 1866-1980. Édition historique et critique, Montréal, Société québécoise d’information juridique, 1981.

103 Article 177 (1866), Titre V : Du mariage, Chapitre VI : Des droits et des devoirs respectifs des époux dans ibid.

104 Article 179 (1866), Titre V : Du mariage, Chapitre VI : Des droits et des devoirs respectifs des époux, dans ibid. Voir aussi J.C Beausoleil, Jacques Côté et Kathleen Delaney, « La femme mariée commerçante », p. 372.

105 Nicole Roy, « La lutte des femmes », pp. 477-618; Jennifer Stoddart, « Quand les gens de robe », pp. 307-336; Maryse Beaulieu, « La condition juridique »; Andrée Lévesque, « Le Code civil au Québec », pp. 19-46 ; Nicole Roy, « La lutte des femmes », pp. 477-618; Mariette Sineau et Évelyne Tardy, Droits des femmes.

découlant du régime matrimonial » et qu’elle « peut exercer une profession distincte de celle de son mari »106. De la même manière que l’impact de l’adoption des MWPLs

« transcended marital status » et touche, plus largement, à la place de toutes les femmes dans les activités économiques107, l’adoption du Bill 16 a certainement été favorable à l’engagement des femmes, quel que soit leur statut matrimonial, dans les affaires. Le conservatisme du Code civil jusqu’à cette date ne semble cependant pas avoir réellement endigué la participation des Montréalaises mariées dans cette activité professionnelle.

Enfin, globalement, les femmes mariées et les veuves forment, ensemble, près de 60 % des entrepreneures montréalaises de 1920 à 1960. La principale interprétation de cette forte proportion de femmes mariées ou de veuves dans l’entrepreneuriat féminin que proposent les précédents travaux menés sur le sujet est la question de l’accessibilité des femmes au travail salarié. Deux idées sont très prégnantes jusqu’à la fin du XXe siècle : le salariat est réservé aux jeunes femmes avant leur mariage, aux célibataires ou aux pères de famille alors que l’entrepreneuriat, à cause de sa souplesse d’organisation et la possibilité d’effectuer ce travail à domicile, peut mieux se conjuguer avec les charges domestiques108. Cependant, à partir du milieu du XXe siècle, les femmes mariées vont intégrer massivement le marché du travail salarié. Ainsi, si, en 1901, les célibataires forment 88 % des salariées canadiennes, ce groupe est composé, en 1971, de 60 % de femmes mariées109. La main-d’œuvre féminine montréalaise est, aussi, initialement, un groupe majoritairement composé de femmes célibataires puisque celles-ci forment 73 % de l’ensemble en 1951. Cependant, dès 1961, ce taux diminue à 56 % (graphique 16). Ce phénomène est similaire à celui de l’ensemble de la province du Québec, tel que l’a documenté Francine Barry110.

106 Bill 16 (1964), Articles 177 et 181 du Titre V : Du mariage, Chapitre VI : Des droits et des devoirs respectifs des époux. Dans Paul-André Crepeau et John E.C. Brirley, Code civil – Civil Code.

107 Peter Baskerville, A Silent Revolution, pp. 238-239.

108 Melanie Buddle, The Business of Women : Gender, p. 81; Peter Baskerville, A Silent Revolution, p. 205; Edith Sparks, Capital Intentions, p. 68; Susan Ingalls Lewis, Unexceptional Women, p. 27. 109 Melanie Buddle, ibid., p. 31.

110 Francine Barry, Le travail de la femme. Nous notons, par ailleurs, que ce changement est identique au niveau du Canada puisque le taux que représentent les célibataires dans l’ensemble de la main-d’œuvre féminine canadienne passe de 80 % en 1941 à 62 % en 1951 et 42 % en 1961. Cependant, comme le souligne Peter Baskerville, cette tendance peut aussi être simplement due aux différences de méthodes de recensements entre le début et la fin du siècle, d’où l’importance de notre critique des sources. Peter Baskerville, A Silent Revolution, p. 197.

