• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5. Des associations de femmes d’affaires

5.2. Des associations de réseautage

L’AFA et le BPWCM, si elles rassemblent finalement des femmes au profil assez semblable ont, de plus, en commun d’être principalement des associations de réseautage et de charité16. En effet, l’AFA, faisant partie de la FNSJB, a pour principal objet de « travailler conformément à l’esprit de la Fédération nationale et en union avec elle à développer et protéger les intérêts moraux, sociaux et professionnels de la femme et à fortifier par l’union son action dans la famille et la société »17. Pour répondre à cet objectif, elle apparaît d’abord et avant tout comme un lieu de socialisation pour ses membres. Elle tient, annuellement, une dizaine de réunions de son conseil et une autre dizaine d’assemblées générales égayées de conférences portant sur des sujets d’actualité, sur des questions religieuses, sur l’histoire ou l’action des institutions de charité, sur le rôle des femmes dans la société ou encore sur les voyages de ses membres18. Elle propose également des évènements ludiques comme des concerts, des soirées musicales, des réceptions, des parties de cartes, des concours ou des collectes de fonds. Ces festivités lui permettent de récolter de l’argent pour elle-même, pour la Fédération ou, à partir de 1929, pour différentes œuvres comme l’Hôpital Sainte-Justine ou l’Institut des Sourdes-

15 Ibid., p. 91.

16 Yolande Cohen, Femmes philanthropes. 17 BAnQ, FNSJB, Statuts de l’AFA (1920 ?).

Muettes19. Certaines membres participent aussi à des sorties en plein air, à des rencontres à

leur résidence d’été ou à la retraite fermée annuelle de l’association20. Lors de ces

réunions, elles discutent aussi de l’implantation de mesures susceptibles d’aider les membres telles qu’une coopérative d’achat et une coopérative de conserves (dont le projet est rapidement abandonné21) ou une caisse de secours (qui sera bien mise en place en 1939, mais ne sera jamais réellement utilisée22). Ces activités et projets démontrent autant le caractère social, voire charitable, de l’AFA que son souci d’offrir aux femmes d’affaires un véritable lieu de rencontres et d’échanges. Elle se réunit d’ailleurs principalement chez les membres du conseil ou dans les locaux de la FNSJB et organise ses activités notamment à Université Laval à Montréal, aux écoles du Plateau ou Montcalm ou à l’École ménagère provinciale23.

L’objectif du BPWCM est, quant à lui, « to promote a close relationship between business and professional women of all creeds and races »24. Tout comme l’AFA, il propose à ses membres diverses activités sociales, charitables et de réseautage. Il organise des conférences, des soirées au théâtre, des pique-niques, des excursions à la campagne, des parties de bridge, des défilés de mode et des discussions sur différents sujets25. À partir de 1932, s’ajoutent des groupes d’étude et des équipes de badminton ainsi que des causeries, un dimanche par mois26. Des cours de prise de parole en public et de langue française seront également offerts aux membres27. Ces activités ont lieu au Young Women Christian Association (YWCA), au Mechanics’Institute, au Queen’s Hotel ou encore à

19 BAnQ, FNSJB, Rapport annuel de l’AFA, 1929-37, 1940-41, et 1952-53.

20 BAnQ, FNSJB, Rapport annuel de l’AFA, 1928-1929, 1936-41 et « La FNSJB », Le Devoir, 15 juin 1918.

21 BanQ, FNSJB, « La FNSJB », Le Devoir, 19 janvier 1918; « Chez les femmes d’affaires », La Bonne Parole, juillet 1929, p. 4.

22 « Les activités de l’AFA », La Bonne Parole, mars 1929, p. 8; « Chez les femmes d’affaires  », La Bonne Parole, février 1942, p. 11. et BAnQ, FNSJB, Rapport annuel de l’AFA, 1939 — 41, 1946-47 et 1952-53.

23 BAnQ, FNSJB, Rapport annuel de l’AFA, 1918-19 et 1919-20. 24 BAnQ, MLCW, Annual Report, 1933, p. 725.

25 BAC-Ottawa, Fonds CFBPWC, MG 28 I 55, vol. 81, « From sea to sea », The Business and professional women, mars-avril 1958, p. 15.

26 Ibid. 27 Ibid.

l’Hôtel Windsor. En novembre 1944, le club acquiert une maison sise 1467 de la rue Crescent, soit au cœur du Golden Square Mile, quartier prisé de la bourgeoisie écossaise de Montréal28. Le BPWCM assure, par ailleurs, un soutien financier et bénévole à différentes associations à visée sociale. Ainsi, durant la dépression des années trente, il s’associe au Young Women Christian Association (YWCA) pour soutenir les femmes sans emploi. Ensemble, ils leur offrent de l’aide directe pour trouver du travail rémunéré, organisent en leur faveur des distributions d’allocations ou d’aliments et de vêtements ou encore mettent en place des formations professionnelles (pour devenir gouvernantes, serveuses ou artisanes)29. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses membres s’engagent auprès de la Croix-Rouge et organisent des activités pour venir en aide aux victimes du conflit30. Le BPWCM apporte aussi un appui à d’autres associations pour les enfants et les femmes, comme la Big Sister’s Association, la Montreal Girl’s Association, le Montreal Children’s Library, le Griffintown Boy’s Club ou encore le Women’s Voluntary Service31. Il entretient également des liens très forts avec le Montreal General Hospital, le Salvation Army, le World Refugee Fund et le University Settlement32. En ce sens, il s’organise comme les organisations masculines de philanthropie d’affaires telles que les Clubs Rotary (1905), Kiwanis (1915) ou Lions (1917)33.

Les actions de charité de l’AFA réalisées envers des institutions exclusivement canadiennes-françaises et du BPWCM à des associations principalement canadiennes- anglaises, autant que la division marquée entre leurs lieux de rencontre, reflètent ce que Paul-André Linteau qualifie de « stratégie de cloisonnement ethnique », soit le fait que « chaque groupe [montréalais] a tendance à vivre de façon séparée, dans ses propres quartiers, avec ses propres écoles et ses propres institutions »34. Cette division est

28 Charlotte Van Dine, « Montreal Owns Clubhouse », The Business and Professional Woman, mars-avril 1959. Cette maison est détruite par les flammes à la fin de l’année 1960, un événement qui contraint le Club à se réunir au Mount Stephen Club.

29 « From sea to sea », The Business and professional women, mars-avril 1958, p. 15. 30 Ibid.

31 Ibid. 32 Ibid.

33 Candace A. Kanes, American Business Women, pp. 30-31. citée dans Melanie Buddle, The Business of Women : Marriage, p. 92.

effectivement perceptible entre la FNSJB et le MLCW comme le confirme Yolande Cohen dans son étude relative aux femmes philanthropes québécoises35. En ce qui concerne

l’AFA et le BPWCM, plus spécifiquement, le fait que leurs critères d’adhésion et leurs activités sociales sont assez similaires et qu’elles visent donc finalement le même public, mais sans que leurs membres aient été invitées à se rencontrer révèle que l’appartenance linguistique de ces femmes prend le pas sur les intérêts commerciaux de leurs membres. L’AFA et le BPWCM véhiculent donc une perception de l’entrepreneuriat féminin montréalais doublement biaisée du fait que leurs membres sont des femmes d’affaires privilégiées et qu’elles font partie d’un groupe sociolinguistique particulier.

Documents relatifs