Graphique 16. Répartition des membres de la population active féminine selon leur statut matrimonial, en pourcentage, Canada, Québec (province) et Montréal, 1921-

1971

Sources : Recensements du Canada, 1901-1971111

Dans son étude sur les femmes dans le monde du salariat dans la province de Québec entre 1940 et 1970, cette chercheuse soutient que ces trois décennies sont marquées non seulement par un accroissement du total des salariées dans la main d’œuvre, mais surtout par une transformation des caractéristiques principales de la travailleuse type : « la célibataire de moins de 30 ans ne représente plus désormais le seul profil de la travailleuse ; un nouveau type s’implante au cours de la période : la femme mariée d’âge moyen et d’âge mûr »112. Elle relève en effet que « la proportion de femmes mariées dans la main-d’œuvre est passée de 7,55 % à 48,78 % entre 1941 et 1971, augmentation de 41,23 points qui se fait presque exclusivement aux dépens de la classe des célibataires » et qui est plus perceptible chez les ouvrières que dans les professions libérales et techniques113. Ce changement de profil de la travailleuse québécoise est la conséquence de différents facteurs, tels que la guerre, la réduction de la semaine et de la journée de travail, l’évolution de la technologie ménagère, la mise en marché de repas préparés et de

111 Les données relatives au Canada sont tirées de la thèse de Melanie Buddle, The Business of Women : Gender.

112 Francine Barry, Le travail de la femme, p. 14. 113 Ibid., p. 19 et 21. 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

vêtements d’entretien facile, la disparition progressive des obstacles moraux et sociaux au travail des femmes, le prolongement de leur scolarité ou encore l’avènement de la société de consommation qui exige un double salaire. Cette ouverture du marché de l’emploi salarié aux femmes mariées à partir du milieu du XXe siècle au Québec telle que documentée par Francine Barry pourrait donc être mise en relation — toute proportion gardée —, avec la diminution, à partir de cette même date, du nombre total de femmes d’affaires montréalaises, qui sont en majorité mariées.

En revanche, comme le soulignent Pierre Collerette et Paul G. Aubry, à la fin du XXe siècle, les Québécoises — comme les Québécois — qui se lancent en affaires le font pour répondre à une « volonté d’être sa propre patronne », à un « souci d’être autonome financièrement » et à une « intention de se valoriser personnellement »114. Les éléments déclencheurs, chez les unes comme chez les autres, sont principalement l’opportunité, la disponibilité en termes de temps, l’insatisfaction au travail115. Hélène Lee-Gosselin et Monica Belcourt y ajoutent le souci de trouver un équilibre entre le travail et la vie privée116. Autrement dit, se lancer en affaires, pour les femmes comme pour les hommes, apparaît principalement comme une alternative à un travail salarié insatisfaisant117. Ce phénomène peut être mis en parallèle avec la hausse de l’entrepreneuriat en période de crise (chapitre 3). Si cette tendance dans les années 1930 est, comme nous l’avons montré, le fait du groupe des femmes, il est envisageable de le percevoir également comme, principalement, le fait des femmes mariées.

Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle, à Albany, les femmes célibataires sont

principalement concentrées dans le secteur du vêtement alors qu’au contraire, l’épicière est plus souvent mariée ou veuve118. En effet, 56 % de l’ensemble des femmes d’affaires célibataires de cette ville sont des femmes actives dans le domaine du vêtement et 65 % des femmes d’affaires actives dans ce même domaine sont célibataires119. Il en est de

114 Pierre Collerette et Paul G. Aubry, Femmes et hommes d'affaires, p. 59. 115 Ibid.

116 Hélène Lee-Gosselin et Monica Belcourt, « Les femmes entrepreneures », pp. 56-88, p. 61. 117 Pierre Collerette et Paul G. Aubry, Femmes et hommes d'affaires, p. 59.

118 Susan Ingalls Lewis, Unexceptional Women, pp. 42-43. 119 Ibid.

même à Boston où à la même période, entre 38,4 % et 46,3 % de l’ensemble des modistes et des stylistes sont célibataires120. Pour la ville de Québec au tournant du XXe siècle,

André Roy met également en exergue le fait que les femmes mariées « se spécialisent tout particulièrement dans le commerce de détail et le vêtement (modistes) », les célibataires le font « dans le vêtement » et les veuves « dans le commerce de détail, surtout l’épicerie »121. À Montréal, entre 1920 et 1940, sur le total des 73 commerçantes dans le domaine de l’alimentation pour lesquelles elle a retrouvé le statut matrimonial, Sylvie Taschereau compte, dans un sens similaire, 32 veuves (44 %), 17 célibataires (23 %) et 24 femmes mariées (33 %)122.

Selon la répartition de l’ensemble des femmes propriétaires de commerces de détail et d’établissements de services à Montréal entre 1920 et 1960 (graphique 17), le commerce d’alimentation est majoritairement le lot de femmes mariées ou de veuves, les commerces de vêtements et les salons de beauté celui des femmes célibataires et les maisons de pension celui des veuves. Plus précisément, les femmes mariées et les veuves forment entre 79 % (1920) et 75 % (1955) des femmes propriétaires de commerces d’alimentation. Si les veuves y sont majoritaires pendant la première décennie (soit plus de 55 % de 1920 à 1930), les femmes mariées prennent le relais après 1935. Ensemble, les femmes mariées et les veuves ne forment, au contraire, — avec une très large majorité de femmes mariées — qu’entre 42 % (1920) et 54 % (1955) des femmes propriétaires de commerces de « vêtements » et entre 33 % (1920) et 50 % (1955) des femmes propriétaires de « salons de beauté ». Les veuves, quant à elles, représentent plus de 55 % des femmes propriétaires de « maisons de pension ». Autrement dit, près de la moitié des entrepreneures mariées sont propriétaires d’un commerce d’alimentation et le tiers d’entre elles le sont d’une boutique de vêtement (graphique 18). Les veuves, en revanche, sont très largement (entre 70 et 90 % respectivement en 1935 et 1960) propriétaires d’un commerce d’alimentation tandis que les célibataires sont plus fortement concentrées dans les domaines du vêtement et des salons de beauté (entre 60 et 80 % respectivement en 1945 et 1960).

120 Edith Sparks, Capital Intentions, p. 32.

121 André Roy, La faillite, le commerce et le crédit, p. 137.,

Graphique 17. Répartition des femmes propriétaires selon leur statut matrimonial et selon les domaines d’activités privilégiés par elles, en pourcentage, Montréal, 1920-

1960

Sources : Annuaires Lovell 1920-1960

Graphique 18. Répartition des femmes propriétaires selon leur statut matrimonial et selon les principaux domaines d’activités, en pourcentage, Montréal, 1920-1960

Sources : Annuaires Lovell 1920-1960 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 1920 1925 1930 1935 Al im en ta ti on , 1 94 0 1945 1950 1955 1960 1920 1925 1930 1935 Vê te m en ts , 1 94 0 1945 1950 1955 1960 1920 1925 1930 1935 Sa lo ns d e be au té , 1 94 0 1945 1950 1955 1960 1920 Ma is on s de p en si on , 1 92 5 1930

Mariées Veuves Célibataires Inconnu

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 1920 1925 1930 1935 Ma ri ée , 1 94 0 1945 1950 1955 1960 1920 1925 1930 1935 Ve uv es , 1 94 0 1945 1950 1955 1960 1920 1925 1930 1935 Cé lib at ai re s, 1 94 0 1945 1950 1955 1960

Cette concentration des unes et des autres dans des types de commerces particuliers peut s’expliquer par les exigences de la mise sur pied de chaque genre d’entreprises. En effet, le domaine de l’alimentation — dont les épiceries, les comptoirs à tabac ou les magasins généraux —, comme celui des maisons de pension, peut avoir donné aux femmes mariées et aux veuves la possibilité de combler un salaire masculin manquant, sans qu’il leur soit nécessaire de disposer d’une mise de fonds importante. Les femmes qui se lancent dans ce genre d’échanges marchands peuvent l’avoir fait soit en reprenant la boutique du mari défaillant, absent ou disparu, soit en en ouvrant une nouvelle pour assurer la survie

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